Pyrrhus en lambeaux, épuisé…

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Ce fut une “victoire”, on ne sait pour qui, et une “victoire à la Pyrrhus” où l’on ne sait qui, exactement, est Pyrrhus. Tout juste observe-t-on qu’il est épuisé, et déjà préparé à de nouvelles batailles, à de nouvelles épreuves. (Tout juste [bis] suggérerions-nous qu’après tout et après réflexion, dans une telle bataille, “Pyrrhus en lambeaux, épuisé”, ne saurait être que le Système lui-même.)

Ainsi en est-il de la situation washingtonienne, où, même l’issue conjoncturelle d’un paroxysme d’une crise devenue structurelle et caractérisée par le désordre, est elle-même complet désordre. Encore la chose, – l’accord sur la dette colossale du gouvernement, – n’est-elle pas complètement bouclée puisqu’il reste la sanction des votes des deux assemblées du Congrès. En annonçant l’accord des deux dirigeants des deux partis, Barack Obama a commenté, soit pour montrer son inutilité tranquille, soit pour démontrer son impuissance et celle du Congrès, soit pour dire éventuellement une vérité absolument involontaire et brusquement éclairée, qui est celle de la crise du pouvoir à Wahington : «Je veux plus que tout remercier le peuple américain, ce sont vos voix qui ont poussé Washington à bouger ces derniers jours.»

Ainsi, Washington aurait bougé ? Si l’on veut mais il faut bien dire que ce mouvement n’enthousiasme guère. Les commentaires sont unanimement négatifs, – crépusculaires, sarcastiques, découragés, etc. Il ne faudrait pas trop de “victoires” de cette sorte pour le Système, il n’y survivrait pas longtemps.

• Les acteurs eux-mêmes, quel que soit le destin de l’accord confronté aux votes des deux assemblées, ne dissimulent pas leurs mauvaises humeurs ni ne mâchent leurs récriminations diverses. Le site Politico.com, le 31 juillet 2011, détaillait des réactions contrastées, notamment du côté des démocrates désormais libérés de leur devoir de soutien à leur président : «Even before the details of a debt-limit deal began to spill out over the weekend, Democrats in Congress started to show the signs of a party getting rolled by its own président…»

Ce malaise peut aller très loin, dans tous les cas en paroles, comme le rapporte RFI le 1er août 2011, citant la réaction de Nancy Pelosi : «[L]e chef de la minorité démocrate à la Chambre, Nancy Pelosi, est beaucoup moins enthousiaste : “certains d’entre nous pourraient ne pas approuver le plan, et peut-être aucun d’entre nous”, a-t-elle lâché d’un ton sibyllin.» Il est effectivement possible que des démocrates se révèlent soudain comme des opposants d’un accord qui satisfait essentiellement les républicains et leur minorité extrémiste, sans doute dans la mesure où leur opposition ne mettrait pas en cause l’adoption de cet accord, si les républicains décidaient de voter en bloc pour, – cela, pour les démocrates, pour marquer solennellement combien cet accord leur coûte.

• La chose se retrouve dans Salon.com, du 31 juillet 2011 ; et la chose, c’est le désenchantement des démocrates, mais aussi l’impression d’un échec général qui touche tous les partis, – sauf peut-être Tea Party, si l’on considère pour la circonstance et pour aider le commentaire qu’il s’agit d’un “parti”, – et qui touche tout le Système, – ce qui explique le cas Tea Party, qui a joué constamment dans cette partie comme un acteur hors-Système…) «A bad weekend for the White House: The Tea Party wins, Democrats lose, and the carnage will be even worse next year. […] In the end, President Obama had to admit surrender. He tried to put a bold face on it, but there's no other way to interpret his remarks to the nation announcing that Congressional leaders had cut a deal to raise the debt ceiling.»

