Psychanalyse de la tentation de l'attaque

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Que choisir ? Attaque ou pas attaque ? Guerre ou pas guerre ? On lit aujourd’hui, dans Ouverture libre, deux argumentations contraires et, somme toute, aussi acceptables l’une que l’autre.

Le débat est archi-éculé, depuis 5 ans que l’Occident débat tranquillement de la possibilité d’une attaque contre l'Iran, débat agrémenté périodiquement par l’annonce assurée que l’attaque va avoir lieu. Il nous paraît impossible d’asseoir une opinion selon des données “rationnelles”, autant techniques que politiques, pour un débat dont l’aspect extraordinaire et grossièrement réduit à l’argument de la seule puissance et au moteur de la seule arrogance occidentaliste brouille justement toute soi-disant “rationalité”. L’affaire iranienne est plutôt, de notre point de vue, un signe indubitable de la “crise de la raison humaine” telle que nous la percevons comme facteur central de la situation générale du monde.

@PAYANT Le caractère remarquable des deux textes cités est qu’ils démontrent chacun une thèse en fournissant parallèlement des arguments contre leur thèse, qu’ils mentionnent dans la rubrique “profits et pertes”. Borchgrave nous dit finalement que c’est l’accumulation de défaites et de faiblesses (les déroutes d’Irak et d’Afghanistan, la position intérieure très affaiblie du président Obama, l’affolement des régimes arabes corrompus pro-US) qui pourrait conduire à la décision d’une attaque. Copley nous montre l’absurdité d’un conflit tout en glissant, en une phrase, l’argument fondamental qui pourrait mettre en échec toute sa démonstration : «Of course, it is entirely possible that the “war hysteria” could drive political actions which are, in fact, irrational…»

Dans tous les cas, on comprend bien que nous nous référions à la “crise de la raison humaine” car tous les arguments en faveur du pire, qui est effectivement la possibilité d’une attaque, renvoient à une psychologie épuisée sinon en déroute, au constat que la situation du statu quo est intenable alors que la possibilité d’un Iran nucléaire (qui n’est tout de même qu’une hypothèse intéressée, sinon hystérique) est pareillement insupportable. Nous nous trouvons ainsi dans un débat où toutes les tensions, toutes les déformations de cette “psychologie épuisée”, déforment les réalités et accentuent la crise d’une raison qui tourne à vide et produit désormais le contraire de ce qu’elle était censée nous apporter en fait d’équilibre, d’harmonie et du contrôle des affaires humaines. La crise iranienne est très particulière en ce sens qu’il s’agit sans aucun doute de la crise la plus irrationnelle dans le sens des réactions émotionnelles, de pure réflexivité pavlovienne, de préjugés raciaux et ethniques déguisés, et en même temps il s'agit de la crise la plus “habillée”, la plus chargée dirait-on, de raison, d’arguments techniques, d’une technicité minutieuse et tatillonne comme peuvent l’être certains traités, notamment nucléaires. Le paradoxe grossier semble en être la façon d’être. Entendre un Netanyahou arguer qu’il faut empêcher les mollahs d’avoir la bombe parce qu’ils sont “irrationnels”, alors que les mollahs n’ont jamais déclaré vouloir la bombe et que ce type, Netanyahou, est l’archétype de ce qui se rapprocherait le plus d’un psychopathe déguisé en Premier ministre, mesurent les tensions extraordinaires auxquelles sont soumises nos psychologies.

La crise iranienne est sans doute le degré ultime d’affrontement entre le virtualisme militaro-humanitariste et postmoderniste du bloc occidentaliste-américaniste, et la réalité avec ses complexités diverses, ses demi-teintes, etc. Si l’on voulait faire des observations psychanalytiques en fonction de ce que nous jugeons absolument être des pulsions auto-suicidaires d’un système virtualiste qui se heurte à une réalité à la fois rationnelle et supra-rationnelle (nous insistons sur cette dualité, pour tenter de dépasser la seule “raison humaine” qui nous a conduit, toute seule, comme une grande, à la catastrophe présente, et qu’on ne peut prendre comme seule référence dans ce cas), – s’il le fallait, nous désignerions sans aucun doute l’Iran comme champ idéal pour l’accomplissement d’un tel destin.

Le tout est complété par l’obsession du système du technologisme qui domine notre pensée, qui est sans aucun doute une manifestation d’une dimension maléfique dans le développement de l’aventure terminale actuelle. Cette obsession est à ce point qu’un analyste comme Copley, qui est pourtant du domaine des postmoderniste, finit par baisser les bras en conclusion de sa démonstration à l’idée de notre obsession pour ce déchaînement de la matière et l’absence de hauts esprits, ou d’esprits moyennement hauts disons, dans nos rangs occidentalistes et américanistes… Lorsqu’il parle de sa solution, d’ailleurs contestable mais tout de même plus élaborée qu’un largage de bombes, pour faire évoluer le régime de Téhéran conformément aux normes occidentales : «But this, by its nature a covert and deniable process, lacks appeal in the technology-driven mindsets of the cyber-geeks who now dominate Western policy processes. Even absent their technology fixation, the corridors of power in the West do not resound to the footsteps of historians and grand strategists.»

Il y a, effectivement, une sorte de fascination de la catastrophe dans la manufacture absolument futile d’une argumentation de rationalisation extrêmement fournie, extrêmement précise, – extrêmement rassurante, si l’on veut, – d’une activité anti-iranienne dont l’extrême de la logique est évidemment l’attaque, dont toute notre capacité de prospective nous dit qu’elle aura nécessairement des effets catastrophiques, – et qui les produirait donc dans ce sens, si l'attaque a lieu, que ces effets soient ou non “objectivement” catastrophiques, parce que cette perception précède la source qui aurait dû la susciter. Notre pauvre raison humaine semble de plus en plus incapable de concevoir autre chose que cette issue. On pourrait éventuellement considérer tout cela, avec des arguments bien plus solides que ceux qui nous annoncent une bombe iranienne, comme une tentation de “suicide”, si le mot était admis par l’académie des bons sentiments postmodernistes.


Mis en ligne le 13 juillet 2010 à 15H49