Puanteur foucaldienne des restes de l’empire

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Puanteur foucaldienne des restes de l’empire

24 mai 2019 – Il y a de plus en plus de tentatives pour avancer une explication générale, structurée et acceptable du comportement des USA, qui est depuis longtemps la nôtre à l’image de ce que Bill Pfaff écrivait en mars 1992 dans son ‘To Finish in a Burlesque of an Empire ?’. Cette explication générale est différente de celle qu’on avançait quasi-unanimement au début de la séquence présente (depuis 9/11), et que certains, chez des antiSystème comme dans l’essentiel de la presseSystème & satellites, continuent à avancer avec un aplomb et une certitude qui témoignent de leur rigidité psychologique. 

Les USA, en toute et écrasante bonne foi et selon un hybris roboratif, n’ont jamais dissimilé leur prétention à s’installer comme l’empire du monde, sinon tout bonnement à l’être quasiment dès l’origine par dessein du Seigneur, et d’être par conséquent, “opérationnellement” si vous voulez, le successeur pour la modernité de l’Empire par essence historique sinon métahistorique, – le successeur de Rome par conséquent. Parmi ceux qui ont le plus théorisé dans ce sens, on trouve Zbigniew Brzezinski (décédé en 2017), dont le rôle d’influence, disons de diabolus ex machina, qu’on n’a pas encore complètement mesuré ni parfaitement identifié, est considérable, sans doute le plus important parmi les experts US des quarante dernières années ; il va sans dire que ce rôle dépasse très largement son seul passage au pouvoir direct, comme conseiller de sécurité nationale et directeur du National Security Council (NSC) du président Carrer, de 1977 à 1981, qui apparaît n’avoir été qu’un tremplin pour sa position qui a suivi, qui a parfaitement correspondu à une course des événements dont il ne fut pourtant qu’un exécutant enragé selon son caractère extraordinairement idéologisé.

Dans le domaine de dans l’influence stratégique, le parti de Brzezinski a largement éclipsé celui de son grand rival que fut Henry Kissinger. Sans doute est-ce parce que Brzezinski développa constamment une doctrine agressive de conquête impériale correspondant aux événements voulus par des courants qui nous dépassent (et le dépassent lui aussi, ô combien), par contraste avec Kissinger qui a toujours eu tendance à rechercher des arrangements entre puissances en place. Malgré des aménagements de circonstance en faveur de la politique maximaliste bien propre à cette “vieille canaille”, on ne compte pas les déplacements en Chine et en Russie de Kissinger dans les années 1990-2010, montrant cette propension à l’arrangement ; rien de semblable chez Brzezinski.

Récemment (le 16 mai), un auteur, Steve Brown, présentait sur TheDuran.com une “doctrine al-Qaïda” de Brzezinski, dont nous n’avions jamais entendu parler en tant que telle, mais qui correspond à une démarche de Brzezinski. Brown présenta le terme comme venu directement d’un “Dictionnaire [interne] du département de la défense des USA”, avec cette définition :

« La doctrine al-Qaïda de Brzezinski est le recours calculé à la violence ou à la menace de violence par procuration pour inculquer la peur, dans le but de contraindre ou d'intimider les gouvernements ou les sociétés dans la poursuite d'objectifs qui sont généralement de nature politique, religieuse ou idéologique. »

On est naturellement conduit à se référer au rôle fondamental de Brzezinski dans la formulation du terrorisme islamiste transnational, depuis l’été 1979 et l’“aveu” (en fait, la reconnaissance très satisfaite) qu’il en fit en 1999 au Nouvel Observateur, précisant avec satisfaction effectivement que la CIA était intervenue sur son ordre, non  pas après mais avant que les troupes soviétiques n’interviennent en Afghanistan, et dans l’intention de les y attirer : ce qui avait été vu comme une conséquence (la CIA intervenant parce que les Russes étaient entrés en Afghanistan) devenant de fait la cause (c’est parce que la CIA est intervenue que les Russes sont entrés en Afghanistan). C’était la première manipulation d’importance de la dynamique islamiste s’exprimant par la guérilla puis principalement par le terrorisme. D’ores et déjà, les sponsors et relais locaux étaient désignés et opérationnels, essentiellement l’Arabie et Israël. Depuis et jusqu’à sa mort, Brzezinski et ses relais ne cessèrent d’inspirer doctrinalement, c’est-à-dire dans le chef de la “doctrine Al-Qaïda”, cette activité avec le but de renforcer hégémonie et influence par le biais de tous les désordres possibles (terrorisme, regime change, corruption & pressions, plus récemment “weaponization” des moyens commerciaux et financiers, etc.). Cette orientation de Brzezinski trouvait son support “philosophique” dans sa “Grande Géostratégie” (son livre Le Grand Jeu).

