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14215 décembre 2012 – Il est inattendu de lire dans une même phrase, pour désigner une même bataille, pour un même but, dans un même contexte, les noms de la Catalogne, de la Flandre, de l’Écosse, du Texas et du Vermont. C’est ce qu’on trouve pourtant dans l’article du dissident américain (pas américaniste) Linh Dinh, photographe, poête et auteur, commentateur (voir ses travaux photographiques et certains de ses textes sur son site “State of the Union”), le 30 novembre 2012, sur Intrepid Report :
«Catalans want to break from Spain, again, and secession is also the buzz in Flanders, Scotland, Texas and Vermont. With the global economy collapsing, people everywhere are becoming fed up with being ruled by distant bureaucrats and bankers hell-bent on destroying local livelihoods. Wages are down, jobs lost and entire countries gone bankrupt thanks to government-enabled banking frauds, a process lubricated by increasing centralization and the intertwining of national finances.»
Et Linh Dinh de s’expliquer de ce constat, en décrivant une situation globalisée de gangstérisme et de prises en otage des peuples, de ce que l’on pourrait nommer sur les débris dissolus et pulvérisés des nations et de leur souveraineté, une organisation du crime organisé global représentant les autorités et les élites qui sont en position de direction et de contrôle, pour le compte du Système. Cette situation sans aucun précédent crée une occurrence métahistorique également sans précédent, même celui du “déchaînement de la Matière” dont elle est évidemment le legs monstrueux totalement opérationnalisé. Il s’ensuit que des peuples et des entités jusqu’alors étrangères, indifférentes ou même parfois méprisantes les unes pour les autres, se trouvent, souvent et encore à leur insu, dans une situation absolument similaire. Voici donc l’Américain qui annonce à ses compatriotes qu’ils vont devoir suivre la même voie que celle qu’ont commencée à parcourir les Européens.
«The private banking cartel generates public and private debts, debt slavery and inflation, and with a common currency, it can more readily screw you across borders. A nation can only control its destiny by being firmly in charge of its currency, like China, for example, and for that, it is often singled out for condemnation, but all fiat currencies are manipulated, with us Americans extra cursed with a Federal Reserve that doesn’t work in our interest. Until this globalist banking cartel can be blown up, and its head honchos tossed into a tight dungeon, many people just want to extricate themselves, step by step, from its strangulation.
»Forced to dumpster dive, abandon their children or jump out windows, millions of Europeans are also fighting back. Pay attention, Americans, for we can certainly learn from them.
»In Spain, the Indignados protests, with tents occupying public spaces, preceded our own Occupy Movement by several months, but the Spanish didn’t stop there. They then mounted a general strike and now, many Catalans are trying to break from their banker-manipulated central government, which has been crippled by these same transnationalists.»
Déjà, en une occasion fameuse, lors des troubles de Madison du début de 2011, il fut directement question d’un parallèle entre une révolte aux USA et les révoltes déjà en cours en Europe et au Moyen-Orient. (“Printemps arabe” notamment… Sur ce rapprochement Madison-Le Caire, voir notamment le 17 février 2011, le 21 février 2011, le 24 février 2011.) Il y a aujourd’hui une nouvelle opportunité et une nouvelle nécessité, alors que les révoltes hoirs des USA ne cessent pas et, même, se rallument là où on les croyait jugulées pour de bon, au moins pour la période, tout cela montrant une extraordinaire résilience. Pourquoi pas, s’étonne et s’exclame Linh Dienh, pourquoi pas les USA ?! Ses exclamations montrent une certaine colère, lorsqu’il cite les Chomsky, les Ellsberg, les Moore, qui se sont tous précipités comme bœufs et moutons rassemblés, en soutien d’Obama, jusqu’ici sorte de GW Bush hâtivement passé au cirage, et dont le surcroît incontestable d’intelligence ne semble avoir servi qu’à mieux arranger ce maquillage, – et que tous ceux-là aient mordu au si grossier hameçon, pour le symbolisme “progressiste” d’une triste affaire de couleur…
«In Egypt, people immediately protested and even clashed with cops after Morsi gave himself dictatorial powers, but here, all was supine, docile and purring even as Obama had assumed the right to arrest or kill anyone, without trial or even charge, and Americans are unperturbed at the possibility of being stopped from flying without explanation or recourse to appeal.
