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20 avril 2005 — L’élection de Benoît XVI est une de ces surprises que tout le monde prévoyait sans y croire vraiment. Aussitôt, l’accent est mis sur l’engagement idéologique de l’homme, « tenant d'une aile conservatrice, voire ultraconservatrice pour certains » (Le Figaro du 20 avril). Le surnom, dans ce cas, fait la chanson : Joseph Ratzinger était surnommé “le Grand Inquisiteur”, dans sa fonction de gardien de la Foi (il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi depuis 1981). L’archevêque de Paris Vingtrois en dit ce qu’il faut dire: avec un presque quart de siècle à la fonction qu’il occupait, « s’il y en a un qui devait défendre la doctrine de la foi, c’était évidemment lui ».
Les appréciations vont jusqu’aux plus extrêmes, comme l’analyse de WSWS.org de ce jour, qui est une dénonciation virulente de Benoît XVI. Son élection y est décrite comme le résultat d’un complot préparé de longue date, mêlant aussi bien l’Opus Dei que Jean-Paul II lui-même, pour un retour à un complet obscurantisme réactionnaire. Par contraste, la première homélie du nouveau pape est présentée, aujourd’hui également, comme un acte d’ouverture destiné à dissiper l’effet de l’analyse extrême offerte par certains.
« Pope Benedict XVI used his first papal Mass on Wednesday to send a message of openness and reconciliation to his Roman Catholic followers, to other Christian churches and “to everyone, even to those who follow other religions or who are simply seeking an answer to the fundamental questions of life and have not yet found it.”
« He said that, like his predecessor John Paul II, his “primary commitment” would be to work toward “the full and visible unity of all Christ's followers,” and added: ''Theological dialogue is necessary.”“
» It was a striking shift in tone from two days ago, when he entered the conclave in the Sistine Chapel as Cardinal Joseph Ratzinger, a theologian who had served for the last 24 years as the oft-feared chief interpreter — and enforcer — of Roman Catholic doctrine.
» In a homily just before the conclave began Monday, Ratzinger denounced what he called a “dictatorship of relativism” and “new sects” that indoctrinate believers through “human trickery.” »
On a tout dit également sur les tendances, les tensions, les affrontements potentiels, ou bien l’apaisement nécessaire que susciteront les suites de son élection; avec les clichés habituels, “la frilosité de l’Église” contre “l’Église ouverte au monde”, les défis de société, les nécessités de la modernité, etc. Il s’agit de spéculations très classiques et sans beaucoup de validité pour l’instant, et, d’autre part, qui pourraient d’ores et déjà apparaître dépassées et futiles à la lumière de l’urgence d’autres événements. Ces spéculations sont marquées par les contradictions inhérentes aux classifications classiques (gauche-droite, sécularisme-orthodoxie religieuse, jusqu’aux vieilles batailles du marxisme [ou trotskysme, si l’on cite WSWS.org] contre la religion “opium du peuple”). La situation présente nous dit plutôt qu’il n’y a plus guère de place pour ces combats du XXème siècle, aussi bien face aux événements déstructurants que nous vivon qu'aux perspectives de crises globales majeures à court terme, comme la crise de la production d’énergie face à l’explosion de la demande, ou comme la crise climatique et ses conséquences.
Dans ce contexte, le seul commentaire spéculatif qui nous paraît acceptable et instructif est celui qui concerne la rapidité de l’élection et la rapidité du ralliement autour de Ratzinger. Les deux choses indiquent que la hiérarchie de l’Église sent la nécessité d’une unité très affirmée, éventuellement autour d’un pape suffisamment engagé dans l’hyper-orthodoxie pour pouvoir manœuvrer vers des forces hors de l’Église et d’une orientation différente, en faisant des concessions qui seraient acceptées beaucoup plus aisément par l’aile droite de cette même Église, — mais il ne s’agirait là que d’un souci tactique.
Ces batailles vont être livrées dans la confusion des engagements, qu’on peut essentiellement illustrer par le paradoxe contenu dans le titre de l’analyse déjà citée de WSWS .org, et qui dit ceci: « From “grand inquisitor” to pope: Benedict XVI to head crusade vs. secularism, democracy. » Paradoxe parce que, dans le premier cas (“croisade contre le sécularisme”), Benoît XVI devrait apparaître comme un allié de GW Bush et de son intense religiosité (cette alliance, idée qui a été exposée de divers côtés); dans le second cas (“croisade contre… la démocratie”), Benoît XVI apparaîtrait comme l’adversaire direct de la politique extérieure du même GW Bush, qui est de chercher à imposer la démocratie partout, par la force si nécessaire.
Ce paradoxe est effectivement un reflet de notre temps historique et de ses confusions, et les références aux étiquettes passées ne servent qu’à ajouter d'autres motifs de confusion, vraiment inutiles, au paradoxe et à ses effets. Il est préférable de laisser se dégager le développement de la politique du Vatican, pour observer si notre hypothèse est la bonne. Cette hypothèse se décompose en deux volets.
• La première idée est qu’en se prononçant très rapidement pour un homme, en se regroupant autour de lui, l’Église aurait surtout montré qu’elle réalise que le monde se trouve devant les échéances terriblement dangereuses, jusqu’à menacer l’espèce elle-même (et, pour cette fois, l’idée courante que l’Église a l’habitude de définir sa politique en se référant à la très longue durée, mesurée en siècles, se trouverait contredite radicalement; au contraire, sa politique demanderait une action urgente, selon des données immédiatement disponibles).
• La seconde idée impliquerait la question de savoir si l’Église mesure ou juge combien les politiques déstructurantes actuelles sont des ferments de désordre mondial comme jamais il n’y eut auparavant, au point où un esprit religieux pourrait juger qu’on se trouve devant la manifestation d’un Mal absolu contre lequel il importe évidemment de se mobiliser.
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