Le résultat fut un échec complet et un affaiblissement considérable vers l’effondrement de la puissance initiale des USA et de la qualité de leur influence, et une perversion totale, sinon une inversion de la notion d’“Empire”. Malgré des périodes de plus juste appréciations qui figurent comme des exceptions, prévalut l’entêtement de Brzezinski à poursuivre la publicité d’influence de son ensemble doctrinal de type agressif et hégémonique.

Nous écrivions le 25 avril 2016, un an avant la mort de Brzezinski :

« Ces dernières années, depuis la crise de l’Ukraine commencée avec le “coup de Kiev” de février 2014, il y avait eu  des hauts  et  des bas  dans la pensée de Brzezinski, alors qu’auparavant elle avait semblé pouvoir se fixer heureusement dans une vision révisionniste qu’on pouvait juger d’une qualité notable (voir en novembre 2012). Désormais, c’en est fait et c’en est fini ; l’âge dira-t-on par convenance, mais non, car Brzezinski pourrait sembler garder l’esprit vif ; bien plus encore certes et à notre estime, il s’agit de l’achèvement d’un périple intellectuel catastrophique qui n’a jamais abandonné ses racines fondées sur les illusions de l’école de pensée américaniste-moderniste pour aboutir finalement à l’accouchement de la néantisation-Système de l’achèvement postmoderniste. Le temps, d’ailleurs très rapide, a fait son œuvre, moins pour “vieillir” cette pensée (ce qui n’est pas nécessairement mauvais, comme le montre le bon vin) mais pour montrer ce qu’elle recèle en vérité, tout au fond d’elle-même.
» (Pour le cas particulier de Brzezinski, l’affaire ukrainienne a joué un rôle spécifique, en ressuscitant ses vieilles racines polonaises et la haine du Russe qui va avec. Dans le cadre de cette pensée devenue pensée-Système, cela a permis la renaissance de l’“antirussisme” à visage découvert, sous forme d’une obsession créatrice des choses les plus extraordinaires de l’inversion de l’esprit, dont l’archétype est certainement le phénomène du déterminisme-narrativiste qui joue un rôle fondamental, à la fois d’emprisonnement et d’entraînement de la pensée.)
» ... Par conséquence de tout ce qui précède, il ne nous paraît pas très utile de reproduire, ni de lire précisément le dernier texte-doctrine de Brzezinski du  17 avril 2016  dans The National Interest, sous le titre ‘The Global Realignement’. Reportons-nous au texte de Katehon.com  du  21 avril  (repris par Russia Insider le 23 avril). Il nous en donne une analyse critique suffisante pour comprendre ce qu’il y a dans l’esprit de Brzezinski et ce qu’il y a de faussaire dans la pensée de Brzezinski. On se contentera de mentionner le sous-titre du texte de Brzezinski qui, à lui, seul, offre un exemple stupéfiant de schizophrénie dans sa contradiction interne, dont l’interprétation en termes simples est à peu près ceci : “puisque nous sommes de moins en moins fort, c’est à nous de prendre la direction des choses...” (“As its era of global dominance ends, the United States needs to take the lead in realigning the global power architecture”), – disons en d’autres termes, “plus nous sommes faibles, plus nous sommes forts”, ou mieux et doctement dit, en “déplaçant à peine le curseur” des vertus nominées : “plus nous sommes zombies, plus nous sommes génies”... [...] Mais quoi, ne s’agit-il pas là d’une conception absolument correspondante aux temps que nous vivons où l’inversion constitue le fondement de la logique ? »

Le texte de Steve Brown, déjà signalé, fait une analyse complète des effets de la “doctrine Brzezinski” telle qu’elle a été suivie, nous dirions sous la forme de ce que nous nommons politiqueSystème, expression qui est une présentation plus juste de ces courants politiques dévastateurs et entropiques, d’une inspiration qui échappe à l’humain, et donc à Brzezinski, mais dont il fut le plus zélé serviteur. Brzezinski n’a jamais été que le transmetteur d’une dynamique dont les incontinences psychologiques dont il était affecté, son hybris et sa féroce hostilité destructrice à partir de sa “fixation-russe”, lui ont interdit de distinguer la vanité et l’effet inverti catastrophique pour ce qu’il prétendait renforcer sinon établir (“l’Empire”, alias-les-USA)...

