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985Le site bien connu dans ces colonnes WSWS.org, de la IVème Internationale trotskyiste, tient sans aucun doute la démission du CEMA français, le général Pierre de Villiers, pour un événement très important. Il a publié simultanément le texte original en anglais et sa traduction française (les deux à la date du 20 juillet), ce qui est rarissime pour lui qui fait en général suivre d’un jour les traductions à partir de l’anglais original (y compris destextes concernant la France). Ces petits détails sont significatifs et nous tiendrons d’autant plus comme exemplaire ce texte de WSWS.org sur notre affaire.
Nombre de textes de WSWS.org sont très intéressants, du moment qu’on les débarrasse des clichés de commentaires et de conclusions sur la mobilisation de la classe ouvrière internationaliste ; en général l’amputation sans trop de douleur du dernier paragraphe suffit, à moins qu’on veuille le conserver comme témoignage des choses pour un hypothétique musée de la pensée par infusion régulière d’idéologisation. (Ces remarques valent pour les trotskystes de WSWS.org ; comme elles valent pour les innombrables groupes idéologisés, essentiellement de la pseudo-“gauche” postmoderniste depuis que triomphe le progressisme-sociétal.) De notre point de vue toujours et pour rompre avec la règle générale évoquée, ce texte-là sur la démission de Villiers est au contraire composé quasi-uniquement de clichés, jusqu’au point où l’appel à la mobilisation de la classe ouvrière de la fin pourrait presque voir la vertu de l’originalité. Dans ce cas, les clichés sont évidemment des lieux communs absolument idéologisés, c’est-à-dire producteurs massifs d’amalgames, comme exercice intellectuel favori et quasiment automatisé de cette sorte de pensée complètement idéologisée.
Il nous paraît complètement inutile de s'attarder à rétablir un semblant de ce que nous jugeons être leur vérité-de-situation à propos de ces clichés ; ou bien on admet qu’il s’agit de clichés et l’opération de réforme est aisée, ou bien on le nie pour mieux condamner celui qui en a fait le constat et aucune discussion n’a lieu d’être. Pour mieux expliciter notre propos à propos de ces “clichés idéologisés”, on prendra le cas de Jacques Soustelle mentionné comme une sorte d'analogie significative, pour mieux permettre d’amalgamer le général de Villiers à une composante fasciste-naziz à partir d’un message mis sur son site du général Charles Delestraint, un des grands héros de la résistance anti-nazie en France (« Plusieurs autres dirigeants de la fraction pro-capitaliste et gaulliste de la Résistance qui ont survécu à la guerre, dont Georges Bidault ou Jacques Soustelle, ont fini par s'aligner sur les forces d'extrême-droite pendant la guerre d'Algérie et défendre le putsch de 1961 »). On peut lire le sujet assez bien fait du Wikipédia, concernant Jacques Soustelle, anthropologue, homme de gauche, gaulliste, partisan de l’Algérie française comme l’essentiel de la classe politique française (Mitterrand, Debré, Mollet, etc.) et qui maintint cette position jusqu’au bout, ce qui le mit comme bien d’autres dans le même camp que les putschistes d’avril 1961 et de l’OAS. Il est bien évident que cette présence d'éléments nationalistes et activistes (la terminologie “fasciste” pour qualifier l'OAS est hautement discutable) ne peut en aucune façon faire de tous les partisans de l'Algérie française qui allait jusqu'à la gauche modérée et gaulliste en rupture de ban des “fascistes”. Pour le texte qui nous occupe, tout cela est récupéré-manipulé par le camp dit-AntiFa (antifascistes postmodernes) à l’occasion de l’exercice intellectuel favori des clichés et lieux communs authentifiés-Système de la “repentance” ; c'est dire que l'entente AntiFa-Système est conclue.
C’est sur cette sorte d’argument que WSWS.org développe la thèse que la démission de Villiers est à la fois la preuve de la militarisation de la France (et de l’Europe, et du reste), de l’influence grandissante de l’armée, de la collusion entre l’armée et le Système (Macron), etc. Tout cela est achalandé d’arguments dont on peut discuter le bien-fondé logique, – entre la décision de Macron de supprimer €850 millions du budget de l’armée et l’affirmation que Macron prépare des « augmentations massives des crédits militaires ». On sait que cette sorte d'argument est soutenu par un brillant développement chronologique comptable (d’ailleurs du côté des amis de Macron, sur ce point en phase avec WSWS.org), comme à peu près tous les autres clichés dépendant des mêmes sortes d’arguments théoriques et très sophistiqués jusqu’à faire dans le sophisme.
