Quand donc Hillary prend-elle le temps de dormir?

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Le pouvoir américaniste, ou l’administration Obama si l’on veut, se trouve aujourd’hui dans les plus extrêmes difficultés, entre une situation extérieure extrêmement pressantes, notamment à cause de ses nombreux engagements, et une situation intérieure qui ne cesse de s’aggraver jusqu'à la dissolution en une sorte de déroute générale. William Pfaff donne une excellente chronique, le 25 octobre 2011, décrivant les conséquences catastrophiques que le “printemps arabe” produit pour les USA. Il décrit la crise et la guerre civile libyennes, avec une “victoire” américaniste-occidentaliste installant une situation bien pire qu’avant la crise ; la Libye n’étant finalement que l’exemple le plus spectaculaire d’un enchaînement qu’on trouve dans tous les pays de cette chaîne crisique. («The 2011 Arab Awakening has put the United States in a situation of extreme difficulty, far from solution.»)

Il termine sur le cas d’Hillary Clinton, en mission désespérée pour tenter de contenir le raz de marée qui fait craquer toutes les digues, et tenter de trouver une solution pour un seul dessein  : un retrait accéléré des USA… (Notre souligné en gras dans l’extrait ci-dessous.)

«…After years of democracy promotion in the Middle East, and two wars and other interventions ostensibly producing it—while actually forced to collaborate with the most reactionary Arab regimes to promote Israeli interests—Washington in the past year has found itself saddled with one dilemma after another.

»Democratic reform in Egypt, Yemen and Bahrain? Support for Palestinian freedom and autonomy? Well, actually, no. The United States is for democracy in theory but finds tyranny and obscurantist government easier to deal with in practice. That is why Secretary of State Hillary Clinton looks so wan and distraught these days, flying from one country to the next, trying to parse these dilemmas and assure conservative and pro-American friends that all will be well, while she is intelligent enough to understand that their days may be numbered, and they may not meet again this side of the Styx—or its Islamic equivalent.

»She rushes about—when does she sleep?—because the United States simply does not know how to disentangle itself from this menacing situation. She surely understands that Pakistan and Afghanistan may separately, or under changed leaders, cooperatively turn upon the U.S. while its militarily is bogged down in one of the most inaccessible places on Earth. That conflict, with Americans the target, is possible in Iraq/Iran. And Israel may start a war with Iran, which it will expect the United States to finish. Perhaps it is time to come home. That’s what a lot of people seem to be saying.

»But the Obama administration doesn’t know how.»

Nous pourrions compléter notre phrase ci-dessus à la lumière du commentaire de Pfaff : “un retrait accéléré”, certes, mais l’administration Obama ne sait pas comment s’y prendre. Cela signifie que la direction américaniste est effectivement de plus en plus persuadée qu’une réduction dramatique des engagements extérieurs devient absolument nécessaire, sinon vitale ; et cela se conçoit, chez ces dirigeants, en plus du fait même de l’évolution des situations extérieures, d’abord à cause de la situation intérieure US. L’annonce du retrait US d’Irak à la fin de l’année doit être placée dans cette perspective d’une politique qui commence à se colorer d’impulsions de panique. (Pfaff, qui donne cette explication pour l’Irak, y ajoute la politique US en Afghanistan : «…and why the Pentagon now is preoccupied with how to get out of Afghanistan and Pakistan without leaving disaster behind».)

Les USA, comme tous les pays du bloc BAO, et d’une façon plus générale, à l’image de la situation du monde en général, voient leurs préoccupations intérieures prendre le pas, d’une façon de plus en plus impérative, sur tout le reste. Désormais, la crise générale du Système écrase tout le reste et impose ses priorités, et la priorité des priorités pour chacun se résume à la situation de désordre chez soi, à la délégitimation des pouvoirs dans chaque entité, à la colère populaire, à l’effondrement des structures de pouvoir, à l’effondrement des moyens financiers et budgétaires et à la catastrophe économique. La “politique extérieure” reflète cette évolution en étant réduite elle-même à une déroute pure et simple. On en arrive à un point où l’on ne saurait même plus s’en tenir à la caractérisation de telle ou telle politique, essentiellement américaniste-occidentaliste certes, d’être “en déroute”, mais bien à l’application de ce jugement de la déroute générale au fait même de la politique extérieure : tout se passe comme si la politique extérieure, d’une façon générale, exprimait en soi la déroute générale du Système lui-même.

Pfaff ajoute une note plus psychologique en évoquant le cas d’Hillary Clinton («She rushes about—when does she sleep?...»). Il évoque ainsi justement les pressions psychologiques qui pèsent sur les directions occidentales, telles que nous les avons décrites le 24 octobre 2011. Cet élément personnel compte de plus en plus dans les événements en cours et pèse de plus en plus dans les décisions qui sont prises et la façon dont les directions politiques tentent d’“organiser” (!) la déroute qui caractérise les relations internationales en général. Pfaff juge implicitement la secrétaire d’Etat trop épuisée pour pouvoir aborder cette question qu’il évoque à la fin de son article : elle aussi sait bien qu’il est temps d’abandonner les engagements extérieurs des USA, mais elle aussi, et elle la première, “ne sait pas comment s’y prendre”. Son épuisement se signale essentiellement du point de vue psychologique, par le type de comportement déplacé (notamment à l’occasion de la mort de Kadhafi) qui conduit le Russe Rogozine à qualifier, justement, les dirigeants américanistes-occidentalistes de “sadiques infantiles”. Il s’agit bien d’un épuisement qui n’a plus à voir avec les seuls (et multiples) problèmes des relations internationales, ni même avec cette substance des relations internationales devenant une pure et simple “déroute”, mais bien avec le fait de l’enchaînement certainement psychologique, et même quasiment physique, de ces êtres (les dirigeants politiques) au Système en train de s’effondrer. Cela implique, à côté du jugement de l’urgence de la situation qui devient désormais général, le sentiment terrible à la fois de la paralysie et de l’impuissance… (Il n’est pas certain que les choses soient aussi clairement identifiées par ceux qui subissent ces situations, mais elles sont très certainement ressenties inconsciemment et touchent la psychologie à mesure.) C’est ce qui est implicitement résumé par cette phrase, qui doit être entendue beaucoup plus profondément que selon son seul côté anodin : «…But the Obama administration doesn’t know how.»


Mis en ligne le 28 octobre 2011 à 05H01