Psychologie d’un amiral historien plutôt qu’otanien

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Lundi 7 décembre, à la Bibliothèque Solvay, à Bruxelles, l’amiral Jim Stavridis, nouveau SACEUR (Supreme Allied Commander Europe), faisait une de ses premières interventions publiques dans la capitale belge, qui est aussi la capitale de l’OTAN comme chacun sait. Stavridis est le premier amiral à assurer ce poste qui revient toujours à un officier général US (Army, Air Force, voire Marine Corps), depuis la création de l’OTAN.

Defense News, par exemple, a donné le 7 décembre 2009 un compte-rendu des déclarations de Stavridis, sur le plan opérationnel, qui correspondent aux thèses et préoccupations habituelles de l’OTAN. On a tout de même remarqué, de ce point de vue opérationnel, l’attention que porte Stavridis à la coopération avec certaines puissances extérieures à l’OTAN, notamment la Russie.

«Stavridis, who took over as SACEUR in June, referred to cooperation among NATO, the European Union and partners such as Russia and China as a “lab of cultures coming together to operate effectively,” and that together they were reducing successful pirate attacks in the region. […]

»He named counterpiracy, counternarcotics in Afghanistan and arms control as issues where NATO could consider more cooperation with Russia. He also said cyber defense would be an important issue for the next five to 10 years. “NATO needs to work out where the threat is and how we can protect our systems,” he said.»

Notre commentaire

@PAYANT Stavridis a fait une impression inhabituelle pour un SACEUR, devant une audience malgré tout contrastée. La plupart des auditeurs représentaient les habituels centres d’intérêt pour cette sorte d’intervention – monde des experts, monde industriels, bureaucraties diverses, etc. – parmi lesquels se glissaient quelques indépendants inclassables.

Nous avions déjà noté, le 26 août 2009, ce caractère “inhabituel”, autant du fait de voir un amiral à la tête des forces de l’OTAN, que du fait éventuel de la personnalité de Stavridis (y compris son origine grecque, sa famille installée en Turquie lorsqu’elle a décidé d’émigrer aux USA en 1905). L’originalité de Stavridis n'a pas manqué d'apparaître dans la présentation de son exposé, accompagné de quelques photos qui prennent avec lui essentiellement un caractère symbolique. La première d’entre elles représentait un pont, pour marquer symboliquement le rôle de l’Alliance. (C’est une habitude chez Stavridis. Cette fois, il s’agissait d’un pont au Kosovo alors qu’en août le pont était iranien et présenté à la fin de l’exposé que l’amiral fit lors de ses visites de prises de contact avec diverses autorités de l’Alliance, avec ce commentaire que nous faisions: «Donc, le dernier slide montrait effectivement un pont comme symbole de la chose et résumé du propos; elle fut accompagnée par ce commentaire énigmatique de Stavridis, tenant aussi bien du catalogue touristique que du sous-entendu politique: “Cette photo d’un pont a été prise en Iran”. Le commentaire a été, on l’imagine, retenu et commenté.»)

La deuxième photo de l’exposé du lundi 7 décembre était plus remarquable. Elle représentait la promotion des Saint-Cyriens de 1914, Stavridis voulant rappeler combien l’Histoire est tragique en commentant qu’en 1918, tous ces hommes étaient morts, fauchés dans les tranchées de la Grande Guerre. Cette approche historique du propos est inhabituelle chez un officier général américain, surtout par une référence qui n’implique guère l’Amérique et, en plus, une référence à la Grande Guerre qui prend la forme d’une référence tragique à la France. (Sous le magistère britannique, la Grande Guerre enseignée aux anglo-Saxons, et donc aux Américains, surtout depuis 1945, a pris la forme d’un conflit où les Britanniques jouèrent le rôle essentiel, au détriment radical de la France qui assuma pourtant l’essentiel de la charge. [Les Américains ont commencé à réagir contre cela.]) Ensuite, les interventions de Stavridis ont été également marqués de références historiques et littéraires (Candide de Voltaire), d’une appréciation enthousiaste du retour et du rôle de la France dans l’OTAN, et, notamment, du rôle du général Abrial, qui assume pour la France un des grands commandements de l’OTAN à Norfolk, aux USA.

Satvridis confirme à cette occasion publique qu’il est un SACEUR intéressant, comme sont traditionnellement et d’une façon générale au sein des forces armées US les amiraux de l’U.S. Navy, arme de tradition dont l’existence est inscrite dans la Constitution des USA, contrairement aux autres armes. Cette psychologie peut jouer un rôle intéressant pour les Français, dans la mesure où elle se traduit en conceptions stratégiques spécifiques qui conduisent la marine US à entretenir une certaine méfiance vis-à-vis des Britanniques et, par conséquent, vis-à-vis des conceptions atlantistes selon le point de vue britannique, qui sont dominantes à l’OTAN aujourd’hui, dans la partie européenne de l’Alliance. L’U.S. Navy a été de tradition une arme isolationniste, puis une arme plutôt orientée vers le Pacifique et, de toutes les façons, une arme fortement sensible à la concurrence avec la Royal Navy. Elle n’a pas la même conception des spécial relationships qu’ont les autres armes US. De ce point de vue, un homme comme Stavridis, imprégné d’une part de psychologie européenne, d’autre part d’une “psychologie navale” peu séduite par l’“atlanto-centrisme” des Britanniques, peut être amené, dans des circonstances spécifiques, à adopter des positions intéressantes pour les Français, et dégagées des manœuvres d’influence britanniques courantes à l’OTAN.


Mis en ligne le 10 décembre 2009 à 17H33

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