(Encore heureux que l’auteur, Alex Lantier, ne se soit pas vraiment aperçu qu’il y avait moyen de développer une argumentation supplémentaire autour du nom de Villiers, – dont l’extrême complexité aristocratique nous est rappelée par un lecteur, gardien vigilant de l’ordre démocratique ; cela aurait permis d’introduire la main cachée des Bourbons, voire des Valois sinon des Capétiens. Pour le reste, nous sommes avertis que la jeunesse est sur le point de se révolter en Europe et que le système capitaliste, les oligarchie, le Corporate Power, etc., comptent bien sur l’armée et l’extrême-droite pour liquider cette révolte. C'est une autre curiosité sémantique puisque l'extrême-droite ne cache pas en général son désir de favoriser toute révolte possible contre le Système ; mais la chose est rapidement expliquée par les complotistes, à partir du moment où l’extrême-droite serait identifiée comme fomentant elle-même des troubles contre l’ordre-Système selon la technique de la catégorie “provocation-manipulation”. Nous restons dans l'ordre des clichés.)
De fait, le véritable intérêt du texte de WSWS.org est de suivre la logique d’une forme de pensée dont le terme implicite mais symboliquement pressant conduit à voir dans la démission d’un chef d’état-major une forme de putsch contre le pouvoir civil. L’idée n’est pas dépourvue de précédent. On a déjà vu que les cinq membres du Joint Chief of Staff US (le président, et les CEM des quatre armes, –Army, Navy, USAF, Marine Corps) avaient envisagé une démission collective aux USA, mais avaient reculé devant cette interprétation d'un putsch : « L’une des principales révélations du livre de Perry concerne la période du Vietnam. Il détaille comment, en 1967, le JCS envisagea une démission collective pour protester contre la stratégie suivie au Vietnam, mais recula au dernier moment, estimant que cette décision serait appréciée comme “une tentative de coup d’État”. »
Il y a certes une très grande différence entre les deux événements, qui rend effectivement un peu dérisoire la qualification implicite d'une sorte de “coup de force” qui accompagne très en demi-teinte le texte de WSWS.org sur la démission du général de Villiers. (La reproduction du texte de général Delestraint sur le site de Villiers est décrite comme comportant « ... également une part de menace » ; à ce compte, une reproduction de l’Appel du 18 Juin paraîtrait franchement menaçante et séditieuse, et d’ailleurs c’est ainsi qu’il apparut lorsqu’il fut diffusé.) Mais l’on comprend WSWS.org, qui cultive au moins la cohérence d’être contre tout le monde et donc de débusquer partout une menace d'agression, de subversion, de crise, et d'une façon générale de complicité avec le Système, y compris et même surtout chez ses “concurrents” des gauches révolutionnaires. (Sa vindicte contre les “gaucho-traîtres”, est absolument remarquable, et encore plus marquée que contre les “socio-traîtres”. S’agissant de la France, WSWS.org tape beaucoup plus volontiers et avec beaucoup plus de plaisir, c’est manifeste, sur un Mélenchon, et, surtout, sur le parti Anti-Capitaliste à prétention pseudo-trostkiste de Besancenot et de Poutou.)
Le site trotskiste, à l’aide d’arguments dont on a vu l’aspect si contestable selon notre point de vue, offre pourtant, involontairement mais valablement, une orientation qui a sa valeur de symbole. L’acte de Villiers, s’il n’est pas comme un peu d’imagination pourrait le laisser croire un “refus d’obéir” de type subversif, un putsch, une sédition, apparaît par contre comme la manifestation, – sans doute plus involontaire que préméditée sur ce point, – d’un malaise qui prend l’allure d’un mécontentement politique d'une grande importance.
