Psychologie de BHO

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Psychologie de BHO

28 janvier 2009 — La première interview télévisée de Barack Hussein Obama devenu président est allée à la chaîne arabe Al Arabiya. Elle a été réalisée lundi. Le fait même d’une première interview du président US allant à une chaine arabe, dans les circonstances générales que nous connaissons, est remarquable en soi. Le contenu de l’interview (voir la transcription dans le Los Angeles Times du 28 janvier) a certainement quelque intérêt bien réel sur l’approche qu’Obama privilégie dans les rapports, qu’il voudrait certainement renouvelés de fond en comble, des USA avec le monde musulman. Il y a notamment une appréciation des déclarations d’Obama par Steve Clemons, sur son site The Washington Note (TWN), le 27 janvier 2009.

Le fait est que c’est beaucoup moins le contenu de ces déclarations qui nous intéressent, que la manière dont l’interview a été décidée. Nous nous y intéressons, pour ce qu’elle semble nous dire du comportement et de la psychologie d’Obama. Nous pouvons songer à le faire parce que, justement, le même Steve Clemons met en ligne, également le 27 janvier, un rapport sur les circonstances qui ont conduit à l’interview. Ce rapport est manifestement, notamment, un récit fidèle des péripéties qui ont mené à l’interview. Il nous semble manifeste que Clemons a obtenu ces détails de la meilleure source, probablement le journaliste d’Al Arabiya, Hisham Melhem, lui-même.

«Hisham Melhem, Washington Bureau Chief for Al Arabiya, was trying to chase down an interview with former U.S. Senator and new presidential envoy to the Middle East George Mitchell. Pounding all of his channels, friends, networks, Melhem was informed Sunday that “something” might be in the works – but keep expectations modest.

»By Monday morning [26 January,] Melhem was told that he'd likely get Mitchell, and then later in the morning, he received a call telling him that he'd “either be very happy, or made misérable” by what the White House was planning. And then Melhem was asked if he would like to interview President Barack Obama at 5 pm Monday – but that the bureau would have to keep the interview secret until it happened. The Al Arabiya Bureau Chief said that was not a problem and that he'd adjust his schedule – with enormous grin accompanying his response.

»Al Arabiya is part of a major Arabic news network, considered second in global coverage to Al Jazeera, which may yet see a nod from the Obama administration down the road – but seeing that George W. Bush may have joked and/or been serious about bombing an Al Jazeera office in Baghdad, Al Jazeera may still be too much of a leap for the bounding forward new US President.

»Obama's exchange with the Al Arabiya journalist, which was only supposed to last about six or seven minutes got extended a bit as press secretary Robert Gibbs saw how well it was going.

»This interview is the initial punctuation point in Obama’s global public diplomacy. By most accounts, Obama's decision – shocking to some, refreshing to others – to talk to the Muslim world in his first formal, sit down press interview hit the ball out of the park.»

Les autres considérations de Clemons sur Obama sont extrêmement laudatives, tant sur son comportement à cette occasion que sur le contenu de l’interview, qui semble effectivement s’avérer moins abrupt, primaire et manichéen que l’habituelle phraséologie présidentielle et officielle US depuis sept ans. Clemons emploie le terme de “brillant” pour qualifier Obama et salue ce qu’il considère être comme une nouvelle approche des affaires du Moyen-Orient, voire des affaires extérieures en général. Il emploie les termes de “humble” et de “respectueuse” pour caractériser la façon dont Obama semble considérer les problèmes des musulmans, le comportement des musulmans, notamment au Moyen-Orient, tels qu’il les aborde.

«Presidents – in the right period of their presidencies – can make and shape their own reality. They do so at their peril because someone could eventually demonstrate a gap between the fiction the President is creating and the reality everyone else is grounded in.

»But Obama gets to make his own reality at the moment – and is imposing it – in a respectful, humble, and powerful way. His style matters – just like Bush's swagger did – and it is this act of humility towards the Muslim world which may animate hope in the nations around the world and in the Middle East specifically.»

Ces dernières observations sont intéressantes, d’une façon générale certes, mais aussi pour notre propos qui est, on va le voir, essentiellement psychologique. C’est en effet à un exercice d’appréciation de la psychologie du président US que nous allons nous livrer. La chose nous paraît encore plus importante que les lignes et le style politiques qu’il laisse entrevoir, parce qu’elle est évidemment inhérente à l’homme; les lignes et le style politiques sont des choses importantes et de très bonnes chose lorsqu’elles apparaissent à la lumière considérée ici, mais ce sont aussi des choses bien relatives, sujettes à des modifications, des incurvations, des changements, qui peuvent également échapper au contrôle du président, etc.