• La presse-Système non-US et assez bien informée n’hésite pas, elle, à désigner le vainqueur, avant même que l’accord soit entériné par les votes démocratiques. Il s’agit évidemment de Tea Party. (Le Daily Telegraph du 1er août 2011 : «US debt deal: a victory for the Tea Party. – Though its members are disinclined to declare victory, the prolonged political tussle over the US debt ceiling was a clear win for the Tea Party.») Les commentateurs ne trouvent aucun motif de satisfaction dans ce constat, malgré qu'il s'agisse d'une fin de crise, mais observent simplement que cette “victoire” sanctionne une “bataille” forcée par le Tea Party, une bataille d’une forme rupturielle par rapport aux habitudes de l’establishment washingtonien, et tout cela conduisant à une situation chaotique où les grandes forces établies du Système se trouve face à une dynamique insaisissable, qui sera nécessairement celle d’un système antiSystème quoi qu’en veuillent les uns et les autres. Tout se passe comme si cette dynamique, s’exprimant certes par l’intermédiaire d’un des protagonistes (Tea Party), était en fait étrangère à toute action et influence humaines…

Le Guardian du 31 juillet 2001 écrit dans son éditorial : «So the outline deal on raising the debt ceiling which emerged yesterday is not a triumph of compromise and reason. True, it will avert a disaster, but one that had been fabricated by the Tea Party themselves. Raising the US debt ceiling is in any other time a matter of arcane interest nodded through Congress without anyone much noticing. It has happened about 140 times in the last 60 years. If the emergency of a default was a false one, so the relief that a deal brings is ersatz, too. […] But you would have to be a shining optimist to yet see any electoral downside for mainstream Republicans like him “going to the dark side”’, as his Democrat predecessor Nancy Pelosi so aptly called the pandering he has done to the Tea Party agenda. All the indications are that an intransigent, ideological and populist Tea Party are providing Republicans like him with their cutting edge.»

• Il y aussi, en cours, pour alimenter les bavardages de cette première semaine d’un mois d’août qui commence sur cette note si étrange d’une crise ainsi montée de toutes pièces, mais exprimant néanmoins une réalité crisique absolument fondamentale, la question de la notation sacro-sainte des USA (maintien dans le domaine AAA le plus haut ou pas). Les perspectives sont diverses et ouvertes, et certains verraient bien dans la possibilité d’une telle dégradation malgré l'issue de la crise la volonté de Wall Street, grand manipulateur des agences de cotation, de “punir” Washington et son Congrès, et de bien faire sentir qu’une reprise en main est très vite nécessaire. L’on n’en est plus, au sein du système de l’américanisme en pleine débandade, à se faire des cadeaux au nom d’une solidarité du système. C’est là, sinon un progrès (du moins, selon les points de vue…), dans tous les cas également une donnée nouvelle de la situation. La crise de la dette, à Washington, a fait éclater toutes les solidarités jusqu’alors réclalmées et exercées au nom du Système ; certes, pas loin d’un “chacun-pour-soi”...

«Wayne Kaufman, chief market analyst at John Thomas Financial in New York, said that after five down days on Wall Street the stock market was primed for a bounce. But he warned that options traders, who have been betting a deal will be struck, may get caught out. […] Even if a deal is struck soon, markets remain nervous, and a relief pop in equities may be short-lived. This year, Wall Street has been quick to move from crisis to crisis. And those seem to be in almost endless supply. The United States still faces a possible downgrade to its gold-plated AAA rating in the near future and that is likely to hit markets if it does eventually happen…» (Reuters, le 31 juillet 2011.)

Ainsi soit-il, dans ce chaos qui accompagne ce qui en d’autres temps aurait été salué avec un soulagement général, sinon une jubilation de principe, comme une sorte d’ovation rituelle à la gloire du Système, et une incantation rituelle pour qu’il continue à tenir... Effectivement, jusqu’à il y a peu, la seule réalité d’un accord à l’issue d’une crise si épuisante, aurait été perçue comme une victoire pour le Système ; éventuezllement une “victoire à la Pyrrhus”, selon les conditions de la résolution de la crise, mais, dans tous les cas, d’un Pyrrhus en bonne santé… Aujourd’hui, rien de semblable. La résolution de la crise n’apporte aucune satisfaction, aucun soulagement, aucun répit.

Tout le monde sent bien que la crise dépasse désormais le cadre trop restreint de l’une ou l’autre de ses manifestations paroxystiques. Le setiment général s’est installé sans crier gare, qu’il s’agit d’un événement bien plus profond, même s’ils sont fort peu à apprécier de quelle sorte d’évènement il s’agit. Le soap opera de Washington a fait apprécier d’une façon générale que c’est le Système qui est en jeu, désormais en première ligne.


Mis en ligne le 1er août 2011 à 12H58