Présidentielles : aucun positionnement des candidats sur les Etats-Unis ?

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Les présidentielles françaises et les USA

24 janvier 2007 — Voici un article de Jean-Philippe Immarigeon, auteur de American Parano. Il a été repris sur Yahoo.com le 22 janvier. Nous lui avons laissé son actualité et la forme qui le signale, — il a été mis en ligne la veille du discours sur l’état de l’Union et nous le mettons nous-mêmes en ligne alors que le discours vient d’être prononcé.

(Nous signalons également le site d’Immarigeon, où la politique américaniste est suivie de façon régulière et où cet auteur nous tient au courant de ses activités.)

Nous avons déjà cité à une occasion le livre de Jean-Philippe Immarigeon. Nous avons dit l’estime où nous tenons cet ouvrage, notamment parce qu’il représente une nouvelle approche critique du phénomène de l’américanisme, débarrassée des contraintes psychologiques de complexe et de fascination auxquelles les auteurs français ont succombé pendant plusieurs décennies, depuis la Deuxième Guerre mondiale principalement. (Immarigeon renoue avec la grande tradition de l’approche critique de l’américanisme telle qu’elle s’était installée en France entre les deux guerres mondiales, époque la plus féconde de l’analyse du phénomène. C’est durant cette période que le phénomène de l’américanisme a commencé à être embrassé dans sa totalité, comme il doit l’être évidemment pour être justement apprécié.)

Présidentielles : aucun positionnement des candidats sur les Etats-Unis ?

Entre l'anti-américanisme conspirationniste de certains et l'américanolâtrie béate des autres, n'y a-t-il donc autre chose à faire qu'attendre le retour d'une autre Amérique pour que les choses rentrent toutes seules dans l'ordre, alors que le monde risque de basculer dans une nouvelle crise ?

Qui sont les plus ridicules, les démocrates américains qui, après avoir applaudi à la guerre durant cinq ans, semblent découvrir l'étendue du désastre ou nos responsables politiques qui, à l'unisson de l'opinion, avaient averti de la catastrophe à venir mais n'en attendent pas moins que les mêmes démocrates - qui furent sourds à ces avertissements et vociférèrent contre la France et les Français pour ne pas sembler en reste sur les éditorialistes de Fox News, de CNN, du New York Times ou du Wall Street Journal — nous permettent cette fameuse réconciliation avec l'autre Amérique, la vraie Amérique ?

Lorsqu'il s'agit des Etats-Unis, les Français sont, soit frappés d'amnésie, soit butés dans leurs illusions. Le récent numéro de L'Express titré Ceux qui vont tout changer, pulvérise sur ce point les bornes du ridicule. Tous veulent oublier que les injures antifrançaises de Rice, Cheney et Rumsfeld lors de la guerre d'Irak furent relayées par les élus démocrates de l'époque ; tous oublient que dès le 14 septembre 2001, les pouvoirs de guerre furent donnés par un Congrès unanime à un président Bush qui rappela 50.000 réservistes, menaça les alliés récalcitrants, justifia l'usage de la torture et obtint le même soutien parlementaire pour son Patriot Act, constamment renouvelé depuis. Selon un sondage New York Times/CBS au lendemain des attentats, 85 % des Américains souhaitaient une action armée sans même savoir contre qui, et 75 % annonçaient la justifier a priori quand bien même elle entraînerait le massacre de civils et d'innocents. Aujourd'hui les mêmes, élus comme électeurs, sont dans les mêmes proportions d'un avis contraire.

Fort bien, réjouissons-nous-en, s'émerveille l'intelligentsia. Notre presse s'est mise de la partie. Elle a sauté de joie lorsque la Cour suprême de Washington a découvert le 29 juin 2006, avec quatre ans et demi de retard, qu'il se passait des choses pas jolies à Guantanamo : l'Amérique est de retour ! Mais la même presse est restée muette lorsque, quelques semaines plus tard, le Congrès, démocrates compris, a remis en forme législative l'arbitraire de la lutte antiterroriste, en intégrant dans la règle de droit ce qui n'était alors qu'un état d'exception (Military Commissions Act du 17 octobre 2006). Bis repetita pour le rapport Baker, qui contient pourtant tout et son contraire : les Américains prennent enfin conscience ! Il n'a pas fallu 15 jours pour que le rapport soit enterré. Même chose pour la victoire démocrate : on allait voir ce qu'on allait voir ! Nancy Pelosi, écrivait Philippe Labro, est le symbole même de la grandeur de l'Amérique, puisque son élection cloue le bec à tous les détracteurs (raisonnement dont la logique est d'autant plus belle qu'elle est totalement incompréhensible). On va bien voir ce que va faire le chairman Pelosi mardi soir 23 janvier, lorsque George W. Bush aura prononcé juste devant elle le discours annuel sur l'état de l'Union.

Si elle applaudit comme ses amis l'ont fait durant cinq ans ? Le mythe américain est tel que l'opinion française attendra encore deux ans la victoire de... de qui ? D'une ou d'un démocrate, pardi, comme on attendait John Kerry ! Et pour quoi faire, lorsque l'on sait que la démocrate Madeleine Albright, ex-secrétaire d'Etat de Clinton, qui considère aujourd'hui comme une faute une guerre qu'elle a soutenue, menaçait à l'automne 2004 de traîner en Irak les soldats français par la peau des fesses si son poulain battait Bush.

La même opinion française est en droit de dire aux Américains, démocrates compris : Cette défaite dont nous vous avions averti très tôt, vous l'avez voulue, vous l'avez, il fallait y penser avant. C'est un peu le sens de la sortie de Jacques Chirac le 6 janvier dernier devant les ambassadeurs. Mais après, que fait-on, alors que pendant que nos élites déboussolées par une Amérique qu'elles ne comprennent pas attendent on ne sait quoi, les Etats-Unis, qui n'ont plus d'autre objectif que de limiter la casse à défaut de sauver la face, vont laisser, davantage d'ailleurs par bêtise et incompétence que par volonté délibérée, tout l'Orient sombrer dans le chaos ? Qui peut me dire, à l'exception de l'alignement atlantiste de Nicolas Sarkosy, quel est le positionnement des autres candidats vis-à-vis de la politique américaine dans le contexte de crise internationale majeure que le monde vit ?

Le ridicule ne tue pas, sinon pas un élu américain, de quelque bord qu'il soit, ne serait plus de ce monde. Mais pas un de nos dirigeants n'aurait davantage d'espérance de vie, de quelque bord qu'il (ou qu'elle) soit.

Jean-Philippe Immarigeon