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2 décembre 2002 — Nous nous devions de nous arrêter à cet article du WashingtonPost, qui est déjà signalé dans la rubrique “Nos Liens.” Nous disions déjà que le support ne peut être soupçonné de parti-pris (position pro-guerre du Washington Post), ce qui témoigne du sérieux des événements que nous signale l'article. Nous irions même, avec un certain machiavélisme, jusqu'à observer que la présence d'un tel article, si important et si détaillé, et mettant en évidence l'originalité et la profondeur du mouvement anti-guerre, est en soi un signe ; on pourrait faire l'hypothèse que le Post est en train de prendre quelques gages face à une évolution qu'il juge importante
Ce qui est évidemment remarquable, comme le signale le journal, c'est la diversité du mouvement anti-guerre, ce qui le différencie de manière décisive de tout ce qui a précédé. Quelques détails étonnants :
« Most members of Mothers Against War are grandmothers in their seventies whose lives are already full. Yet they spend hours a day on the Internet, reading and spreading information on Iraq and the United States and planning for marches, e-mail campaigns and teach-ins. Having lived through the Vietnam antiwar movement, which took years to build, the Mothers Against War are buoyed to find themselves part of a fast-growing movement of people from every walk of life, from every political stripe.
» The extraordinary array of groups questioning the Bush administration's rationale for an invasion of Iraq includes longtime radical groups such as the Workers World Party, but also groups not known for taking stands against the government. There is a labor movement against war, led by organizers of the largest unions in the country; a religious movement against the war, which includes leaders of virtually every mainstream denomination; a veterans movement against the war, led by those who fought Iraq in the Persian Gulf a decade ago; business leaders against the war, led by corporate leaders; an antiwar movement led by relatives of victims of the Sept. 11, 2001, attacks; and immigrant groups against the war.
» There are also black and Latino organizations, hundreds of campus antiwar groups and scores of groups of ordinary citizens meeting in community centers and church basements from Baltimore to Seattle.
» It has reached a point where United for Peace, a Web site started by the San Francisco-based human rights organization Global Exchange for groups to list events commemorating the Sept. 11 anniversary, has morphed into a national network coordinating events for more than 70 peace groups nationwide.
» “We're taking the . . . Web site and rebuilding it as a one-stop shopping for the antiwar movement,” said Andrea Buffa, who co-chairs the new network. “It's a campaign of all different kinds of groups, from the National Council of Churches to the International Socialists organization; I just got a call from the Raging Grannies of Palo Alto, who want to join. We're bringing groups together to develop a consensus statement and a calendar of coordinated antiwar events.” »
Cette diversité, cette complexité, qui apparaissent de manière assez symbolique comme si représentatives de la diversité tant vantée de l'Amérique, expliquent la difficulté à cerner, à comprendre ce mouvement, voire même à croire à son existence, tout simplement. Le mouvement ne répond à aucune impulsion catégorielle, sociale ou idéologique précise ; il est l'enfant d'un sentiment général qui semble peu à peu soulever divers groupes, divers milieux, diverses catégories, et qu'on pourrait nommer après tout : bon sens. C'est très bien mais, d'autre part, cela explique l'incapacité où l'on se trouve de faire des prévisions sérieuses à son égard.
Cette incapacité est aussi celle de l'administration, et même plus forte encore que la nôtre. La surprise du mouvement anti-guerre, s'il y a une surprise, sera pour cette administration, et elle risque d'être salée. Il s'agit d'un élément dont nul (même pas nous, d'ailleurs) ne tient compte, — tiens, par exemple : on pourrait dire qu'il s'agit d'un élément absolument démocratique, celui qui nous manque bien dans ce débat, et dont nous nous sommes inquiétés par ailleurs ...
On verra vite le potentiel de ce mouvement, dès le 10 décembre où des manifestations sont prévues pour la journée internationale des Droits de l'Homme.
« After large rallies in Washington and San Francisco on Oct. 26, the next big day to test the antiwar movement's might is Dec. 10, International Human Rights Day. Hundreds of groups plan events, rallies and civil disobedience to capture the nation's attention, including demonstrations in Lafayette Park across from the White House and at a military recruitment center in downtown Washington.
» Otherwise, antiwar groups, which tend to rely on the Internet to receive and spread information, operate largely without the attention of the media or Capitol Hill. Yet many of those speaking out against an attack on Iraq represent large numbers of Americans, including John J. Sweeney, president of the AFL-CIO (with 13 million members); the National Council of Churches (which represents 36 Protestant and Orthodox denominations, with 50 million members); and the National Conference of Catholic Bishops (the leadership arm of 65 million Roman Catholics).
» Among themselves, the groups are quietly organizing their ranks. A letter Sweeney sent to Congress in early October expressing deep reservations about the justifications for an invasion has begun to resonate among the rank and file, said Bob Muehlenkamp, a labor consultant and former organizing director for the Teamsters union. Several hundred thousand union members, he said, have signed up against the war, with more joining every week. He expects the numbers to balloon when leaders hold an organizational breakfast meeting for all unions in New York on Dec. 18. »
Impossible de conclure quoi que ce soit de précis, de faire des prévisions. C'est justement ce qui est caractéristique, ce qui fait que cette situation n'a pas de précédent. D'une Amérique qui nous semblait totalement anesthésiée et regroupée derrière GW, pourrions-nous passer à une Amérique en révolte ouverte ? C'est une sacrée hypothèque. Et c'est une situation complètement différente de celle qui prévalait dans les années 1960, lorsqu'on vit enfler la révolte de manière parfaitement identifiée, dans les milieux radicaux de gauche, dans les universités et chez les Noirs.
L'autre différence avec les années 1960 est qu'alors, le gouvernement avait une possibilité : renverser l'engagement vietnamien, chercher une porte de sortie (comme fit Nixon finalement), sans se déjuger puisque la politique officielle était de rechercher toutes les possibilités de faire la paix. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas : l'administration GW est toute entière engagée dans une guerre qu'elle n'a pas encore lancée, qu'elle prépare à outrance mais qu'il s'avère de plus en plus difficile de lancer.
Plus encore, enfin. Cette possibilité de mouvement de révolte a réellement une dimension révolutionnaire. Au-delà de toutes les considérations circonstancielles, il s'agit d'un mouvement qui met en cause l'organisation actuelle de la société au niveau de la communication, avec la création d'un univers virtualiste à la place de la réalité. Ce qui est révolutionnaire, c'est que cette révolte possible est aussi une révolte contre les structures mêmes du pouvoir tel qu'il a évolué dans nos sociétés modernes. C'est une perspective qui enterre tous les clivages dépassés et archaïques de droite et de gauche, y compris les dénonciations des dangers d'un autre temps (fascisme, communisme, etc).