»Though we don’t have dictators in the classic sense, we do have a dictatorial executive office that has expanded its power unchecked, with full connivance from Congress, the media and our mostly useless intellectuals. During the last election, our leading “dissidents,” Chomsky, Ellsberg and Solnit, etc., endorsed our current pharaoh. Like millions, Michael Moore has also been mesmerized by Obama’s histrionics, “At your first post-election press conference last Wednesday you were on fire. The way you went all ‘Taxi Driver’ on McCain and company (‘You talkin’ to me?’) was so brilliant and breathtaking I had to play it back a dozen times just to maintain the contact high.”
»When one of your celebrated iconoclasts swoons like a drugged teen over a media performance by The Man, you know you’re in septic mess of trouble, so look to Egypt and Catalonia, Americans, to see how ordinary people fight back…»
Que Linh Dienh se rassure, ce qui n'est que façon de parler. Les Européens, du moins leurs élites qu’on n’oserait jamais qualifier de “dissidentes”, qui ont gardé le sens de la discipline depuis l’époque du stalinisme à Saint-Germain des Près, ces élites ne font pas mieux, et font pire depuis longtemps, n’ayant même pas montré la combattivité des Ellsberg, Chomsky, Moore, durant les années Bush et ce qui a suivi. Par contre, il y a, en Europe également, une évolution conceptuelle ; l’idée de la sécession que nous tendions à conserver spécifiquement accolée au cas américain, est également, désormais, considérée dans le cadre du concept classique de “séparatisme”, par des commentateurs européens. On peut notamment trouver chez un Russe, dans la personne et sous la plume de Fedor Loukianov, la même analogie que dans le cas de Linh Dienh (sur Novosti, le
«Le monde reparle du séparatisme. Après la réélection de Barack Obama, les habitants de certains Etats américains ont signé une pétition en faveur de leur indépendance. Ils prétendent qu’ils se débrouilleront mieux tous seuls qu'au sein des Etats-Unis, dirigés “par un tel homme politique”. Ces mœurs sont particulièrement répandues au Texas, un Etat prospère et conservateur qui rejette le “socialisme” d'Obama. Evidemment, personne ne quittera les Etats-Unis – mais il est notable que ce thème revienne au centre de l'attention.
»Le parti de centre-droit Union et Convergence n'a pas obtenu la majorité absolue aux législatives en Catalogne et par conséquent, l'organisation prochaine d'un référendum sur l'indépendance est en suspens. Cependant, en fondant une coalition avec d'autres partis plus faibles qui prônent la souveraineté, il pourrait former un gouvernement favorable à l'autodétermination. La constitution espagnole ne prévoit ni un plébiscite sur l'indépendance ni le droit de sortie. Mais il est impossible d'ignorer la volonté de ceux qui vivent dans une province représentant un cinquième de l'économie nationale…»
On observera enfin, pour compléter ce dossier, que le sécessionnisme (ou le séparatisme selon Loukianov), tel qu’il commence à se signaler désormais, constitue une ligne de fracture et d’opposition nouvelle et extrêmement importante, sinon fondamentale, à l’intérieur d’une union dissidente qui s’était constituée de facto après l’attaque du 11 septembre 2001. C’est un point très intéressant, qui constitue a contrario la preuve que nous nous trouvons dans une situation nouvelle à tous égards. Cette situation nouvelle l’est bien entendu pour ce qui est du phénomène du séparatisme-sécession tel que nous l’évoquons. Elle l’est, d’une façon beaucoup plus générale, pour ce qui est de l’unité du mouvement de dissidence qui commence à se diversifier, voire à se fracturer, parce que cette dissidence gagne de plus en plus et que l’on voit se dessiner le jour où l’“ennemi principal” (les serviteurs du Système) aura perdu trop de ses forces pour rester “principal” ; il faudra alors se définir, au sein de la dissidence, par autre chose que la résistance à cet “ennemi principal” qui ne l’est plus tout à fait. (Nous reviendrons très rapidement sur ce point essentiel, notamment et toujours à l’occasion de cette question de la sécession, qui est une référence particulièrement puissante pour éclairer ce débat et en poser les termes.)
