Protectionnisme et hypocrisie

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Qui oserait prononcer ce mot sinon pour le maudire? Tout le monde le maudit, tout le monde y pense, tout le monde le pratique, un peu, beaucoup, hypocritement. Cette suite de deux phrases, dans le Figaro du 14 février, à propos du sommet du G7, résume le problème de la cohabitation du protectionnisme et de l’hypocrisie.

«Les ministres des Finances et les banquiers centraux des sept pays […] s'engagent également à ne pas céder au protectionnisme, alors que la crise s'aggrave. Les Etats-Unis, à cause de la clause “Buy American” […] contenue un temps dans le plan de relance, et la France, pour ses aides au secteur de l'automobile, ont été très critiqués à ce sujet.» Ainsi les sept refont-ils, car l’engagement ne date pas d’hier, le serment de continuer à ne pas faire ce que deux d’entre eux font un peu plus ouvertement que la plupart des autres. Et le titre du Figaro n’hésite pas à affirmer ce qui est évidemment faux, c’est-à-dire dépassé puisqu’ils y cèdent tout de même («Le G7 ne veut pas céder au protectionnisme»).

Manifestement, des deux “fautifs” un peu plus fautifs que les autres, ce sont les USA qui préoccupent le plus les observateurs divers, nationaux et internationaux. Les considérations sur la clause Buy American incluse dans le “plan de stimulation” que Barack Obama va signer comme loi de la Grande République, après le vote du Congrès, sont en général préoccupées, sinon furieuses. La clause Buy American est évidemment préoccupantes, par rapport au diable qu’est le protectionnisme, dans la mesure où elle introduit ce diable à peine maquillé dans une législation, dans un pays aussi formaliste que les USA.

• Il y a notamment une réaction de la Chine, par l’intermédiaire de son agence officielle, qui montre la sensibilité de ce pays très gros exportateur, et exportateur de plus en plus critiqué lui-même, à la question du protectionnisme. Selon Reuters, le 14 février : «China's official Xinhua news agency slammed the “Buy American” requirement of the U.S. economic stimulus package, saying in a commentary that trade protectionism is a “poison” that will harm poor countries.» (Vendredi 13 février, après le vote du Congrès, le Premier ministre canadien a également exprimé sa préoccupation. Le Canada se demande comment la clause va s’accorder précisément avec l’accord de libre-échange ALENA qui régit ses rapports commerciaux avec les USA.)

• Aux USA, ce même 14 février (toujours selon Reuters), une association professionnelle (la CEA, ou Consumer Electronics Association) a estimé que la clause Buy American allait conduire à une guerre commerciale. Son président a fait bon marché de la disposition introduite à la demande du président Obama sur le respect des engagements internationaux («The promise that the 'Buy American' provisions keep with the letter of World Trade Organization commitments is a meaningless gesture – it contradicts recent statements by both President Obama and G-20 leaders to avoid protectionism, which exacerbate the global economic crisis,»). Il est vrai qu’en cette matière d’un conflit entre une législation nationale et un engagement international, lorsque des cas litigieux se présentent, les tribunaux US ont évidemment, et d’ailleurs fort naturellement, l’habitude de privilégier la législation nationale.

«The Consumer Electronics Association (CEA) has warned that ‘Buy American’ provisions in the economic stimulus bill could make the United States vulnerable to a trade war. “The ‘Buy American’ provisions in the stimulus bill will signal to our trading partners around the world that the United States is returning to the bad old days of protectionism and economic nationalism,” CEA president Gary Shapiro said in a statement. ”Rather than stimulate the American economy, these provisions will lead to retaliation from abroad and cost precious jobs in the United States,” said the head of the association representing some 2,200 electronics companies.»

La question du protectionnisme, ce diable en personne, ne nous paraît pas devoir être tranchée sur le fond. La situation ne le permet pas ni ne le recommande, dans la mesure de sa complexité et de sa diversité, dans un temps d’une crise sans précédent, s’aggravant à une rapidité extraordinaire, exerçant une pression d’une très grande force. La situation fait qu’il existe des occurrences où le “droit à la protection” peut être soulevé et appliqué sans pour cela nous faire tomber dans les flammes de l’enfer protectionniste, où un seul mot justifie l’excommunication. On préférera situer le problème dans un autre champ. La question est alors essentiellement celle du protectionnisme et de l'hypocrisie, – d’un côté en faire plus ou moins, de l’autre côté signer tous les engagements du monde de n’en pas faire.

Dans cette situation terrible et confuse où les mesures sont prises dans l’urgence et sur un rythme quotidien, il est assez clair que leur monde idéal à l’étiquetage diabolisante facile, où le diable est tenu à distance à coup d'anathèmes, est une fiction complète et stupide, et dévastatrice. Affirmer hautement que le diable est effectivement tenu à distance alors qu’il ne l’est pas, et d’ailleurs constatant parallèlement qu’il ne l’est pas, relève de l’hypocrisie érigée en système de pensée, caractéristique de notre époque enfermée dans un conformisme terroriste. Cette situation ne peut qu’accroître les tensions, les soupçons, les accusations, les mésententes entre les pays, alors que l’on proclame la coopération comme première nécessité pour lutter contre la crise. La réelle gravité de la question du protectionnisme aujourd’hui est dans ce que l’esprit fermé de l’idéologie interdit d’aborder la question du protectionnisme pour ce qu’elle plutôt que selon son appréciation terroriste. Quoi qu’on pense du protectionnisme et qu’on veuille à son propos, cette attitude fait qu’on s’interdit des arrangements temporaires, des compromis éventuels, et, d’une façon générale, qu’on détruit toute possibilité de mettre en place un climat plus favorable pour la lutte générale contre la crise.

Mais on dira aussi bien que cette hypocrisie générale érigée pour protéger le diktat de l’idéologie est aussi une partie importante de la crise. Notre incapacité intellectuelle d’organiser une lutte éventuellement efficace contre la crise, notamment en établissant une coopération loyale prenant en compte toutes les réalités, comprise celle du protectionnisme plus ou moins exercé, fait partie de la crise; c’est même une des parts essentielles de notre impuissance face à la crise, et elle relève de notre vision corrompue et faussaire du monde. Pour ce cas, selon notre règle générale de comportement, nous avons choisi un diable véritable (l’hypocrisie) pour pouvoir dénoncer un diable qui est le produit du diktat de l’idéologie (le protectionnisme). Cela aussi, nos choix catastrophiques, c’est la crise. Finalement et puisque tout s’explique, nous avons la crise que nous méritons.


Mis en ligne le 16 février 2009 à 07H34

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