Prends garde, Iran, les Patriot arrivent !

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Prends garde, Iran, les Patriot arrivent !

21 septembre 2019 – Normalement cette nouvelle devrait aller dans une des rubriques générales du site, du fait que toute l’affaire de l’attaque contre Aramco a été prise en charge de cette façon. Mais le dérisoire commande, et l’humour involontaire règne. Je veux parler de la “riposte” américaniste à l’attaque, décidée dans le cours de la consultation de Leurs Majestés golfiques et saoudiennes diverses par le diplomate hors-pair qu’est Mike Pompeo.

« Le 19 septembre, le WSJ a rapporté que le Pentagone, et en particulier le Général Kenneth Mackenzie, Commandant en chef du CENTCOM, avait demandé le déploiement de trois autres batteries Patriot en Arabie Saoudite, en plus des avions de combat F-22 Raptor supplémentaires [déjà annoncés avant l’attaque].
» Parce que les batteries de missiles Patriot actuelles font un merveilleux ‘job’.
» Le déploiement comprend également d'éventuelles capacités de surveillance supplémentaires dans la région.
» Pour sa part, Fox News a largement rapporté les mêmes nouvelles, citant en outre une source anonyme qui affirmait que si plus de personnel était déployé, ce ne serait que “quelques centaines”, puisque le Moyen-Orient accueille déjà environ 70 000 soldats américains, de toutes les façons. »

La chose a été prise au sérieux dans la presseSystème US, dans une atmosphère de complète zombification de toute appréciation critique. Les monarchies golfiques, par contre, ont montré beaucoup moins d’enthousiasme et même, dans certains cas, une franche hostilité. En témoigne indirectement cette présentation de SouthFront.org, qui reprend sur un ton moqueur et acerbe la présentation générale des événements, où l’on voit Pompeo adopter soudainement un ton beaucoup plus, et même incroyablement plus conciliant, presque sur le ton d’une brebis nullement galeuse mais devenue pacifiste, après avoir bouclé ses visites de la région par celle qu’il a rendue au cheikh et Prince héritier MbZ (Mohammed bin Zayed) d’Abou Dhabi.

Tous ses interlocuteurs royaux, devant l’énormité gargantuesque de l’engagement US à les défendre après le succès pantagruélique des défenses contre l’attaque d’Aramco, demandent sèchement et fermement aux émissaires US de n’agacer en rien désormais les Iraniens contre lesquels ils (les USA) ne semblent vraiment pas pouvoir ni vouloir grand’chose. La coalition anti-Iran que Pompeo annonce depuis plusieurs mois ne ferait pas de mal à une mouche saoudienne, et il s’agit désormais quasi-officiellement d’une complète fiction trumpiste qui n’intéresse plus personne. Il ne semble pas que l’administration Trump se soit fait beaucoup d’amis dans les monarchies golfiques après l’attaque d’Aramco.

« Le ton a changé après avoir rencontré le prince héritier d'Abu Dhabi, Mohammed bin Zayed Al Nahyan. Interrogé sur les commentaires que le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif a faits plus tôt dans la journée, Pompeo a cherché à minimiser la gravité de la situation.
» “Je suis venu ici pour une mission diplomatique. Alors que le ministre des Affaires étrangères de l'Iran menace de mener une guerre totale et de se battre jusqu'au dernier Américain, nous sommes ici pour mettre sur pied une coalition visant à parvenir à la paix et à un règlement pacifique de la question”, a dit la secrétaire d'État. “C'est ma mission, ce que le Président Trump veut certainement que je m'efforce d'accomplir, et j'espère que la République islamique d'Iran voit les choses de la même façon. Il n'y a aucune preuve de cela dans sa déclaration, mais j'espère que c'est le cas.”
» “Le président nous a ordonné de continuer à les empêcher d'avoir la capacité de soutenir le Hezbollah, les milices chiites en Irak, leur propre programme de missiles, tout ce qu'ils ont fait pour représenter une menace pour le monde, c'est la mission que nous nous sommes fixée avec nos sanctions économiques,” a-t-il dit. »

