Psychologies affolées par la dictature de la crise

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Psychologies affolées par la dictature de la crise

A la lumière (sic) des péripéties de la crise chypriote, subsistent et s’accroissent les inquiétudes gravissimes de nos dirigeants économiques (disons, du bloc BAO). La crise chypriote a été victorieusement résolue par la pression totalitaire de la troïka (Commission, BCE, FMI) et de ses délégués de l’Eurogroupe (ministres des finances des pays de l’UE), au soulagement extrêmement temporaire de tous, et avec des effets presque immédiats de commentaires et de réactions rapidement devenus critiques, angoissés, furieux, etc. Bref, la crise est résolue, c’est-à-dire qu’elle continue d’une autre façon qui surprendra nécessairement tout le monde alors qu’elle serait prévue et prévisible comme l’était la précédente phase, et donc la voilà plus roborative et autodestructrice que jamais.

Cela influe, cela pèse singulièrement sur les psychologies épuisées et par conséquent extrêmement fragiles de nos dirigeants du bloc BAO, – il faut les comprendre, après tout. On en vit donc une brochette, hier soir à Londres lors d’une réunion de la London School of Economics, pour dire combien la façon dont la crise (épisode chypriote) est traitée est, finalement, tous comptes faits, encore plus catastrophique que pourraient en juger les plus acharnés des critiques les plus antiSystème… Ces gens-là, le directeur de la banque centrale UK Mervyn King, l’ancien directeur de la banque centrale allemande Axel Weber, l’ancien chef économiste du FMI Olivier Blanchard, sont-ils donc des sapiens-antiSystème, tout en étant sapiens-Système pur jus ? C’est bien sur ce point paradoxal et autodestructeur que l’on reconnaît leur épuisement psychologique. Voyons cela (dans le Guardian du 25 mars 2013 au soir), avec quelques soulignés en gras de notre fait, et la recommandation de ne pas craindre les surprises des paradoxes et des contradictions…

«Sir Mervyn King warned last night that the global financial crisis is “far from over” and that fundamental changes are needed to the international system before confidence can be regained. […] [King] said there would be many twists and turns before the worldwide economy stabilises. […] Whichever crisis we are talking about, it is far from over … there will surely be many unexpected twists and turns before we can truly say that the crisis is indeed over.” […]

»The former head of the German central bank, Axel Weber, also speaking at the event, added to the warnings that the crisis had yet to play out in full. “We are not out of the woods yet,” said Weber, now chairman of investment bank UBS. Weber emphasised that the colossal debts run up by western countries in the aftermath of the banking crisis remained a huge drag on economy growth and stability. “While there be more signs of stability, this may in fact be a period when problems that are still with us resurface. The underlying situation remains difficult and is not improving,” he said. […] Weber said he was also concerned that governments had responded to the crisis by giving more powers to central banks. He recalled how he refused an offer from the German finance ministry to take on regulatory powers, fearing it would undermine the bank's monetary policy role. “As central banks play a larger role, we need to see the potential downsides,” he said. “I'm concerned they are taking roles that distract them from their main task.”

»[Former IMF chief economist] Olivier Blanchard Blanchard said the powers acquired by central banks created a “democratic deficit” that could eventually lead to social unrest. The situation in Europe was a cause for concern, especially when central banks were put in a position of making crucial decisions that affected millions of people's lives, he said. His comments echoed those of many politicians across Europe after the crisis in Cyprus was exacerbated by demands from the European Central Bank for a resolution.»

On fera donc deux remarques à l’occasion de cette réunion en marge de la crise, laquelle réunion reflète et illustre si bien la crise après tout…

• La première est que le “sauvetage” de Chypre (deuxième version, type “Plan B”), auto-applaudi par les auteurs du “sauvetage”, affirmant même qu’il s’agit du “modèle” de “sauvetage” désormais à suivre, déclenche des ondes de choc évidemment considérables. C’est l'imprudent ministre hollandais des finances, président actuel de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, qui a allumé la mèche dans une interview à Reuters et au Financial Times en affirmant que la formule, – faire payer les actionnaires, déposants friqués et ci-devant investisseurs (suppose-t-on), etc., pour sauver les banques, sous la houlette des banques centrales – est le “modèle” («If the bank can't do it, then we'll talk to the shareholders and the bondholders, we'll ask them to contribute in recapitalising the bank, and if necessary the uninsured deposit holders»). Cette formule, à la fois arbitraire, éventuellement totalitaire, et en essence anti-capitaliste après tout (“de type soviétique” observe Medvedev), affole les sacro-saints marchés («Dijsselbloem's U-turn creates chaos in the markets») et soulève des vagues de critiques dans le camp opulent des économistes et dirigeants économistes, au cœur du Système. On entend un Weber, ancien chef de la banque centrale allemande, dénoncer le rôle dictatorial attribué aux banques centrales ; on entend un Blanchard reprendre le refrain antiSystème dénonçant les actions des grandes institutions (dont le FMI, auquel il appartint longtemps) et agiter le spectre des “émeutes sociales” des pauvres peuples pressurés par l’austérité. La dictature est, décidément, plus que jamais autodestructrice, elle l’est désormais en mode turbo… Et, bien entendu, ce n’est pas fini, ne serait-ce que pour la seule “crise-du-jour” : «[Cyprus] has been left in a near-impossible situation by the terms of its rescue, and is likely to require another bailout.»

• L’autre point remarquable du colloque qui retient notre attention, c’est la conviction générale et unanime selon laquelle rien n’est fini d’une façon générale (au-delà de la crise chypriote), et que rien n’est fini d’une façon absolument effrayante parce que totalitaire ; parce que la crise est partout, qu’elle peut ressurgir à tout moment là où ne l’attend pas, et d’ailleurs parce qu’on ne sait plus de quelle crise il s’agit («Whichever crisis we are talking about, it is far from over», dit Melvyn King) … Certes, cela n’a rien pour nous étonner par rapport à ce que nous écrivons avec entêtement, mais ce qui nous intéresse ici c’est le constat du caractère omniprésent, désormais directeur et inspirateur, effectivement dictatorial, que manifestent la crise/les crises. Ce point nous intéresse parce qu’il renforce notre perception de la présence générale de la crise/des crises, jusqu’à nous faire parler de la formation d’une “infrastructure crisique” qui embrasse bien entendu tous les domaines (voir ce même 26 mars 2013, pour la Syrie). La crise n’est plus un accident, ni même un accident structurel (“structure crisique”), ni même un accident en série ininterrompue (“chaîne crisique”) ; elle est l’essence même de la situation du monde, elle est le Système lui-même.


Mis en ligne le 26 mars 2013 à 09H22