Conclusion du texte de Brown :

«... Voyez pourquoi, après des décennies de déstabilisation mondiale, la politique terroriste de Brzezinski a échoué:
[...]
» L'insurrection mercenaire représente l'incarnation évolutive de la “doctrine Al-Qaïda” de Brzezinski, avec des résultats désastreux dans la politique étrangère de l'État américain. D'Afghanistan 1979 au "Printemps arabe" 2011, en passant par l'aventurisme syrien, les opérations de la MEK en Iran, les révolutions “de couleur” ou l'intervention de l'OTAN en Libye ou au Yémen, toutes ces opérations ont entraîné des catastrophes et une déstabilisation. L'expansion inquiétante de la ‘doctrine al-Qaïda’ de Brzezinski implique son utilisation par d'autres nations, même par opposition aux intérêts américains, une autre conséquence involontaire et destructrice pour les États-Unis. La capacité des États-Unis à tirer profit d'une politique d'insurrection secrète est également réduite à néant. En tant que telle, la ‘doctrine Al-Qaïda’ de Brzezinski représente un échec massif de la politique étrangère américaine.
» Après des décennies de déstabilisation mondiale menée par les États-Unis, nous voyons les sanctions américaines et la “weaponization” [terme anglais préférable à la traduction approximative de “militarisation”] de SWIFT et des instruments financiers comme la nouvelle stratégie pour “sécuriser le royaume israélo-américain et saoudien” alors que la ‘doctrine Al Qaïda’ de Brzezinski est de plus en plus intenable.
» Nous devons nous demander pourquoi l'objectif de la politique étrangère américaine est de perturber et de déstabiliser. Selon l'analyste géopolitique Peter Lavelle, le but d’un empire à travers l'histoire est évidemment d’imposer l’ordre et la stabilité à ses sujets ; de rechercher des relations stables de commerce et d’interaction avec l'État, pour rendre l'Empire structuré et gérable. Du moins, c'était l'intention.  Historiquement, un empire n'a jamais maintenu son emprise [sur ses sujets et ses possessions] en cherchant à se déstabiliser lui-même.
» Pour la première fois, un empire développe sa propre déstabilisation par ses propres guerres secrètes fratricidesétendues au niveau mondial... et il menace même ses propres alliés, sans raison. Nous n'aurons probablement pas longtemps à attendre avant d'en voir le résultat inévitable. »

Le catastrophique échec de la “doctrine al-Qaïda”, de la politiqueSystème, de l’offensive agressive de déstabilisation générale, quelque nom ou définition que l’on donne, constitue un cas remarquable si l’on fait la comparaison entre la situation actuelle et l’état du Moyen-Orient dans le cours de la première moitié de la décennie des années 1970. Cette situation d’alors était l’effet d’une action habile des USA, couronnant avec le duo Nixon-Kissinger deux à trois décennie d’hégémonie indirecte, se transformant ainsi en hégémonie d’influence évidente et acceptéesur la situation au Moyen-Orient telle qu’on l’observa dans cette période.

Nous le rappelions dans un texte du 5 avril 2012, où nous constations “le retour de la Russie au Moyen-Orient”, très fortement confirmé et amplifié depuis, après l’élimination de la présence et de l’influence de l’URSS par ces manœuvres d’influence et d’hégémonie des USA des années 1970. La mise en place de cette période d’hégémonie fut le fait d’une “conspiration” actant cette hégémonie, entre Sadate, les USA, et Israël, – et ainsi se présentait le Moyen-Orient par rapport aux USA, véritablement impérial à cette époque dans le fait de la stabilisation de la situation à son avantage...

