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60403 mars 2020 – Je voudrais faire part à celui qui me lit d’un sentiment général qui me semble devoir beaucoup à ce phénomène, à la fois mystérieux et insaisissable mais où l’on devine une puissance cachée et formidable, qui se nomme “intuition”. C’est dire s’il ne faut pas attendre de démonstration, mais plutôt une escapade aventureuse et pleine d’exhortations. Pour autant, je suis assuré, je ne sais comment ni par quelle machination, que l'escapade n’est pas inutile.
J’ai pris mon temps avant de mesurer l’importance phénoménale, avec une cascade d’effets extérieurs au domaine, – j’en ai déjà beaucoup parlé, – de cette crise-Covid-19. Je mesure également l’inattention que j’ai montrée sur l’instant à la force des symboles qui font correspondre cette crise à un changement de décade dont plus d’une plume ont signalé la référence centenaire et si fortement significative : les Roaring Twenties menant à la Grande Dépression, et nous, un siècle plus tard exactement, avec ce Covid-19, l’assassinat métahistorique de Soleimani débouchant dans la même zone de tension sur une quasi-guerre Russie-Turquie mesurée, elle, à la folie mégalomaniaque d’un Erdogan.
Pour compléter le tableau, on cite l’éruption sans fin de “D.C.-la-folle” ; je veux dire, pour rassembler les principaux événements crisiques, tout cela qui me fait croire que nous avons basculé, au changement de décennie, dans un nouveau temps crisique. Il est vrai que, dans les esprits et dans les psychologies, dans une période crisique si abyssale où la raison est si suspecte de tant de dévergondages de subversion jusqu’à l’inversion de ce qu’elle prétend être, le symbolisme est d’une capitale importance. Il s’impose alors de faire un classement où les événements terrestres ne seront pas les ordonnateurs, mais le simples conséquences en même temps que les marqueurs de notre avancée générales, par étapes et bonds successifs au cœur des ténèbres de ces Derniers Temps.
Il y a eu à partir de notre Jour de Grâce, notre 11-septembre, un premier Temps Crisique qui est la première étape dans cet espace de temps des Derniers Temps qui englobe ce que je désigne avec une fougue et un optimisme roboratifs la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES). Ce premier Temps Crisique fut celui de l’effarement secret et indicible devant les considérables évènements qui se produisirent, et le peu de sens qu’on pouvait leur trouver malgré la joyeuse et roborative ivresse américaniste, et pourtant la plupart d’entre nous toujours soumis à la fascination de cet artefact qui rythme la modernité, qu’est l’Amérique : « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité... ».
La deuxième étape, deuxième Temps Crisique, commence avec la fracture de l’automne 2008, le spasme de la folie du monde financier cherchant à se défausser de ses excès en déclenchant un tourbillon crisique qui va accumuler le chaos dans son domaine et lancer de grandes entreprises démocratiques pour justifier nos prétentions mondiales et cosmiques, à peu près comme Mao lançait sa Campagne des Cent-Fleurs (le “printemps arabe”, ou les Cent-Fleurs du Système). Il s’agissait de renouveler le suprémacisme anglo-saxon (plutôt que “blanc”) une fois l’hypercapitalisme superbement purgé et ressourcé par cette énorme crise, et par conséquent plus “hyper” que jamais.
La troisième étape, je la situe en 2014-2015, en liant la crise ukrainienne et la crise du système de l’américanisme (Trump à partir de 2015, engendrant la haine antiTrump, USA-2016, Russiagate, etc.). Son caractère principal est une explosion absolument chaotique de la communication, un amoncellement affolant de narrative de plus en plus lourdes à porter et supporter avec leurs exigence de déterminisme-narrativiste, une perte totale du sens de la réalité, voire plus encore, du sens de la nécessité de la réalité, la transformation de la politique en une sorte de gomme mollassonne et qu’on peut mâcher à souhait sans en rien faire sortir, le refuge dans le simulacre du simulacre du simulacre...
Ainsi en vient-on à la quatrième période, notre quatrième Temps Crisique, du tournant précis des deux décennies et notre entrée dans nos Roaring Twenties du XXIème siècle. Avec le recul de quelques semaines, cette nouvelle décennie apparaît comme une rupture formidable et absolument naturelle, comme une tension trop forte qui se rompt avec quelle brutalité ! Et s’ouvrent effectivement nos “Vingtièmes rugissantes”, comme les marins des légendes d’antan baptisèrent les mers furieuses entre les “Quarantièmes rugissants” et les “Cinquantièmes hurlants” des latitudes correspondantes vers le Sud extrême des étendues glacées où jamais le vent ne s’arrête de souffler et la mer de déferler, où les marins disent qu’au-delà vers l’au-delà du Sud Dieu n’est plus.
