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653Quand il profane une tombe, le profanateur se profane d’abord lui-même. Par cet acte il se force à braver l’interdit de la mort, l’interdit du corps abandonné à la pourriture et au néant. En même temps, il veut blesser de façon irréparable ceux qui comme lui se tiennent coi devant le tabou, devant la superstition et l’angoisse qui veut que le corps soit le commencement et la fin de tout. Au fond, le profanateur et le profané « croient à la mort » au pouvoir de la mort et des morts sur les vivants.
Ce dimanche, vers 17h, les gendarmes ont été avertis que plus de 200 tombes avaient été vandalisées dans le cimetière juif de Sarre-Union qui en compte 400. Aucune inscription n'a été recensée mais «de nombreuses stèles sont à terre, des dalles horizontales ont même été soulevées», a expliqué Philippe Richert, président de la région Alsace ». A ce vandalisme, Manuel Valls réplique sur RTL ce matin : «Ce sont les fondations mêmes de notre République, de notre société et de notre civilisation qui ont été attaquées. Ceux qui ont fait cela vont savoir qu'on ne trouble pas impunément le sommeil des morts».
Programme ambitieux que notre république areligieuse, veille désormais « au sommeil des morts » et qu’elle cherche ses « fondations » dans la terre des cimetières. A force de coupler ses actes aux exigences confessionnelles, à la célébration de certains morts en en oubliant beaucoup d’autres, à force de chercher la parole forte qui fera date, qui résonnera à l’oreille de ceux à qui elle s’adresse, les mots dits par les hommes perdent de leur pouvoir de vrai. Odieux dit l’un, barbare réplique l’autre comme s’ils étaient eux, purs de toute barbarie, comme s’ils étaient eux des modèles de moralité et de justice à l’instar de Hollande, nouveau fan d’exécutions extra-judiciaires. Ils prononcent les grands mots et les superlatifs pour ne pas avoir à s’affronter à la dimension supra humaine que le laïcisme méconnait et entend méconnaitre. Les mêmes avaient été employés avec d’autres tout aussi grandiloquents, au moment de Charlie et du supercasher. C’est bien pourtant à cette dimension que nous sommes confrontés en France et en Europe, zones de civilisation où la vie et la mort ont perdu leurs raisons profondes, ce que des historiens appellent la «déchristianisation» de la société. Un profanateur de tombe ne peut l’être que parce qu’il vit dans un monde profane dépourvu de toute vision transcendante ou métaphysique. Et s’il profane au nom du sacré, de la religion, alors c’est une religion noire qui l’inspire sans qu’il le sache, celle dont les effets sont : aimer la mort, faire souffrir, faire mourir.
Nous savons tous qu’il en faut des morts pour changer le monde, que l’espèce humaine ne s’est explorée elle-même que par la transgression fondamentale du biblique «tu ne tueras point». Depuis qu’elle existe, pour satisfaire son hubris et son goût de sang, elle a produit des centaines de millions de morts. Ce que beaucoup d’entre nous ignorent ou ne veulent pas voir, c’est que la mort est «nourrissante», que la mort appelle la mort, que les morts même lorsqu’ils meurent à des milliers de kilomètres de nous, surtout s’ils meurent d’injustice et d’inhumanité, finissent par «se venger». Il faut des morts pour faire comprendre au monde qu’il est haïssable, il faut des morts pour nourrir ce monde qui aime la mort. Il faut des morts à tuer plusieurs fois si une est insuffisante. Et nous aimons tous la mort, quoi qu’on en dise, quand on dispose à ses pieds des bouquets. En même temps que Valls la vitupère cette mort, qu’il menace les profanateurs, un autre «mort» appelle de la Jérusalem terrestre des vivants à venir en Israël poursuivre une œuvre de mort. Alors Manuel s’énerve, regrette peut-être d’avoir eu cet énergumène à la manifestation du 11 janvier, réalise que ce qui est scandale pour l’un est bénédiction pour l’autre qui a besoin de «colons» pour «faire fleurir sa terre sans peuple» mais que la montée de l’antisémitisme en France va lui causer par résonnance des problèmes d’islamophobie, que le climat «raciste» va prospérer et que Marine tirera les marrons du feu.
Mais si maintenant nous voyons la chose du côté des vivants, des pas encore morts, de ceux qui ne pensent pas (pas encore) à leur euthanasie ou à celle de leurs proches. Serait-il déplacé de lui demander à ce Valls, de trouver odieux et barbare la vie bien éveillée celle-là des vivants chômeurs, smicards, SDF, parmi lesquels des milliers d’enfants, des miséreux de toute sorte qui peuplent désormais les rues de nos villes et n’ont d’autre perspective que de se coucher sur la pierre horizontale des trottoirs et d’y attendre une mort sociale en attendant celle du cimetière? Ces gueux là, ces maudits là, ces «Juifs» là au fond, ces pestiférés, n’auront eux jamais de stèles ni de dalles à laisser profaner, et leur «sommeil» dans nos cœurs refroidis sera bien plus profond que beaucoup d’autres. C’est pourquoi je suggère que si la République devait un jour se préoccuper des morts, de la «vie après la mort», du «sommeil» de ceux qui ne sont plus et qui pourtant troublent l’esprit de notre ministre, je souhaite qu’elle se choisisse plutôt un dieu des vivants qu’un dieu des morts, plutôt une voie de résurrection qu’un amour morbide des sépulcres blanchis.
Les horreurs que nous vivons aujourd’hui ne sont, pour l’essentiel, que la conséquence d’une politique de mort qui massacre, humilie et torture des millions d’hommes, de femmes et d’enfants au Moyen-Orient et ailleurs au nom de la «démocratie» et de l’«état de droit». Tant que cette politique inspirée par le plus grand pourvoyeur de morts de la planète depuis 1945, ‒j’ai nommé les Usa‒, sera poursuivie, nous aurons d’autres horreurs toujours plus horribles et peut-être préméditées. Nos réactions embarrassées, basées sur la répression et l’inintelligence des vrais problèmes, feront naitre de nouveaux fanatiques, de nouveaux tueurs, de nouveaux profanateurs. Il est renversant de voir que les gens qui nous gouvernent ne le comprennent pas. Ou plutôt hélas, je crois qu’ils le comprennent mais n’osent pas changer de politique parce qu’ils sont lâches, sans imagination, si bien qu’avec eux on a le déshonneur, les profanations et les vengeances, et qu’on aura la guerre.
Marc Gébelin
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