« La “conspiration” plus justement interprétée comme une “collusion dynamique” eut, en partie à cause des développements inattendus, des conséquences immédiates radicales.
» • Sans nul doute, les USA furent les vainqueurs écrasants de cet épisode, d’abord avec l’élimination d’une partie essentielle de l’influence soviétique dans la région ; ensuite, avec le réalignement radical de la plupart des pays de la zone sur cette nouvelle situation.
» • Israël et l’Égypte évoluèrent rapidement vers une position de dépendance radicale de l’“ordre américaniste”, qui fut concrétisé par l’accord de Camp David. Il s’agissait d’un accord tripartite réglé selon les termes de Washington, assurant une entente Égypte-Israël. Cette situation fut clairement entérinée par l’arrivée au pouvoir de Moubarak après l’assassinat en 1981 de Sadate.
» • Le reste évolua en fonction de ce bouleversement. Le président Assad de Syrie (père de l’actuel président) avait parfaitement compris la trahison de Sadate et avait vu son armée décimée par Israël. La Syrie opta pour une position d’accommodement avec les USA, parce que sans aucune possibilité d’agir autrement. L’Irak de Saddam Hussein choisit également une position moyenne, établissant des liens avec les USA. L’Iran du Shah était tout acquis aux USA, comme les pays du Golfe et la Jordanie [et, bien entendu, plus qu’aucun autre, l’allié-vassal indéfectible des USA, l’Arabie]. Jusqu’en 1979 et la révolution islamiste en Iran, l’influence US dans la région fut à son zénith. »

La chute du Shah et l’installation de la République islamique marquèrent un tournant qui fut aussitôt rendu radical et irréversible par la radicalisation immédiate de la politique US (encore Brzezinski à cette époque) vis-à-vis de ce nouvel Iran. Après les premières agitations (prise des otages US) et malgré la cruelle guerre Iran-Irak des années 1980 où les Irakiens furent totalement manipulés par les USA et le reste du bloc-BAO dans une tentative de “liquider” l’Iran, cette République Islamique chercha avec une certaine constance à s’accommoder de relations apaisées avec les USA mais se heurta à la radicalisation de type-Brzezinski appuyée sur les vociférations de l’Arabie et d’Israël. Nous en sommes toujours au même point aujourd’hui où les événements font avec le simulacre d'une rapidité stupéfiante un surplace de désordre qui l’est également, – à cause du rôle absolument anesthésiant de la communication-Système et du simulacre ainsi créé, – dans cette tentative de déstructuration bien dans l’esprit de la “doctrine Al-Qaïda” intégrée dans la politiqueSystème post-9/11. Même dans la manipulation d’un islamisme contre l’autre, les USA ont toujours choisi le plus déstructurant et le plus destructeur pour l’Empire, c’est-à-dire contraire à l’empire même qu’ils prétendent exercer sur le monde et particulièrement au Moyen-Orient (par réflexe de Pavlov de type stratégique autant que par intérêts stratégiques), le simulacre ainsi créé et glorieux au début s’étant transmuté finalement dans sa réduction bombastique sous la forme du simulacre-Trump.

Nous ne considérons en aucun cas que Brzezinski soit l’homme-clef de cette situation et de cette évolution. Ses dernières prises de position ont achevé de montrer qu’il n’était que l’esclavede ses obsessions originelles (antirusses, etc.), de son incapacité méprisable et écœurante à faire évoluer son jugement selon les événements, et de l’usage fructueux qu’en avait fait et qu’en faisait le Système, à son avantage, c’est-çà-dire pour instituer une politique de déstructuration et de néantisation à la fois totale et totalitaire, ce que nous nommons “politiqueSystème”. Il s’agit effectivement, comme il est dit dans un des extraits ci-dessus (de Brown citant Lavelle, comme on citerait l’évidence de l’histoire et du sens commun de la compréhension des événements structurants), du contraire du « but d’un empire à travers l'histoire [qui]est évidemment d’imposer l’ordre et la stabilité à ses sujets », et ainsi de suite.

L’inextinguible fou-rire de Jupiter-tonnant

L’on comprend alors que toutes ces appréciations nous conduisent à rejeter totalement et absolument les thèses qui ont eu l’affection de nos pseudo-intellectuels et des commentateurs (y compris antiSystème) qui suivent pendant deux à trois décennies, savoir que la politique générale de l’Empire est celle de ce qu’ils nomment avec une certaine fascination pour les formules oxymoriques à tendance eschatologique  “chaos créateur” (il y a du religieux dans tout cela, dans ce Système qui, paraît-il, bannit l’obscurantisme religieux).

(Il s’agit d’un mélange enthousiaste d’une part d’un trotskisme recyclé façon-Pentagone, très en vogue chez les neocon dont on sait qu’ils viennent historiquement du trotskisme, avec emprunts  à prétention philosophique chez Leo Strauss ; d’autre part, des tendances postmodernes de l’ultra-néolibéralisme/néocapitalisme et des courants qui l’accompagnent du progressisme-sociétal cher aux anarcho-libertaires [toutes les formes de l’éclatement sociétal imposé en idéologie totalitaire], tout cela subventionné à volonté par diverses sources bien connues, privées et publiques [gouvernements, organisations] et installé dans les salons huppés du “Nouveau Monde” globalisé. L’ensemble dispose d’un formidable soutien médiatique de la presseSystème et assimilés.)

