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367Boris Nicolaïevitch Eltsine était, en 1985, quand Gorbatchev commença ses réformes, un apparatchik bon teint qui mettait des bâtons dans les roues de tout ce qui pouvait ressembler à un désir de réforme. C’était un homme de la bureaucratie soviétique, gris et morne comme il y en avait des centaines de milliers, mais prompt sur la vodka, également comme des milliers d’autres. En 1987, il sentit le vent tourner, parce que Gorbatchev avait fait tourner le vent, au risque de se perdre. Eltsine comprit dès cet instant que la position la plus prometteuse, en un sens la plus “sécurisée”, était de se placer à la gauche (en termes occidentaux) de Gorbatchev et de renchérir sur ses réformes. Ainsi acquit-il sa réputation de libéral, qu’il étrenna au cours d’un voyage aux USA en 1988 où on le retrouva plus qu’à son tour roulant dans les caniveaux capitalistes. Le reste, comme disent nos amis britanniques, “is history” (sans traduction).
Ce pourquoi nous hésitons grandement à nous joindre au concert de louanges qui salue la mort du premier président démocratiquement élu, avec les usages habituels dans ce pays, de la Russie post-communiste. Les bravos adressés à Eltsine sont surtout de nature sentimentale et de nature intéressée.
• De nature sentimentale parce que c’est lui qui prit, au moment où la partie était à peu près gagnée pour les anti-putschistes, la tête de la résistance contre le putsch d’août 1991. Il eut quelques gestes audacieux qui vont bien pour les JT occidentaux de 20 heures. Dans tous les cas, la partie était gagnée puisqu’il manifesta cette audace en montant sur un char anti-putschiste pour haranguer une foule sympathisante, ce qui indiquait que l’armée, intervenue à Moscou, ne marchait pas dans le putsch. Cette vision sentimentale est celle de Mary Devjevsky, dans The Independent du 24 avril : «It is the classic historian's question: do individuals or impersonal forces move nations? Anyone who saw Boris Yeltsin, as I did, descend the steps from the Russian parliament and clamber on to the tank to address a message of defiance to the small crowd of Muscovites below, will retain not a sliver of doubt. Individuals move nations — brave, foolhardy, strangely guileless individuals, such as Boris Nikolaevich Yeltsin.»
• De nature intéressée, parce que c’est lui qui a introduit le capitalisme en Russie. En passant, il a laissé massacrer cette nation à un degré inouï, bradant ses richesses et les restes de la puissance soviétique. Ce Eltsine-là est une de ces créatures dont l’Histoire fourmille, pas vraiment méchant, intéressé, sans scrupules, sans aucun sens de la puissance régalienne de l’Etat, — bref, apparatchik communiste reconverti typique, — et preuve, une de plus, de l’extrême proximité entre communisme et capitalisme. A cet égard, le texte de Justin Raimundo sur Eltsine, aujourd’hui sur Antiwar.com, nous rafraîchit judicieusement la mémoire :
«Corruption, crony capitalism, and Russia's near-demise
Communism wounded Russia, grievously, almost irreparably — and Yeltsinism delivered the death blow. The legacy of Boris Yeltsin, who presided over what Paul Klebnikov described as “one of the most corrupt regimes in history,” is, quite literally, the death agony of the Russian nation. As David Satter pointed out in the Wall Street Journal:
»“Between 1992 and 1994, the rise in the death rate in Russia was so dramatic that Western demographers did not believe the figures. The toll from murder, suicide, heart attacks and accidents gave Russia the death rate of a country at war; Western and Russian demographers now agree that between 1992 and 2000, the number of ‘surplus deaths’ in Russia–deaths that cannot be explained on the basis of previous trends — was between five and six million persons.”
»The Yeltsin era was marked by a precipitous fall in living standards, but some prospered. Given privileged access to ''privatized'' state property, the clique around Yeltsin amassed fantastic wealth. The one who perhaps profited the most was Boris Berezovsky, whose methods were described by Klebnikov:
»“Using his access to the highest officials of the Russian government and his reputation as a close friend of the Yeltsin family, Berezovsky hammered away at the privatization projects that would put key state industries in his grasp.”»
Cela dit, et pour ne pas être en reste dans le courant des renversements paradoxaux, peut-être Boris Nicolaïevitch fut-il tout de même utile. Il acheva de briser effectivement tout ce qui restait de l’URSS, notamment le complexe militaro-industriel, et compléta ainsi paradoxalement l’œuvre (par ailleurs en partie involontaire, paradoxe pour paradoxe) de Gorbatchev. Le choc épouvantable qu’il asséna à la Russie, la barbarie qu’il lui imposa, furent tels que tout cela conduisit à une réaction, un sursaut, dont Poutine est le porte-drapeau. En un sens, il vaccina la Russie contre la pourriture capitaliste en lui mettant le nez dedans. Bien sûr, tous nos penseurs occidentaux bondissent à cette évocation comme des cabris : Démocratie ! Démocratie ! Démocratie ! Mais nous parlons de choses sérieuses, nous parlons d’une grande nation qui revit. Comme les vieux guerriers (dixit MacArthur), les vieilles nations ne meurent pas, au pire elles s’effacent pour un temps…
Mis en ligne le 25 avril 2007 à 12H17
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