Plus qu’être cantonné au seul domaine budgétaire, – ce qu’il paraît être le cas à première vue, – l’acte de la démission vu par WSWS.org prend symboliquement une dimension politique, notamment en abordant la question des interventions extérieures où l'outil militire est particulièrement impliqué sans avoir en aucune façon le poids politique que WSWS.org lui attribue. (« Les armées européennes ont non seulement rejoint des guerres néo-coloniales en Afghanistan, en Irak, en Libye, et au Mali, mais elles sont devenues des acteurs clé de la politique intérieure. »). De ce point de vue différent de toute l’analyse développée ci-dessus, il y a effectivement un malaise qui concerne les militaires, mais plus comme outils plutôt réticent que comme instigateurs de la chose ; par conséquent, et de ce point de vue effectivement, nous pensons que la démarche analytique complètement contestable de WSWS.org aboutit à une conclusion symbolique complètement acceptable. Une fois de plus, il s’agit de l’effet très imprévisible de la communication et de la perception qu’on en a dans un climat crisique général.
D’ores et déjà, après un premier barrage sévère contre Macron et sa politique de soumission aux 3% de Bruxelles aux dépens de l’armée pour cette année budgétaire, la contre-attaque du côté gouvernemental a été marquée par des critiques violentes du général de Villiers de la part du porte-parole du gouvernement, et une visite à Istres pesante par un pseudo-volontarisme qui avait un aspect défensif du président Macron, et une démarche de séduction qui avait le maquillage un peu trop sollicite. Ainsi se manifeste le malaise dont nous voulons parler, qui est de nature politique derrière son apparence de type budgétaire, et qui touche un des domaines essentiels du pouvoir. On n'a pas fini de parler de la démission du général de Villiers, et l'on y reviendra une fois la période des vacances passée.
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Le général Pierre de Villiers, le chef d'état major des forces armées, a démissionné hier après une confrontation d'une semaine avec Emmanuel Macron sur des questions budgétaires. Il a publié un communiqué qui évoquait ses « réserves » quant aux politiques de Macron, qu'il a traitées de menace à la défense nationale.
« Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d'assurer la pérennité du modèle d'armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd'hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j'ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au président de la République, qui l'a acceptée », a-t-il écrit.
Cette démission est sans précédent hors temps de guerre à l'intérieur de la France. La dernière démission du chef des forces armées remonte à 1961, en pleine guerre d'Algérie, quand le général Jean Olié a démissionné suite au putsch du 21 avril 1961 à Alger, mené par des officiers hostiles à l'indépendance de l'Algérie et au gouvernement à Paris.
L'effondrement de la relation entre Macron et l'armée est remarquable, vu que Macron l'a si agressivement courtisée. Pendant les présidentielles, il a proposé de rétablir le service militaire universel et d'augmenter le budget militaire de presque 50 pour cent, pour atteindre 2 pour cent du PIB en 2025. Mais quand le ministre des Comptes Publics Gérald Darmanin a annoncé des coupes budgétaires exceptionnelles cette année de 850 millions d'euros dans les crédits pour l'armée, de Villiers s'est lancé dans une révolte ouverte contre Macron.
Il a participé le lendemain à une réunion de la commission de la défense de l'Assemblée réunissant de nombreux députés débutants de La République en marche (LRM). Il a dénoncé les coupes budgétaires et a conclu en déclarant crûment, « Je ne me laisserai pas baiser comme ça ! »
Le président de la commission, le membre dirigeant de LRM Jean-Jacques Bridey, a indiqué sa solidarité avec de Villiers en déclarant : « Il ne faudrait pas qu'un soldat meure à cause d'un défaut d'équipement. Nos armées ont besoin de moyens. »
Macron a réagi lors d'une réception le 13 en attaquant de Villiers sans le nommer, devant ses subordonnés, avant le défilé militaire du 14 juillet : « Je considère qu'il n'est pas digne d'étaler certains débats sur la place publique. J'ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire. »
De Villiers a riposté en publiant une lettre provocatrice sur Facebook le 14 juillet. Il a écrit, « Une fois n'est pas coutume, je réserve le sujet de ma prochaine lettre », qui s'est avérée être sa lettre de démission. Sans nommer Macron, de Villiers a cité le discours du général Charles Delestraint en juillet 1940 pendant la conquête de la France par les nazis, avant que Delestraint n'entre en résistance contre le gouvernement français collaborationniste.