Nous rejetons complètement cette interprétation (“chaos créateur”) comme un véritable simulacre, dont la doctrine “al-Qaïda” de Brzezinski s’arrangeait parfaitement pour son propre simulacre, en se jugeant ainsi d’une extrême habileté manœuvrière et en jugeant son but d’hégémonisme parfaitement ajustée puisque l’effet final (“créateur”) se voudrait créateur de cette hégémonie saupoudrée de vertus “démocratiques”. Il s’agit d’une complète construction de l’esprit, une élaboration intellectuelle parfaitement adaptée aux pathologies psychologiques de la postmodernité (auxquelles Brzezinski succombait involontairement comme les véritables postmodernes-sociétaux assumés) ; et cette “construction de la déconstruction” (ou déstructuration-dissolution-entropisation”) , qui permet dans sa réalisation un réductionnisme opérationnel sans freins à l’économisme et aux conceptions économiques ultra-libérale qui ont besoin pour “vivre et prospérer” de la destruction totale de toutes les situations structurantes.

Notre appréciation est au contraire que cette dynamique politique constitue l’accomplissement dans ces domaines de la politique, de la communication et des psychologies qui vont avec des thèses des déconstructeurs, essentiellement d’origine française, qui ont essaimé dans le monde, et particulièrement aux USA sous l’expression de French Theory ; en un mot pour résumer, il ne s’agit pas de Leo Strauss mais de Michel Foucault... Comme ceci, dans ce texte du 31 mars 2017 où nous plaçons déjà la “politique” et la “stratégie” de Trump (non-politique et non-stratégie) comme achèvement de la doctrine du point de vue philosophique des neocon pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle prétend être (Foucault plutôt que Strauss) :

« Pour le reste et si l’on veut réellement donner au concept ses ‘lettres de noblesse’, si l’on veut aller à l’origine, l’on s’y retrouve aisément avec les ‘déconstructeurs” français des années 1970, les accoucheurs et accouchés de la French Theory aux USA : “C’est ici, au cœur de la French Theory [dans les campus de sciences humaines des universités californiennes des années 1970] que se niche la post-véritéà l’état philosophiquement pur. L’universitaire britannique Andrew Calcut, dans un excellent article publié par Newsweek, a remis un peu d’ordre dans lagénéalogie quelque peu malmenée de la post-véritéet, surtout, ramené à ses légitimes parents, – la gauche libérale, – le monstre qu’ils avaient enfanté et égaré. Calcut rappelle en effet que ce sont les intellectuels de gauche qui ont discrédité la vérité. “En lieu et place de la vérité, qu’il fallait donc considérer comme naïve et/ou répressive, écrit-il, la nouvelle orthodoxie intellectuelle autorisait seulement l’usage des ‘vérités’, – toujours plurielles, souvent personnalisées, inévitablement relatives. Figurant en bonne place parmi les liquidateurs, la triade [des philosophes déconstructeurs français] Foucault, Lyotard et Derrida… » (Pascal Eysseric, dans Éléments, avril-mai 2017.) »

Nous avons très récemment, coup sur coup il y a quelques jours, rencontré deux occurrences où se manifeste cette “non-stratégie”, ou “stratégie liquide”, ou “stratégie de la plasticité”, où ce qui importe est l’infinie variabilité de la forme de cette stratégie pour qu’elle s’adapte aux situations très diverses et complètement fantasmatiques que réclame le simulacre. La “stratégie” n’est plus qu’une « qu’une construction [permanente] permettant de légitimer » les différents “dispositifs” rendant compte des “normalisations” en constante évolution selon les exigences du simulacre qui tient lieu de politique. Nous sommes dans un domaine où la seule chose qui compte est le “faire” (et le “faire-bidon [simulacre] si possible), tandis que “l’être” a complètement disparu.