… Quoi qu’il en soit et nous référant à Loukianov, nous hésiterions, dans l’époque où nous vivons, avec tous ses bouleversements et toutes ses surprises, dans ce temps historique que le ministre Lavrov définit comme «a time of change that has developed contrary to all forecasts», nous hésiterions à écrire, à propos du Texas et de ses agitations sécessionnistes, qu’“évidemment, personne ne quittera les Etats-Unis”. Cela est d’autant plus évident, à notre sens, que le seul fait pour Loukianov lui-même d’avoir classé le Texas dans la rubrique du séparatisme, au côté de la Catalogne (comme plus haut Linh Dienh), est un rangement révolutionnaire, complètement nouveau, qui nous sort de l’époque où il était “impensable” de penser sérieusement à la sécession d’un État de l’Union, de cette Union.
Les menaces ou les poussées de séparatisme ont toujours existé en Europe ; les menaces ou les poussées de sécessionnisme ont ont continué à exister, aux USA, après la Guerre de Sécession ; jusqu’alors, les premières et les secondes n’étaient pas considérées comme des mouvements de même nature, et jamais considérées conjointement. Plus précisément, le sécessionnisme US d'après 1865 était considéré comme une complète utopie, une loufoquerie d’esprits dérangés, un résidu de vieilles croyances, des relents de doctrines extrémistes dépassées, etc. Comme tel, effectivement, le sécessionnisme ne pouvait raisonnablement être rangé dans la même rubrique, plus réaliste, avec possibilité d’évolution, du séparatisme classique européen. Désormais, les deux rubriques ont fusionné, ce qui signifie que le sécessionnisme-séparatisme US a commencé à sortir du domaine de l’utopie et de la rêverie. La remarque de Loukianov, justifiée hier, l’est beaucoup moins, sinon plus du tout, aujourd’hui.
Quelle est la raison de ce changement ? Il tient au basculement des responsabilités. Jusqu’alors, les tendances séparatistes et sécessionnistes étaient le fait des entités que les partisans du mouvement voulaient faire bénéficier de la séparation ou de la sécession. La revendication impliquait une volonté de rupture d’un ordre général et, pour cette raison, rencontrait tant de difficultés face à la puissance des entités et nations établies, en même temps que des psychologies que cette puissance suscitait, qu’elle n’avait guère, sinon aucune chance de se réaliser. (Pour la sécession dans le cas des USA, l’idée était, – est encore, c’est l’objet du débat, – considérée comme complètement loufoque dans un autre domaine, d’une nature différente, beaucoup plus pressante et impérative en raison de l’image de puissance intégrée, d’un pays qui prétend être aussi une “nation” considérée comme “sacrée” ; les USA ne sont aucunement une nation dans la vérité historique, bien entendu, mais ils le sont symboliquement, justement par leur position et leur rôle dans l’Histoire, comme la “nation” constitutive de la modernité, et celle-ci solennellement substantivée dans cette perception symbolique par l’American Dream. Ainsi, la sécession constitue-t-elle une mise en cause radicale du symbolisme puissant de l’American Dream, symbole des symboles de la modernité, et lui-même absolument attaché à l’unité des USA, à son intégrité représentant symboliquement l’intégrité de la modernité.)
Le changement vient du basculement, qui est du à la très rapide délégitimation des États, des nations, des entités en place, qui ne cessent de perdre leur souveraineté face aux diverses forces anarchiques en action. La perte des principes de référence qu’est la souveraineté entraîne la dissolution de la légitimité, l’affaiblissement dramatique de l’autorité centrale et ainsi de suite. Ce ne sont pas les parties réclamant la séparation et la sécession qui se sont renforcées d’une façon ou l’autre, mais les centres qui les tiennent qui s’effondrent littéralement, dans le chef de leur légitimité et de leur autorité. Hier, le séparatisme et le sécessionnisme étaient perçus comme la représentation d’une “volonté de rupture d’un ordre général” ; aujourd’hui, ils représentent une “volonté de rupture” avec le désordre que sont devenues les entités en place, dépourvues désormais de souveraineté et de légitimité.