De Villiers a écrit, « Alors même que la défaite est actée, son discours est une exhortation ferme à rejeter toute 'mentalité de chien battu ou d’esclave'. Quelques mois plus tard, conformant ses actes à ses paroles, il prend la tête de l’Armée secrète. Arrêté, torturé puis déporté, il meurt au camp de Dachau, le 19 avril 1945, moins de trois semaines avant la victoire, dont il a été l’un des artisans les plus actifs. »
Ce commentaire, qui vise à associer de Villiers à l'opposition au nazisme, comporte également une part de menace. Plusieurs autres dirigeants de la fraction pro-capitaliste et gaulliste de la Résistance qui ont survécu à la guerre, dont Georges Bidault ou Jacques Soustelle, ont fini par s'aligner sur les forces d'extrême-droite pendant la guerre d'Algérie et défendre le putsch de 1961.
Cette confrontation entre le président de la France et le chef de ses armées souligne l'effondrement croissant des normes démocratiques en Europe. Le militarisme accru de l'impérialisme européen depuis la dissolution de l'URSS par la bureaucratie stalinienne en 1991, conjugué à la montée des inégalités sociales et des tensions de classe, ont largement renforcé la position politique des armées. Les armées européennes ont non seulement rejoint des guerres néo-coloniales en Afghanistan, en Irak, en Libye, et au Mali, mais elles sont devenues des acteurs clé de la politique intérieure.
Le sentiment de révolte contre l'austérité et les inégalités s'est exprimé dans le sondage « Génération What ? » de la jeunesse européenne. Plus de la moitié des jeunes européens, et plus de 60 pour cent des jeunes Français, se sont dits prêts à rejoindre un soulèvement contre le système politique. Face à l'entrée de l'Europe dans une situation de plus en plus clairement pré-révolutionnaire, la classe dirigeante fait de plus en plus appel à l'armée et à l'extrême droite.
En Allemagne, où la classe dirigeante a lancé la remilitarisation de la politique étrangère en 2014, des universitaires et des historiens d'extrême-droite tentent de réhabiliter Hitler et les nazis. Après la découverte au printemps d'un large réseau de néo-nazis dans l'armée allemande, y compris parmi des officiers envoyés en France, le magazine Der Spiegel vient de publier un article par l'historien Sönke Nitzel qui insiste que des officiers nazis devraient servir de modèles pour leur agressivité.
En France, l'armée a quadrillé le territoire national suite aux attentats terroristes de 2015, sous un état d'urgence qui suspend des droits démocratiques fondamentaux et soustrait les opérations sécuritaires au contrôle des juges. L'état d'urgence a ensuite servi à justifier une répression brutale des manifestations de jeunes et de travailleurs contre la loi travail, dont Macron veut à présent se servir afin d'imposer des réductions brutales aux salaires et aux acquis. Cela doit aussi financer les augmentations massives des crédits militaires que préparent Macron et l'armée.
Macron essaie donc d'amadouer l'armée, la police et l'extrême-droite en tant que base sociale pour sa politique réactionnaire. Il a lancé un « salut républicain » à la candidate néo-fasciste Marine Le Pen le soir même de son élection. Maintenant qu'il essaie de garder le cap sur l'austérité en réduisant les crédits militaires en attendant que les attaques contre les travailleurs lui donnent plus de ressources financières, Macron doit faire face à une révolte de sa propre base.
Il n'y a aucune raison sérieuse de croire que cette démission, assortie d'un appel à la résistance, va résoudre les conflits explosifs au sein de l'élite dirigeante. Les conflits budgétaires vont s'intensifier, et de Villiers a un large soutien dans le milieux nationaliste d'extrême-droite.
Son frère est Philippe de Villiers, le chef d'un parti nationaliste anti-européen, le Rassemblement pour la France (RPF), dont la base politique est en Vendée, et qui a indiqué ses sympathies lepénistes lors des présidentielles. Philippe de Villiers n'a pas explicitement soutenu Marine Le Pen, mais le chef de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, l'a fait.
Le Pen et des dirigeants RPF et DLF ont tous applaudi le geste de Pierre de Villiers après sa démission hier. Le Pen a traité Macron d'« arrogant » et ajouté que sa manière de traiter la crise avec de Villiers « illustre les dérives très graves et les limites très inquiétantes de Monsieur Macron, aussi bien dans son attitude que dans sa politique ».
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