Que faire de tout cela ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Que faire de tout cela ?

24 janvier 2021 – Je vais m’essayer à un curieux exercice d’analyse d’une satire, dans un sens qui semblerait évident pour mon compte, mais qui soulève de sérieuses questions. Je vais faire une sorte de satire d’une satire, mais sans esprit de satire au fond, plutôt avec un effort important d’une complète indépendance de jugement, de non-engagement, du refus de participer à quelque jugement que ce soit.

(Je sais bien que, par ailleurs, et très régulièrement, je n'ai nullement cette retenue. Mais ici, il s’agit d’un cas fondamental où il s’agit de trancher entre ce qui relève de la tactique et ce qui relève de la stratégie. On s’est longuement exprimé sur cette question des rapports tactique-stratégie, des différences parfois complètes entre l’orientation de ce qui est tactique et la stratégie, etc., dans ce texte du 27 septembre 2020. A mon avis, il n’y a rien de plus important que cet exercice intellectuel pour tenter de sortir quelque chose du chaos-kaos qu’est devenu le monde.)

Matthew Ehret, un chroniqueur canadien du site Strategic-Culture.org (et de la Canadian Patriot Review dans son pays), a eu une idée originale ; l’auteur lui-même est d’ailleurs du type original et iconoclaste d’habitude, et l’on voit qu’il ne dévie pas de cette route... Dans ce texte du 22 janvier 2021, qui s’intitule “  Confessions of a Deprogrammed Trump Supporter », il prend la plume commer s’il était un supporteur de Trump qui aurait été ‘purgé’ et ‘rééduqué’ dans le style communiste par les troupes du wokenisme et du globalisme type-Great Reset. C’est en effet, – la nécessité d’une telle ‘purge’ en camp de rééducation du type nord-coréen ou chinois dans les années 1950, – l’idée qu’agitent avec insistance nombre de dirigeants, parlementaires, ‘experts’ démocrates US, de la tendance DeepState ou wokeniste, sur le même rythme que les ‘experts’ de l’UE et les globalistes de tout poil.

Si vous voulez, Ehret se fait l’avocat du diable pour mieux nous montrer combien le diable est diablement diabolique... Et cela est fait pour annoncer la session spéciale (de demain jusqu’à jeudi, et dévolue à ce qui est désormais officiellement nommée Great Reset Initiative) de la ‘Davos Crowd’, comme Luongo appelle ces réunions du World Economic Forum. La session a été décidée en catastrophe (si l’on peut dire) pour célébrer à la fois le départ de Trump (plus que l’installation de Biden dont tout le monde se fiche du tiers comme du quart) et la proclamation énamourée du Great Reset qui l’accompagne. (La réunion annuelle habituelle de Davos avait été auparavant déplacée de janvier à juin, et de Davos à Singapour, à la fortune de la Covid ; on verra ce qu’il en reste.)

Dans son texte, Ehret joue d’abord son rôle concernant les choses passées (ce qu’il croyait stupidement, les performances de Trump partout désormais dénoncé comme le diable, le brillant passé fait de vilenies et de traitrises de Biden). Ensuite, il en vient à sa nouvelle croyance telle qu’il en fait la présentation dans le cadre de la satire, avec les causes et le programme du Great Reset résumés pour nous. C’est cette dernière partie que je vous laisse lire ci-dessous.
 