Les deux exemples récents :

• Le 20 mai 2019, sur la “stratégie” US en général : « Il ne nous semble en aucune façon que tout cela dans le chef de l’action des USA réponde à une stratégie quelconque, malgré les diverses tentatives de rationalisation du procédé par les très nombreux “experts”-appointés du Système, – lesquels doivent effectivement justifier au moins l’apparence de leur existence. L’effet général pourrait plutôt se rapprocher d’une sorte de stratégie qu’aurait enfantée Michel Foucault s’il était encore de ce monde devenu trumpiste, c’est-à-dire une “stratégie liquide” ou “stratégie de la plasticité”, insaisissable et informelle. Si l’on voulait paraphraser Jean-Marc Mandosio dans son Longévité d’une imposture – Michel Foucault (Édition de l’Encyclopédie des Nuisances, 2010), on pourrait avancer que la “stratégie” déclenchée par les USA et par Trump constitue “un constructionnisme radical, qui prône la plasticité indéfinie de la subjectivité[stratégique], d’où l’idée de nature, avec les limitations qu’elle implique, est complètement éliminée. En effet pour [Trump], la nature [stratégique]’n’existe pas en soi ; ce n’est qu’une construction permettant de légitimer les dispositifsde normalisation... » 

• Le 22 mai 2019 sur la “victoire” remportée par les USA sur l'Iran : « Pour le reste et plus que jamais, faisons appel à un ‘commentaire cohérent’ (qu’on espère cohérent, puisque de notre plume) qui acte de l’incohérence de la chose, comme étant une des marques de fabrique de la ‘stratégie’ américaniste, parce que ce qui compte n’est en rien dans les buts et les ambitions de la stratégie mais dans la forme elle-même, nécessairement informe, de cette stratégie, – bref, soyons foucaldiens que diable : “L’effet général pourrait plutôt se rapprocher d’une sorte de stratégie qu’aurait enfantée Michel Foucault s’il était encore de ce monde devenu trumpiste, c’est-à-dire une stratégie liquideou stratégie de la plasticité, insaisissable et informelle.” »

• Une autre citation de Mandosio peut s’insérer dans ce “dispositif” d’identification, comme dirait Foucault, et l’esprit ne change en rien, et même il se renforce en progressant si l’on prend une expression pour l’autre et une période pour l’autre (“politique Système débridée” pour “néocapitalisme festif”, “fin des années quatre-vingt-dix” pour “fin des années soixante-dix”) : « La destitution de l’idée d’“individu” au profit d’une “singularité” sans essence , pure potentialité susceptible de prendre n’importe quelle forme et d’en changer à volonté, est contemporaine de l’émergence du néocapitalisme festif, dont le mode vie gay a constitué le prototype à la fin des années soixante-dix, avec la bénédiction cde Foucault… »

En fait, il se passe que Trump, du fait de l’étrange psychologie, du caractère fantasque, de l’intelligence théorique limitée et de l’absence complète de de scrupules de responsabalité dont il dispose, est le personnage idéal pour pousser jusqu’à son terme le politiqueSystème qui se révèle opérationnellement de type-foucaldien plutôt que straussien. L'utilité de Trump, sinon sa vertu, sont de ce fait incontestable. (Il n’est responsable de rien, ni même de ce qu’il est ; il est un formidable instrument, sans la moindre conscience de la chose, sur la voie ardue de la mise à nu du Système pour renforcer partout où cela peut l’être la dynamique surpuissance-autodestruction.)

Trump découvre le pot-aux-roses : ou bien cette politique réalise ce qu’elle prétend être (déstructuration-dissolution-entropisation), c’est-à-dire l’entropisation de tout ce qu’elle touche, ou bien elle révèle sa nature totalement néantisée, c’est-à-dire absurde dans sa prétention d’être,  et se dissout dans sa propre dynamique d’entropisation d’autant plus aisément qu’elle est elle-même, potentiellement entropie à l’origine. Et l'on voit bien dans quelle voie elle est engagée.. Elle confronte le simulacre foucaldien, ou la politiqueSystème, à l’épreuve ultime de la vérité du monde. Notre perception est bien qu’elle révèle son absurdité et son inexistence.

Tout rentre alors dans l’ordre de cet immense désordre. La non-politique par inexistence de la politique US (politiqueSystème) devient la production logique d’un puissance en pleine désagrégation-effondrement, et qui n’existe déjà plus au niveau de la production de sa politique. La tragédie devient absolument et irrésistiblement tragédie-bouffe, et le fou-rire inextinguible de Jupiter souligne la chose. C’est à cet instant que l’on réalise l’extrême puanteur des choses que nous avons été conduits à évoquer, et qu’il s’agit de la puanteur des restes de l’empire, – avec le simulacre foucaldien comme sa représentation-bouffe..