Une improvisation “créatrice”

L’appareil washingtonien, surtout celui qui accompagne, entoure, encercle, voire emprisonne le président, que ce soit l’appareil de sécurité ou l’appareil de communication, est d’une impitoyable rigueur, extrêmement lourd et contraignant, très difficile à contourner ou à transgresser. Ce que nous rapporte Clemons, pourtant, ressemble bien à une improvisation “créatrice”, prenant à contrepied toutes les dispositions classiques.

Il n’y a aucune sollicitation initiale de la Maison Blanche, mais le chef de station d’Al Arabiya qui tente un coup journalistique en sollicitant une interview de l’envoyé spécial du président au Moyen-Orient, l’ancien sénateur Mitchell. Il n’est pas question, dans le chef de Hisham Melhem, d’espérer “avoir” Obama. Ce n’est pas que la chose est impensable en théorie mais que rien n’est préparé, qu’on en est encore au tout début de l’administration, qu’il y a, justement, l’appareil de sécurité ou l’appareil de communication pour veiller au grain et éloigner le plus possible toute possibilité de communication non préparée, non “contrôlée” du président. Voilà pourtant que la Maison Blanche, qui “contrôle”, elle, la demande de Hisham Melhem, saisit l’opportunité pour suggérer une interview d’Obama. Il est évident que la chose est venue directement d’Obama, qui a été consulté sur l’opportunité d’une interview de Mitchell. La chronologie et les détails de cette affaire sont révélatrices.

Il s’agit moins, à notre sens, d’une question de méthode minutieusement calculée, que de psychologie. La minutie et le calcul, dans ce cas, n’ont guère le temps de prendre leur temps. Il s’agit d’une réaction de caractère, rapide mais mesurée, d’une opportunité saisie par une psychologie qui est avertie des pesanteurs du système mais qui n’en est pas encore véritablement prisonnière, qui veut s’en garder, qui entend même, par tel ou tel comportement, marquer son territoire autant qu’établir ses distances. Cela, effectivement, concerne la psychologie d’Obama. La chose est renforcée par le jugement plus général que nous portions sur Obama, lui-même étant supposé être ce que nous désignons dans un texte du 25 novembre 2008 comme “un homme politique postmoderne”, dégagé des pesanteurs du choix idéologique par une éducation politique dans une époque où le système dominant s’estimait lui-même dégagé de ce choix par sa soi disant victoire idéologique; donc plus libre d’agir, cet “homme politique postmoderne”, dans le sens des opportunités qui se présentent à lui, dans une situation où ces opportunités, à cause de la déroute du système, vont plutôt contre les intérêts, ou, dans tous les cas, contre le conformisme contrôlé du système.

On a déjà eu l’exemple de cette “situation” de la psychologie d’Obama, lors de l’l’incident dit du “Bittergate”, en avril 2008. A cette occasion, certains avaient avancé la remarque d’une certaine absence d’intégration d’Obama dans le système. Le 15 avril, Dan Lieberman décrivait Obama, dans OnLine Journal, comme «[a] relatively new personality who is still not integrated into the established Democratic Party leadership».

Il s’agit là encore d’une “situation” de la psychologie, pas des traits psychologiques d’un véritable caractère. Il y a également qu’Obama pourrait effectivement être un de ces caractères, ce qui correspond aux remarques souvent entendues sur son comportement psychologique, son détachement, une certaine froideur ou un certain calme distancié («He seems sometimes to be looking at the election from the outside. He sometimes seems to be standing back and marking his nation like an independent assessor….», écrivait Daniel Finkelstein dans le Times du 16 avril 2008). Cet aspect du caractère renforcerait sa “situation” ou, plutôt, expliquerait qu’il continue à montrer de la réticence à s’intégrer complètement dans les rets du système, et qu’il entend lutter pour préserver son autonomie à cet égard.

On peut effectivement considérer de ce point de vue les circonstances de l’interview avec Hisham Melhem, sur un sujet si explosif, dans des conditions qu’Obama a lui-même suscitées et contrôlées, pour établir qu’il s’agit d’une certaine façon, d’une confirmation de la psychologie très particulière d’Obama. Les implications, si l’hypothèse se confirme, sont considérables. Elles suggèrent que le caractère d’Obama est suffisamment affirmé pour le faire intervenir dans des circonstances politiques d’une particulière importance. Elles suggèrent que, dans des circonstances politiques très inattendues, très tendues, Obama pourrait avoir des réactions très surprenantes, sortant du moule conformiste où l’appareil du système cherche et cherchera à l’enfermer. On comprend l’importance de la chose en observant que c’est la clef du débat autour de l’hypothèse plus générale d’un Obama apprécié comme un possible “American Gorbatchev”. L’on comprend également que “les circonstances politiques très inattendues, très tendues” auxquelles nous nous référons sont extrêmement possibles dans les mois qui viennent, voire tout au long de son mandat, dans l’atmosphère de crise systémique qui règne aujourd’hui à Washington.