« Le nouvel envoyé spécial des États-Unis pour les questions climatiques, John Kerry, a parfaitement saisi lexcitation de ce merveilleux moment [qu’est l’arrivée de Joe Biden au pouvoir] lorsqu'il a déclaré La notion de remise à zéro [Great Reset] est plus importante que jamais... nous sommes à l'aube d’une période extrêmement excitante.
» Selon les architectes du Great Reset, c'est certainement ce qu’il importe de penser.
» Le président du WEF [ Davos], Klaus Schwab, nous a appris que l'âge de la propriété est tellement dépassé, et nous savons que cette relique obsolète du capitalisme n'est pas compatible avec notre nouvelle ère de paix et de fraternité mondiale.
» La propriété des choses nous rend égoïstes et nous fait oublier le véritable but de la vie... qui est en fait une question de sacrifice. La création de nouvelles organisations supranationales pour gérer les flux de la consommation et de la production selon des normes fondées sur des évidences et des réalités scientifiques concernant la capacité de développement est le seul remède aux démons du populisme. Le fait d’ignorer cette réalité comme c’est souvent le cas nenlève rien à cet autre fait que des conseils d’experts bien plus intelligents que vous disent qu’il en est ainsi.
» Selon le site du WEF sur le Great Reset, la production mondiale de CO2 s'est effondrée de plus de 7 % au cours des 12 derniers mois de freinage économique massif du à la COVID-19... Cela signifie que la COVID-19 est plus une bénédiction que ne le pensent de nombreux nationalistes égoïstes à l’esprit très étroit qui aiment posséder les choses.
» Et si la population mondiale se contractait sous l’effet de l’arrêt de l’économie mondiale dans le cadre des fermetures COVID ? Et si nous perdions notre capacité à soutenir la civilisation industrielle en imposant un réseau mondial d’énergie verte ?
» Le regretté Maurice Strong (ancien directeur exécutif du WEF et père du concept de Great Reset) n’a-t-il pas posé la question en 1991 ?
» Et si un petit groupe de dirigeants mondiaux devait conclure que le principal risque pour la Terre provient des actions des pays riches ? Et si l’on veut que le monde survive, ces pays riches devraient signer un accord réduisant leur impact sur l’environnement. Le feront-ils ? La conclusion du groupe est non. Les pays riches ne le feront pas. Ils ne changeront pas. Donc, pour sauver la planète, le groupe conclut par ces questions : le seul espoir pour la planète n’est-il pas que les civilisations industrialisées s’effondrent ? N’est-ce pas notre responsabilité d’y contribuer de toutes nos forces ?”
» Alors préparez-vous à une période passionnante de l'histoire et, espérons-le, la Chine comprendra enfin que le nouvel ordre mondial est Unipolaire, – avec une grande embrassade verte [écologiste] pour tous les dirigeants bien élevés qui se débarrasseront didées idiotes telles que nationalisme, progrès industriel ou mettre fin à la pauvreté par le développement que des concepts dangereux comme l’initiative ‘La Nouvelle Route de la Soie’ menacent de renforcer. Plus important encore, la Chine doit vraiment s’enlever de l’esprit cette conviction que la Russie est un partenaire valable au XXIe siècle. Xi a pris la bonne décision de participer à la conférence Great Reset de cette fin de mois. Modi et lui feraient bien d’abandonner les combustibles fossiles polluants, leur soutien au développement de l’énergie nucléaire ou à l’exploitation minière de l’espace afin d’adapter leurs priorités aux modèles informatiques qui nous enjoignent de lier notre destin à un monde d’entropie et de rendements décroissants. »
 

Vous voyez, tout s’y trouve... Les complots du Système que dénoncent les traqueurs de complots, qu’ils soient antiSystème ou qu’ils réfutent l’antiSystème tout en conchiant le Système, aussi bien que les victimes du Système ; les traqueurs du  complotisme, les bonzes et les ‘jeunes loups’ du Système, zombies triomphants et adorateurs de la « raison-suffisant » ; et ainsi de suite. Tous les événements de l’époque de la modernité-tardive , jusqu’aux folles années depuis 2015, jusqu’aux mois fous depuis janvier 2020, jusqu’aux semaines de folie depuis novembre 2020, tout est décrit, disséqué, dénoncé et acclamé, à la lumière sinistre et exaltante, nuancée de quelques ombres sublimes et terrifiantes, qui ont pour noms ‘globalisme’, ‘Great Reset’, ‘les copains de Davos’, ‘GAFAM’s boys’, le populisme, les 0,001% ; et ainsi de suite, là aussi l’expression convient... Et se pose la question : que faire de tout cela ?

Je veux dire : comment ne pas admettre que monsieur Strong nous rapportait une question, reprise aujourd’hui et actualisée, d’un groupe de hautes personnalités dont vous ne pouvez douter qu’ils sont de ces comploteurs que tout antiSystème de bonne obédience et de mauvaise humeur se doit de dénoncer, de poursuivre de sa vindicte ; et que cette question se résume à ceci, pour mon compte qui est illustré par la formule Delenda Est Systema que je brandis comme un étendard, – « Le seul espoir pour la planète n’est-il pas que les civilisations industrialisées s’effondrent » Car dire cela, n’est-ce pas souhaiter et œuvrer pour l’effondrement du Système ?

