Puissance de la “transmutation civilisationnelle”

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Puissance de la “transmutation civilisationnelle”

• Peu à peu se précisent les composants de ce phénomène apparu en quelques semaines du rapprochement entre les USA et la Russie, jusqu’alors considérés comme ennemis irréconciliables. • Il y a bien entendu bien plus que la raison et la politique derrière ce phénomène. • Il y a la définition de l’affrontement civilisationnel entre le néo-libéralisme en place et son adversaire, à la fois Tradition et spiritualité, antiSystème, illibéralisme, etc. • Ainsi vont les noms d’oiseau de l’affrontement civilisationnel.

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Parlant d’une “transmutation civilisationnelle”, nous ne parlons pas une seconde d’un “choc des civilisations” auquel nous n’avons jamais cru vraiment, comme s’il y avait deux ou plusieurs “civilisations” en état d’affrontement et de concurrence. Il y a aujourd’hui une seule “civilisation” qui règne sur le monde et la résistance, la dissidence, l’indépendance ne peuvent s’exercer que contre elle. Nous parlons de transmutation parce que, à l’heure actuelle et mise à part l’affrontement nucléaire total, il ne peut être question de se battre que pour transmuter ce qui existe en quelque chose d’autre. C’est à cause de cette opération, qui est fondamentalement du type de la perception, que la communication et son extrême rapidité jouent un rôle si important.

C’est là un grand éclaircissement des choses, qui envoient toutes les gamineries-bouffe de l’idéologie au placard des tentations perdues et nous fait mesurer l’absurdité des soi-disant “guerres” limitées au massacre des civils que nous connues ces dernières années. L’historien de la métahistoire et de la métapolitique s’emploiera à retenir de ces années que nous vivons depuis 1991, l’ombre considérable de l’immense et cruelle bêtise qui a recouvert le monde.

Enfin, les choses semblent bien s’éclaircir de façon décisive. Nous notons avec minutie chaque événement qui nous rapproche du choc essentiel depuis plusieurs années. Encore une fois, il est bon de rappeler cette intervention de l’Américain Buchanan, dans son édito du 18 décembre 2013, sous le titre « Is Putin One of Us ? », poursuivi par un ‘F&C’ du même 18 décembre 2013, qui avaient suivi un discours “civilisationnel” fondé sur la Tradition de Poutine le 13 décembre 2013 :

« “Is Putin One of Us? – Is Vladimir Putin a paleoconservative?”, complète Buchanan... Dans la terminologie US, les “paléoconservateurs” désignent les républicains conservateurs restés fidèles aux doctrines républicaines d’avant le Guerre froide, notamment l’isolationnisme et, surtout, le non-interventionnisme. Par exemple, Justin Raimondo et Ron Paul sont aussi des “paléoconservateurs”. Le terme, qui s’oppose évidemment à “néoconservateur”, est à la fois fait de dérision des “paléos” pour eux-mêmes mais au second degré, pour caricaturer indirectement le terme de “conservateur” dans “néoconservateur” ; mais aussi, et involontairement cette fois, selon nous, parce que les “étiquettes” US n’ont pas l’habitude de dépasser la chronologie de l’histoire des USA, en nous suggérant une référence qui pourrait bien correspondre à celle que nous développons vers les Anciens et leurs conceptions, enfin vers la Tradition. De ce point de vue, il faut aussi noter combien il est inhabituel qu'un commentateur US en général, et de cette tendance en particulier, s'intéresse si en détails, comme fait Buchanan, à un discours de provenance étrangère, et surtout d'un dirigeant russe. Cela annonce les développements dont nous allons parler, l'ouverture complètement paradoxale au reste du monde de certains commentateurs US, notamment, paradoxe des paradoxes, de ceux qui se disent eux-mêmes isolationnistes. »

Le même Buchanan avait écrit un livre assez pessimiste sur l’état culturel et civilisationnel des USA-Système, sous le titre qui devrait nous dire quelque chose de « Suicide of a Superpower: Will America Survive to 2025?” »... Tout s’enchaîne donc, y compris chronologiquement ; l’année 2025 semble particulièrement prisée à cause des événements qu’elle nous réserve.

Il est évident que, depuis cette citation de Buchanan, et malgré une défense acharnée du Système, – mais en aveugle, puisque ne comprenant pas qui était et qui est désormais son ennemi absolu, à la vie à la mort, – les acteurs reconnus et les enjeux identifiés en 2013 sont aujourd’hui bien présents et parfaitement identifiés.

Pour bien nous y retrouver, rien ne vaut ce petit texte (traduction de ‘eurosynergie-hautfort.com’) de Markku Siira sur Alexander Douguine, philosophe et métaphysicien de la géopolitique, notamment connu pour ses concepts de “multipolarité” et de “Quatrième Théorie Politique”. Douguine a l’avantage d’être un philosophe qui suit très précisément l’actualité, non pas selon une philosophie ou une posture morale, mais selon sa propre philosophie qu’il rend ainsi opérationnelle. Il applique à 100%, – ce qui pourrait surprendre la référence si elle s’en avisait, et pas vraiment dans le sens de sa satisfaction, – mais “Les Voies du Seigneur...” – la remarque d’Alain Finkielkraut du 1er septembre 2020 :

« “Nous ne disposons plus aujourd’hui d’une philosophie de l’histoire pour accueilli les événements, les ranger et les ordonner. Le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous. Il est donc nécessaire, inévitable de mettre la pensée à l’épreuve de l’événement et la tâche que je m’assigne, ce n’est plus la grande tâche métaphysique de répondre à la question ‘Qu’est-ce que ?‘” mais de répondre à la question ‘Qu’est-ce qu’il se passe ?’... »