J’ai tenté de dire tous les événements formidables caractérisant ce passage à 2020 mais, après tout, on pourrait me dire qu’il ne s’agit que de quelques crises monstrueuses de plus, et là rien de vraiment nouveau, je veux dire ontologiquement, dans un temps qui est crisique par définition. Pourtant non, un événement colossal sans nul doute, ontologique lui, bien que dans le domaine de la perception, – c’est la fin du rêve de la globalisation, – la fin de la globalisation comme rêve de notre avenir.
Ce poison s’est instillé partout et partout vous le sentez progresser, ce doute terrible face à cette globalisation, laquelle est l’évidente coupable de la crise-Covid-19 qui nous dévaste psychologiquement en faisant entrevoir les mécanismes de l’effondrement, d’une économie-monde qui se défait comme un Meccano mal vissé, qui bascule comme une portée de dominos en rang d’oignons, inarrêtable, inéluctable. Il se dit que le virus envahit notre monde-globalisé par ce qu’il y a de plus globalisant, de plus post-postmoderne, la très-pollueuse et très-luxueuse aviation de transport civil qui relie les capitales, les continents et les régions les plus lointaines, dans le vrombissement élégant des Airbus faisant la courte échelle au virus d’un aéroport l’autre (les Boeing, c’est moins sûr, on sait pourquoi, et Covid-19 s’en méfie comme de la peste si j’ose dire).
Il me semblerait même que cela (le rêve fracassé de la globalisation) explique la folie qui a transformé Washington D.C. en “D.C.-la-folle”, tandis qu’apparaît le second événement qui marque cette rupture rugissante... L’outil fantastique de puissance, qui semblait au service de la globalisation, qui chaque jour la trahit un peu plus ! Le système de la communication triomphant signe son empire sur le monde en apparaissant comme un Janus qui poignarde la globalisation dans le dos, répandant partout les alertes et les fantasmes de Covid-19, remplaçant le chaos de 2014-2015 par l’attaque de la contagion, cette Grande Peur des Ancien Temps retournée contre la globalisation de l’hypermodernité elle-même. Les talk-shows et le reste de la caravane médiatique, fleuron du système de la communication plongé dans la dissection sans fin de la pandémie qui nous assaille et de la panique qu’il ne faut pas éprouver, a développé une pandémie pire que Covid-19, – et ainsi a-t-il mis, ce fleuron de la communication, en état d’accusation impitoyable la globalisation elle-même... La globalisation gémissant de douleur et rugissant de fureur !
On sent bien alors, sans y réfléchir longtemps, mais prenant plutôt le phénomène avec son intuition, comme une chose allant de soi, on sent bien qu’on se trouve emporté dans une mécanique, un enchaînement qui porte en lui la mort du Système... Je dis bien “enchaînement” comme avec une chaîne : la folie de la surpuissance de ce que nous nommons ici “déchaînement de la Matière”, qui nous a emportés jusque dans ces affreuses convulsions de sa folie destructrice, nous conduisant enfin, comme l’on se débarrasse d’un simulacre qui pourrait être un masque, à l’emprisonnement qu’est l’enchaînement de l’effondrement et de la chute, c’est-à-dire à l’autodestruction.
Pour ce qui est de ces “Quarantième rugissants” et de ces “Cinquantièmes Hurlants” que j'ai évoqués à propos de nos “Vingtièmes”, un vieux dicton des vieux marins des Temps Anciens disait de ces terribles latitudes d’un Sud ressemblant à l’Enfer glacé : « Sous les 40 degrés, il n’y a plus de loi, mais sous les 50 degrés, il n’y a plus de Dieu. » C’est comme si nous étions arrivés au terme de nos tempêtes qui balaient le cap ultime de la modernité battu par les vents, ayant brisé les lois et chassé Dieu, et que nous nous retrouvions plongés dans la tempête ultime mais aussi suprême, celle qui nous place devant nous-mêmes et devant l’alchimie saccagée de notre simulacre d’ “œuvre au noir” si diaboliquement cochonnée, pour balayer tout cela et toutes nos illusions, et enfin nous balayer nous-mêmes selon ce que nous avons fait pitoyablement de nous-mêmes.
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