Il est vrai que, malgré notre cuir tanné par des années sinon des décennies de montages et de mensonges américanistes, je me trouve encore une fois pris de court par la stupéfaction avec cette affaire, sur ce point particulier, qui n’est rien de moins qu’un nouveau sommet plus haut que tous les précédents d’inconscience et d’inconséquence américanistes. La seule explication qui vaille, à mon sens, est celle de la plus complète indifférence de Trump à ces affaires du Moyen-Orient, et celles de politique étrangère en général, mis à part les $milliards qu’il peut extorquer des Saoudiens, des Sud-Coréens, des Polonais, etc., en leur refilant la camelote de Raytheon et la quincaillerie de Lockheed-Martin. Le fait de présenter un Pompeo avec trois batteries de Patriot dans sa besace comme principale “riposte” à l’attaque du 14 septembre serait perçu, dans un autre monde que le postmoderne trumpiste, comme une insulte jetée à la face de MbS et de toute sa bande. Peut-être même l’a-t-il été effectivement comme tel en même temps que la démonstration ultime et catastrophique de l’impuissance US, et peut-être même que les éminences des royaumes font marcher le téléphone arabe de la diplomatie secrète à destination de Téhéran, pour tenter de trouver quelque chose comme un terrain d’entente.

Il faut absolument revenir et insister, encore et encore, pour sembler y comprendre quelque chose, sur l’extraordinaire impuissance psychologique de l’américanisme. Je parle ici de l’absence totale d’empathie, qui concerne d’ailleurs (pour prolonger la citation ci-dessous) aussi bien l’impuissance à se mettre à la place de ses “alliés” qu’à celle de ses “ennemis” ; ce manque, ce vide, ce “trou” même comme une déchirure et une béance mortelle dans la psychologie est sans aucun doute le fondement de ce en quoi la psychologie de l’américanisme est une chose catastrophique, de sa cruauté extrême, de son inhumanité foncière, de sa capacité de triompher injustement lorsque les dieux en fer-blanc ont été suffisamment corrompues, et de s’engager vers un effondrement suicidaire lorsque les dieux ont décidé qu’ils en avaient marre, – comme les monarques du Golfe pour le coup :

« Le plus dramatique dans ce constat est évidemment ce qui se dit de plus en plus, et qui constitue l’élément fondamental de la psychologie de l’américanisme, cette impuissance totale de l’américanisme pour l’empathie, y compris et surtout cette absence complète d’empathie objective (se mettre à la place de l’autre pour mieux le comprendre) pour comprendre ce qui se passe dans “l’esprit” de l’adversaiere. Crooke/Porther le disent précisément : “ ...la capacité de Washington de comprendre, ou de ‘bien lire’ dans ‘l’esprit’ de ses ennemis semble avoir été en quelque sorte perdue, – par impuissance de Washington à éprouver quelque empathie que ce soit pour “l’altérité” (iranienne, chinoise ou russe). ” Nous serions tentés de proposer une nuance, de taille au demeurant : cette capacité n’a pas été ‘perdue’, parce que, selon ce que nous croyons de la psychologie de l’américanisme faite d’inculpabilité et d’indéfectibilité et ainsi si parfaitement spécifique, cette capacité n’a jamais existé dans cette psychologie ; la raison étant simplement que, pour la psychologie américaniste et donc exceptionnaliste, l’‘autre’ ne peut exister sinon bien entendu à être aussitôt gobé et digéré subito presto par l'américanisme. »

Cette situation est extrêmement sérieuse et préoccupante, et cette chute des zombies américanistes l’est encore bien plus, bien réelle, bien considérable, emportée dans un tourbillon (“tourbillon crisique” dirais-je) qu’elle a elle-même créé. Ces gens sont désormais dans un autre monde, dans une simulation d’un autre monde, dans leur simulacre crevé de toutes parts, réparé par du sparadrap usagé, du chewing-gum pré-mâché, des rames collantes de billets de banques fraîchement imprimés et même pas massicotés tant plus personne n’y croit. La puissance américaniste ressemble à un champ de fauteuils-transat glissant n’importe comment sur le pont du Titanic à mesure de l’inclinaison de la chose, et où plus personne ne daigne poser son séant.

J’écrirais bien “Gone with the Wind” pour terminer sur un bon mot mais même le vent n’en veut plus. Alors, qu’ils aillent au Diable ? Le Diable n’en rit même plus et son accueil sera plutôt frais…