Du coup, les revendications de séparatisme et, désormais, de sécession, reprennent tout leur crédit, cette fois non plus au nom d’utopies ou d’irréalismes venues des séparatistes et des sécessionnistes eux-mêmes, mais comme une des solutions évidentes offertes à l’effondrement des légitimités et des souverainetés centrales, dans une situation où l’on ne peut plus mettre aussi nettement en accusation séparatistes et sécessionnistes. Du coup, les augments que Loukianov énonce pour la Catalogne se retrouvent pour le Texas, 15ème économie mondiale, bénéficiant de la suffisance énergétique, avec son budget en équilibre, dans une situation infiniment meilleure que le gouvernement central de Washington. Quant au patriotisme texan, – même si l’on n’aime pas le Texas, avec bien des raisons, – il vaut bien en intensité celui de la Catalogne…
Ainsi la revendication de la sécession est-elle en train de sortir du cadre symbolique qui la tenait fermement enfermée. Par contre, les autres symboles restent en place, de plus en plus mal en point, comme seule survivance de la puissance des USA, de leur légitimité à exercer une hégémonie, de leur droit moral à représenter la référence de l’Occident (American Dream), d’ailleurs au moment où l’Occident s’est transformée en un “bloc BAO” où les USA n’exercent plus leur prépondérance hégémonique d’influence. Ainsi la sécession tend-elle à n’être plus un tabou impensable, alors que sa réalisation frapperait de plein fouet un autre tabou plus nécessaire que jamais comme seule référence symbolique forte subsistante, l’American Dream interprétant symboliquement cette puissance réunissant tant de diversité pour les fondre dans une unité (E Pluribus Unum, devise des USA), les USA qui constituent la réalisation géographique, politique, culturelle et psychologique de la modernité, – et, par conséquent, qui sont le cœur même du Système.
Ainsi la sécession devient-elle possible dans son opérationnalité ; parce qu’elle devient possible dans son opérationnalité elle devient effectivement (opérationnellement) attentatoire au symbole de la modernité que sont les USA et leur représentation dans l’American Dream ; parce qu’elle devient attentatoire au symbole “intégrité des USA-American Dream”, elle devient une formidable arme antiSystème et n’est plus seulement un acte de séparatisme ou de rébellion. Ici, nous ne parlons plus en termes politique ou géopolitique, ou même en termes d’une soi-disant “morale politique”, parce que tous ces termes n’ont absolument pas cours avec les USA. La substance du jugement qu’on peut et doit porter sur les USA pour avoir une juste appréciation du phénomène est du type symbolique ; par conséquent, l’État sécessionniste envisagé serait-il le Texas, archétype des normes de puissance du Système dans ce qu’elles ont de plus détestables lorsqu’il se trouve au sein des USA, le Texas devenu sécessionniste, et pour n’importe quel destin qu’importe, n’en serait pas moins absolument antiSystème, et il le serait devenu instantanément dès lors que l’acte décisif déclenchant le processus aurait été posé.
Bien entendu, on ne peut s’en tenir là. Qu’un tel événement se produise, dès l’entame d’un processus de sécession, les conséquences psychologiques seraient considérables, à la mesure de la force symbolique de cet événement. Les conséquences seraient absolument imprévisibles dans leur puissance et dans leur enchaînement, parce que la perception dans la psychologie, grâce à la force symbolique de l’événement, serait effectivement celle d’un processus d’effondrement de la modernité. Dans ce sens, s’il devait y avoir un seul événement décisif aujourd’hui, dans un sens antiSystème, c’est bien l’événement de la sécession des USA, – pour le fait même de la sécession pulvérisant le symbole de la modernité, bien sûr, et nullement pour ce qu’il donnerait géographiquement, politiquement, stratégiquement, etc. Il s’agirait absolument d’un attentat nécessairement mortel contre l’intégrité de la modernité, qui ne peut être modernité que dans la mesure où son intégrité est respectée. C’est le Système qui serait frappé au cœur.