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764Evidemment, la réunion du G7 de Washington terminé par un communiqué martial fait de 5 points austères, sans les chichis insipides et habituels, avec comme mot d’ordre une marche sans faiblesse vers la nationalisation des banques sur fond d’interventionnisme étatique sans restriction, voilà un événement qu’il faut observer dans sa dimension la plus importante. Il s’agit d’un retournement formidable de la conception centrale qui fonde la pensée dominante aujourd’hui, – la pensée économique, – et d’une trahison roborative et sans la moindre précaution formelle de ce qui a gouverné cette pensée jusqu’ici, et de quelle façon impérative, – dito, le modèle anglo-saxon.
D’une certaine façon, les plus surpris sont ceux qui sont le moins naturellement inclinés à épouser ce modèle, c’est-à-dire les Français. Alors qu’ils clament depuis si longtemps et avec des fortunes bien diverses la nécessité pour leur vieux pays soi disant si démodé de se débarrasser du boulet de sa tendance historique de l’interventionnisme étatique, avec le goût des nationalisations qui va avec, et de s’adapter autant que faire se peut au “modèle anglo-saxon”, voilà qu’arrive ce que tout le monde sait. La persistance et la puissance du phénomène du rejet du modèle anglo-saxon par les Anglo-Saxons ne cesse de susciter des réactions françaises, où la surprise a sa place.
Le Figaro rapporte le 11 octobre des réflexions et des déclarations de la ministre française des finances, madame Christine Lagarde.
«Concernant la réunion du G7, qui s'est entendu vendredi à Washington sur un cadre commun de mesures face à la crise financière, Christine Lagarde a mis en avant la “détermination de tous les pays à ne laisser tomber aucun établissement financier”. Elle a reconnu qu'elle n'aurait jamais envisagé une crise d'une telle ampleur: “Je n'aurais jamais imaginé qu'en l'espace de quelques semaines, l'ensemble des banques d'investissement disparaissent de la place financière, que le gouvernement américain, républicain de surcroît, investisse au capital de ces banques, je n'aurais imaginé un tel appétit de régulation et un tel souhait de l'intervention de l'Etat dans le domaine financier”, a-t-elle expliqué.»
Ce propos n’est pas absurde ni un signe quelconque de faiblesse d’esprit. Certes, la ministre n’a pas montré une grande sagacité dans la prévision, – notamment lorsqu’elle déclare, le 20 septembre, après l’annonce du plan Paulson, que «la crise systémique est derrière nous». Elle n’est pas la seule. Nous-mêmes, après tout, croyions que cette mesure washingtonienne ferait tomber (temporairement) la tension paroxystique de la semaine de crise que nous venions de vivre, – sans pour autant, nous-mêmes, croire au trépas de la crise systémique, – mais cela est une conviction que nous affichons depuis longtemps. La durée, la puissance, la rapidité de cette crise et les conséquences de l’évolution des esprits qu’on observe ont constitué, dans le détail et la chronologie des événements, une surprise considérable.
Après tout, nous aussi partageons cette surprise de la ministre, précisément devant cette extraordinaire volte-face des Anglo-Saxons, devenus en trois semaines de fermes et intransigeants partisans de l’interventionnisme étatique. Il nous paraît déraisonnable d’y voir une manœuvre, d’une habileté quasiment diabolique, une nouvelle machination anglo-saxonne ou quelque chose de cette sorte. Il y a, au contraire, quelque chose de profondément significatif dans cette volte-face, dans les conditions où elle se fait, avec la force des pressions et des contraintes qui s’exercent. Nous voulons dire que cette force, par les pressions qu’elle exerce sur les psychologies, tend à faire ressortir des attitudes restées cachées. Il pourrait s’avérer que la résistance des partisans du néolibéralisme soit notablement moins forte que celle des partisans de l’interventionnisme étatique qui, depuis des décennies, ont opposé une résistance pas à pas à la poussée néolibérale; cette hypothèse répondrait à un schéma souvent rencontré dans les composants du système, qui marient le contraste d’une très grande puissance lorsque le succès est rencontré, avec une extrême fragilité en cas de revers.
Notre suggestion exploratoire est qu’on doit également envisager l’hypothèse que la puissance de cette crise a eu un effet libérateur sur certaines psychologies de dirigeants, y compris et surtout anglo-saxons, sans aucune préoccupation de cohérence pour l'orientation qu'implique cet effet. Nous pensons à Gordon Brown, qui a pris en main avec une extrême alacrité une bataille qui a commencé par ce que le Guardian a nommé “la socialisation de le City”. Après son départ du 10, Downing Street, Tony Blair avait confié à son ami Peter Mandelson que Brown, cette espèce d’ours, resterait effacé et refermé sur lui-même jusqu’à ce qu’il trouve une cause sérieuse à défendre, et qu’alors il serait redoutable. Ce soudain basculement traduit pour les dirigeants par la nécessité d’un Etat puissant par rapport aux forces financières, sans préjuger du résultat de ce basculement, est un événement d’une force suffisante pour déclencher de tels changements chez ces mêmes dirigeants. La chose est particulièrement valable pour les Anglo-Saxons, essentiellement pour les Britanniques, dont on connaît la souplesse morale et leur souplesse d’esprit vis-à-vis de la morale, jusqu’au plus complet mépris pour les réalités douteuses qu’exposent leurs contradictions lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts nationaux. Dans le cas qui nous occupe, les conséquences diverses, y compris politiques, sont à la fois considérables et imprévisibles.
Mis en ligne le 11 octobre 2008 à 23H43
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