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17 septembre 2005 — Diverses sources anglo-saxonnes font beaucoup de commentaires sur les récentes initiatives du gouvernement français en matière d’ “économie patriotique”, — selon l’expression choisie pour les qualifier. C’est le Premier ministre français Dominique de Villepin qui s’est fait le champion de cette tendance. Dans notre commentaire, nous laissons de côté l’aspect électoral (qui concerne essentiellement Villepin et ses ambitions) et n’envisageons que l’aspect de substance de l’initiative. L’un n’exclut pas l’autre, contrairement aux raisonnements des esprits fermés. Charles de Gaulle l’a dit mieux que personne dans ses Mémoires de guerre : « Tout, un jour, peut arriver, même ceci qu'un acte conforme à l'honneur et à l'honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique. »
Bien, — la transition est parfaite : cette initiative de Villepin est largement reconnue comme d’esprit néo-gaulliste. Pour autant, elle n’est pas révolutionnaire ni sacrilège dans notre époque, malgré les apparences, sinon justement par le langage qui appelle un chat un chat. Comme le notent, le 15 septembre, sur le site PINR, Erich Marquardt et Federico Bordonaro, « While Paris' rhetoric is very bold, in the end the French policy is similar to unspoken protectionist policies in other states with advanced economies, as was most recently seen in the protectionist bid by the U.S. and the E.U. against Chinese textile imports. ».
Au reste, tout le monde ne parle que de cela: protectionnisme, isolationnisme, etc. (Mots à peine différents, situations proches sinon similaires, même façon d’y répondre.) L’époque est à la perspective de “guerres de survivance” face à des dangers incontrôlables pour l’être humain et les forces politiques qui le représentent. Le repli sur la dimension nationale est également en grande vogue. (Erich Marquardt et Federico Bordonaro encore, pour terminer la citation faite ci-dessus : « … The important difference, however, is that the protectionist actions in the face of increased Chinese textile imports were taken by the E.U. as a whole, whereas Paris' “economic patriotism” idea is distinctly French. » Là, cela doit être précisé: pour “distinctly French”, lisez: “gaulliste”.)
Une récente mesure divulguée en France (le 31 août) est la protection de dix secteurs industriels qualifiés de “stratégiques”. (Marquardt et Bordonaro en parlent dans leur texte : « As reported by Les Echos, the protected industries include defense, biotechnology, space technology, telecommunication companies, casinos, encryption, IT security, and antidote production. ») Parmi ces secteurs, l’un des plus évidents est certainement la défense. De façon assez caractéristique, la nouvelle dans ce sens n’a ni étonné, ni été jugée défavorablement. Defense News du 9 septembre rapporte de façon significative: « Alex Ashbourne of Ashbourne Strategic Consulting, London, said the list would reinforce American concerns about doing business with French companies. “This is completely understandable, but it confirms in the American mind that France is not an open market,” she said. » (Et réciproquement, pourrait-on ajouter à propos du marché américain...)
Defense News développe essentiellement, par le biais d’interviews, l’idée de la difficulté que les Français auront à appliquer leurs décisions en raison des situations de diverses entreprises à dimension européenne, où se trouvent impliqués des participants non-français. Cet obstacle bien compréhensible n’est nullement présenté comme une critique de la mesure. D’autre part, on pourrait en tirer argument, au contraire, pour avancer qu’il était temps que les Français prennent les mesures qu’ils ont décidées.
On pourrait conclure de tout cela qu’il n’y a rien de bien nouveau dans l’esprit de la chose, que la seule nouveauté c’est l’habillage… Effectivement, c’est l’essentiel. C’est la présentation qui est faite de cette poussée protectionniste qui est intéressante, parce que notablement politique. Il y a chez les Français une absence de dissimulation. C’est le produit de la rationalité française, le besoin de logique et, par conséquent, l’absence de machiavélisme. Ce qui paraît à première vue une vertu ne l’est pas nécessairement : manquer de machiavélisme représente, dans nombre de circonstances, une faute politique. Puisqu’on ne peut qu’accepter le fait, il faut voir dans quelle mesure il peut être rattrapé par un avantage.
L’attitude française n’est pas loin d’être unique de ce point de vue de la présentation qui en est faite. Il s’agit d’une décision, avec la plaidoirie qui va avec, d’un retour à un protectionnisme (un protectionnisme sélectif et postmoderne concernant les matières importantes, ou “stratégiques”, de notre époque), alors qu’en général les autres pays qui pratiquent cette politique la dissimulent complètement en continuant d’arguer vertueusement, et parfois d’une manière terroriste contre les autres, en faveur de l’hyper-libéralisme.
Les Français écartent le fait moralement condamné par le conformisme régnant du protectionnisme mais ils ne dissimulent pas le fait lui-même. Ils l’habillent du terme de “patriotisme économique” qui a un sens réel, qui recouvre une réalité. Au bout du compte, cette nécessité dialectique a du sens et peut apparaître comme vertueuse par sa dimension incontestablement civique. Elle rejoint une dialectique “néo-gaulliste” qui a aujourd’hui, elle aussi, tout son sens face à la débâcle européenne et qui est par conséquent complètement justifiée. Elle répond sur le fond au vote du 29 mai, bien plus, par exemple, que des mesures pour résorber le chômage (même si celles-ci sont à la fois utiles et nécessaires). Elle rencontre une problématique essentielle et fondamentale, une problématique stratégique qui influence directement les relations internationales.
L’important est de voir si cette initiative est solitaire ou à contre-courant, dans la dimension essentielle de sa présentation et de l’impulsion politique qu’implique cette présentation. (Nous écartons bien sûr les analyses convenues, accordées au conformisme, qui la condamnent aveuglément et par principe, sans chercher à la comprendre. Ces analyses souffrent de leur manque de substance.) Nous rejoignons Erich Marquardt et Federico Bordonaro, qui exposent que l’initiative française est non seulement accordée à un courant nouveau mais qu’elle pourrait apporter à ce courant un dynamisme significatif au point de modifier les perspectives. Dans le désarroi et la confusion actuels qui naissent justement de l’orientation hyper-libérale sans contrôle, c’est une orientation d’une fermeté inhabituelle qui a de bonnes chances de rallier des hésitations et des incertitudes.
« France's turn toward protectionism follows a global pattern where states with advanced economies are shielding their domestic industries from foreign competition and from potential state rivals.
(...)
» After decades of dominating political discourse, economic liberalism looks now in a crisis because important decision-makers (such as in France) perceive it as fiction that conceals the hard reality of economic warfare and power relations among states. If France's republican and social-democratic traditions form an axis with the neo-Gaullist right-wing and prevail in the short/medium term over the neo-liberal reformists, look for a new social and political bloc to take shape around the “economic patriotism” policy in France, with considerable consequences for the European Union as a whole. »