Ce jugement, comme je l’ai entendu, ne m’a pas du tout paru être, pas une seule seconde, un abaissement du philosophe, descendant de la “grande question”.  Tout au contraire, il s’agit d’une chose qui m’est chère, qui est un constat, qui est celui de la reconnaissance de l’essence métaphysique des événements de l’en-cours. En quelque sorte, dirait le chroniqueur cynique des salons parisiens, “la métaphysique descend dans la rue” ; ce à quoi je lui répondrais aussitôt et sans faiblir : “Par les événements qui s’y déroulent, la rue se hausse au rang de la métaphysique”. C’est donc bien le devoir du philosophe de prendre son poste de sentinelle à l’affut de l’intuition qui l’éclairera sur la signification et par conséquent sur le sens de ces événements. »

Ainsi Douguine fait-il, sous la plume de Siira le point de ce qui constitue l’avancée la plus radicale de la dynamique antiSystème à orientation traditionnaliste, voire archéofuturiste, contre la modernité. Il s’agit, aujourd’hui, du rapprochement sous le vocable d’ “illibérale” pour les gens de l’Ouest, entre la Russie de Poutine et les USA de Trump, essentiellement dans les domaines culturels et spirituels.

Si les termes que nous utilisons habituellement (Tradition, spiritualité) ne sont pas présents, ils nimbent évidemment toute cette dynamique, tandis que la diversité des personnages cités (Douguine, Poutine, Trump) ne fait que mieux rendre compte combien nous nous trouvons dans un domaine inattendue et extraordinaire qui nous impliquent sans que nous ayons réalisé nécessairement l’orientation de cette dynamique... Au reste et sans surprise, on jugera que c’est pure logique transcendantale pour un enjeu civilisationnel de cette importance...

dedefensa.org

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Une Grande Alliance illibérale

La russophilie était autrefois un marqueur de la gauche américaine – un objet d’admiration pour les socialistes qui défendaient le stalinisme et le système socialiste de l’Union soviétique. Maintenant, la situation a changé, comme le souligne The Economist.

Ce changement est devenu très visible: l’influenceur Maga Tucker Carlson et le journaliste indépendant Glenn Greenwald ont visité Moscou pour rencontrer le penseur antilibéral Aleksandr Douguine. L’interview amicale de Carlson avec Poutine et la réception de la critique formulée par Douguine sur le libéralisme l’année dernière, ainsi que la récente visite de Greenwald, montrent une sorte de lien idéologique.

Les libéraux occidentaux et les néoconservateurs craignent que la nouvelle connexion entre la droite américaine et la droite russe ne soit pas qu’une simple provocation, mais une affinité philosophique plus profonde. La ligne commune est visible en géopolitique: les partisans de Trump ont rejeté l’aide militaire de Biden à l’Ukraine, considérant le pays comme une sphère d’influence légitime pour la Russie – de la même manière que les Américains agissent dans leur propre région du monde. Ce réalisme du mouvement "America first" rejette l'interventionnisme et se met au diapason avec le monde multipolaire de Douguine.

L’opposition de Douguine à l’Ukraine date de bien plus longtemps. Son ouvrage Les Fondements de la géopolitique (1997) évoque une "Grande-Russie" eurasiatique, menacée par l'Ukraine. A cause de son enthousiasme virulent pour l'annexion de la Crimée (2014), il a perdu son poste à l'Université d’État de Moscou, mais il continue d’être une voix de la droite antilibérale. L'attentat à la voiture piégée de 2022, qui a tué sa fille et a été attribué à l'Ukraine, n’a fait que renforcer sa visibilité.

Le lien qu'il entretient avec le mouvement Maga ne se limite pas à la géopolitique, mais s'étend également aux valeurs et aux visions du monde. Le trumpisme, la Russie de Poutine et un nationalisme conservateur plus large – de Bolsonaro à Orbán en passant par Le Pen – rejettent les principes du libéralisme des Lumières, tels que l’individualisme et les droits de l’homme universels. Le globalisme et la pensée woke sont vus comme des symboles de la décadence occidentale, et la notion de souveraineté pour l'État-nation se voit très nettement valorisée. Douguine résume sur tweetX : les États-Unis et la Russie sont sur la même conception, tandis que les "globalistes de l'UE" nous font face.

Cependant, il y a des différences: Douguine soutient un État autoritaire et la prééminence des traditions, tandis que le mouvement MAGA de Trump s’appuie sur le populisme majoritaire aux Etats-Unis et tente de briser l'État libéral de l'intérieur. En Russie, l'État incarne la nation, tandis qu'en Amérique, il constitue l'adversaire. Pourtant, des marginaux trumpistes, comme les "intégralistes" ou le "néo-réactionnaire" Curtis Yarvin, s’approchent de la ligne de Douguine – Yarvin envisage un président dictateur à la tête de l'Amérique, un "monarque-PDG" absolu, posture que J. D. Vance a également soutenue.

Le flirt idéologique n’est pas exempt de contradictions. Le traditionalisme ésotérique de Douguine, qui célèbre de nombreuses traditions différentes, telles que la mystique islamique, le soufisme et la théocratie iranienne, entre en collision avec les valeurs sionistes de la droite occidentale. Certes, au sein des cercles les plus obtus de l’extrême droite, Douguine a également été accusé d’apprécier la kabbale juive, ce qui ne fait qu’ajouter à la complexité de sa pensée.

Cependant, l'ancien conseiller de Trump et le parrain de la droite MAGA, Steve Bannon, voit en la Russie une alliée de l'Amérique. Lorsque les libéraux ont faussement étiqueté Trump comme le pantin de la Russie, ils pourraient maintenant négliger un lien réel, ouvertement avancé, – ironiquement, exactement ce qu'ils craignaient à l'origine.

Markku Siira