Problème stratégique du jour : s’excuser ou pas ?

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Grande agitation autour, respectivement, des rebelles anti-Kadhafi en Libye, des chars à terre et des “friendly fires”, de l’OTAN et de sa stratégie, des capitales occidentales et de la question des excuses… En bref : deuxième “friendly fire” en une semaine de l’OTAN contre des anti-Kadhafi, des morts (13), un refus de présenter des excuses de l’amiral britannique qui est commandant en second de l’opération OTAN en Libye, grande émotion et grande agitation des politiques à Londres et à Bruxelles (siège de l’OTAN), grande agitation et grande amertume du côté des anti-Kadhafi.

Parmi d’autres, le Daily Telegraph du 9 avril 2011 rend assez bien compte de l’incident, qui se passerait plutôt au cœur du grand désordre que présente le bloc BAO que sur le sol même où se passent les combats, en Libye. En un sens, le texte est parfait finalement pour nous restituer cette chaîne étrange d’erreurs, d’irresponsabilités, de non-communication, d’indifférence et de chacun-pour-soi…

«The deputy commander of Nato's Libya operations said that alliance forces wrongly attacked the armoured column because they believed that the only tanks in use in Libya were part of Colonel Muammar Gaddafi's forces. Rear Admiral Russell Harding, the deputy commander, said Libya's opposition Transitional National Council (TNC) had given the alliance no notification that its forces are now using tanks. “I am not apologising for this,” said the admiral, a Royal Navy officer. “The situation on the ground was extremely fluid and remains extremely fluid. Until this time we had not seen the TNC operating tanks.”

»But William Hague, the Foreign Secretary, said that alliance commanders should say sorry for the incident. “I think we should say that it is deeply regrettable and I think when something like this happens it doesn't cost anything to apologise,” he said. “So I think we should apologise where there is error. If people are killed who are not attacking civilians then it is a mistake.”

»Anders Fogh Rassmussen, Nato's secretary general, later said he “strongly regretted” the incident. “This is a very unfortunate incident. I strongly regret the loss of life,” he said. “We have seen in the past that tanks have been used by the Gaddafi regime to attack civilians.”

»General Abdelfatah Yunis of the TNC called for a “rational and convincing explanation“ from Nato for the strike, which took place on the road between Brega and Ajdabiya. […] Gen Yunis said he assumed that Thursday's strike - the third such incident in recent days involving international forces – was “Nato by mistake, friendly fire”.

»Fearful that taking sides in a Libyan civil war would go beyond the mandate of protecting civilian lives, Nato commanders have not established directly links with rebel fighters. Shamsiddin Abdulmolah, the TNC spokesman, said that Nato should share information with the rebels. “It appears that there has been a breakdown of communication, perhaps due to the visibility on the ground... and that the positions of our tanks have not make clear to the NATO,” he said.

»Military experts said the incident demonstrated that Nato air strategy was setting up a stalemate between the two forces in the eastern desert. “The problem is Nato has no ground forces to verify,” said Henning Rieche, German Council for Foreign Relations. “There is plenty of room for misunderstanding and deception on both sides. There is plenty of room for improvement of communication with the rebels.”»

Un incident tel que celui d’un “friendly fire” est toujours regrettable, et les morts sont toujours un sujet d’affliction. Sans doute l’un ou l’autre commentateur, BHL par exemple, traitera-t-il le sujet. En attendant, force est d’observer combien cette affaire décrit bien et résume à merveille le désordre qui caractérise la crise libyenne étendue à l’OTAN et au reste.

On serait bien en peine de prononcer un réquisitoire ou d’accuser telle ou telle partie, pour fixer une responsabilité. Il est vrai que, comme dit le secrétaire au Foreign Office avec un sens exquis de l’à-propos, “cela ne coûte pas grand’chose de s’excuser”. Il est vrai également que la chaîne de commandement sans fin de l’OTAN, qui commande à des forces qui prennent leurs ordres de leurs commandements nationaux qui ont leurs propres préoccupations, laisse percer un agacement visible d’avoir à conduire une coalition qu’elle ne contrôle pas, pour effectuer des attaques selon des règles de contraintes extravagantes mais néanmoins impératives, pour “protéger les civils” sans donner l’impression de soutenir des forces rebelles dont on ne sait pas grand’chose puisqu’on ne communique pas avec elles, et dont l’équipement varie au gré des circonstances des 4x4 Toyota aux chars T-62 ou T-72 récupérés d’un arsenal des forces pro-Kadhafi. Les forces rebelles anti-Kadhafi, elles, montrent une irritation à mesure devant la parcimonie des attaques de l’OTAN, qui s’exercent ainsi aussi bien contre elles que contre les forces anti-Kadhafi. Et ainsi de suite, dans une chaîne elle aussi sans fin d’incertitudes extravagantes, d’erreurs involontaires, dans une situation sur le terrain sablonneux dont on ne cesse de nous dire qu’elle est “extremely fluid and remains extremely fluid”, – à peu près, on vous le donne en mille, comme du sable coulant entre les doigts. Les experts, eux, sérieux comme des experts, continuent à nous dire que les conditions de communication ne sont pas idéales pour coordonner une situation caractérisée par des contraintes diverses qui empêchent toute communication sérieuse. En bref, le colonel Kadhafi semble avoir emporté une incontestable victoire en imposant dans cette étrange crise libyenne le petit grain de sable de folie qui a toujours caractérisé son comportement.

Par conséquent, la crise s’enlise (bien sûr), et la guerre à mesure, au point d’ailleurs que le terme “guerre” sonne bien étrange en l’occurrence. Il n’y a aucun motif d’étonnement dans tout cela, ni la moindre raison de s’étonner. La crise libyenne, et la guerre qui va avec, évoluent parfaitement “selon les plans prévus”, à l’image de notre politique générale. Bien malin celui qui, aujourd’hui, retrouvera les fils du complot et des plans de conquête qu’il jurait avoir distingués il y a à peine trois ou quatre semaines. D’ailleurs, l’intérêt pour la crise libyenne et la guerre de Libye est en train de décroître à une vitesse vertigineuse, – c’est bien la seule nouvelle assurée de ces derniers jours. La Libye est en train de prendre place comme un élément de désordre courant de plus, sur une étagère bien fournie encombrée de vraies crises et de fausses guerres en cours et qui semblent ne jamais devoir finir.

La politique générale de la “communauté internationale”, ou bloc BAO pour les initiés, poursuit sa fulgurante équipée, à l’image des offensives de Rommel et de Monty en 1941-42, dans le désordre et le non-sens. Il est préférable, pour y comprendre quelque chose, de s’en remettre à une démarche intuitive la plus haute possible pour mieux distinguer la marque puissante des forces métahistoriques qui sont en train de précipiter les ambitions du Système dans un chaos qui finira par avoir raison de leurs nerfs à eux tous, aux présidents, aux amiraux, aux secrétaires généraux. Seul Kadhafi, aux dernières nouvelles, reste imperturbable.


Mis en ligne le 9 avril 2011 à 05H05

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