Je ne veux pas entendre, dans tous les cas de ma part, la moindre réserve, la moindre hypothèse venimeuse ou hystérique, les cris d’orfraie des comploteurs anti-complotisme ; je veux m’en tenir à cette question seulement que j’ai citée, avec tout ce qu’elle signifie ; et poser à mon tour la question : que faire de tout cela ? Ma réponse n’en est pas une, comme il se doit ; certains jugeront que c’est une déflexion, une couardise, un aveuglement, et ce n’est rien de tout cela. A aucun moment je ne ferme les yeux, ni ne clos mes oreilles, ni ne retiens mes lèvres ; au contraire, je supporte l’inconnaissance, et même je la porte comme un fardeau sinon comme un drapeau, moi qui suis le contraire de celui qui fait l’autruche en nous montrant son cul ; qui suis le contraire de celui qui embrasse hystériquement toutes les dénonciations en écrasant de son mépris entropique tous ceux qui ne partagent pas ses visions nihilistes ; qui suis plus encore le contraire de ceux qui dénoncent la terre entière pour son absence de réactions, alors qu’ils ne font eux-mêmes qu’exsuder furieusement leur impuissance hurlante.

Je ne suis rien de tout cela, je suis plutôt de la horde clairsemée des ‘ne-sachant-rien’ par opposition au bain grondant des ‘sachant-tout’ où nous baignons aujourd’hui, d’un côté comme de l’autre, du côté des complotistes complotant-contre comme du côté des complistes complotant-pour. J’ai dans mes bagages l’une ou l’autre conviction aussi dure que du marbre, aussi concentrée que du granit, aussi enlevée et bondissante que l’Olympe ; et puis certes, l’ouverture que j’entretiens aux intuitions dont j’ai déjà pu expérimenter la richesse féconde. Pour le reste qui n’est que détail, – la ‘Davos Crowd’ comme les comploteurs de monsieur Strong, c’est du détail, – pour le reste je campe sur mon affirmation absolue de l’inconnaissance.

Je campe sur l’inconnaissance, comme dans cette clairière baignée de lumière dont parlait Anouilh, que je ne crains pas de répéter tant elle porte de force, tant elle me semble baignée de l’essence presque d’inspiration d’au-dessus de nous : « Vous ne le savez pas, vous autres, mais tout au bout du désespoir il y a une blanche clairière où l’on est presque heureux. »

Quant à l’inconnaissance elle-même...

«... L’inconnaissance alors s’impose... L’inconnaissance est une position de sagesse, de retenue de l’émotion trop vite excitée, et surtout une position d’ouverture pour saisir ce qui est essentiel et se dessinera de soi-même. L’inconnaissance fait que nous ne nous saisissons volontairement que de peu de choses dans le foisonnement de détails supposés avérés et d’orientations suggérées, et ne tenons pas à en saisir beaucoup plus, concentrés sur la possibilité de trouver dans ce “peu de choses” ce qui concerne le sort du Système, – et c’est pourquoi notre attention va à cette sorte de choses. Ce que nous voulons, et que nous permet l’inconnaissance, c’est libérer la perception pour une tâche plus essentielle, qui est d’observer et de suivre ce qui semble être le plus indicatif du sort général du Système, de ses fondements tectoniques en pleine tremblements, pour pouvoir mieux les identifier comme tels et les saisir lorsqu’ils se montrent en pleine lumière... »

... Ce qui me permet d’affirmer alors, moi-même, comme ‘sachant-rien’, qu’il se passe des choses bien extraordinaires pour en venir à de telles questions (“Que faire de tout cela ?”), à propos d’affirmations si extraordinaires, si complètement ouvertes à la controverse et à l’ambiguïté catastrophique, si difficiles à apprécier, si colossales enfin qu’on ne cesse de leur tresser des complots comme autant de couronnes. Ainsi l’inconnaissance me permet de dégager un phénomène au-delà de toute connaissance, qui se moque de la « raison suffisant », qui se situe dans des domaines dont nous ignorons tout de la forme, de la finalité, voire de l’éternité, des domaines qui n’ont que faire de nos criailleries et de nos élans d’affectivisme collants et gluants.

Dans ces moments-là, d’inconnaissance complète et volontaire, je m’en retourne sur une de ces citations qui restent pour moi une énigme fascinante, quelque chose d’au-delà de la connaissance, et pourtant qui ne cesse jamais de me fasciner... Je pense ici à cette phrase qui semble sans fin de Pseudo-Denys l’Aéropage, où Pseudo-Denys parle de l’inconnaissance :

« ...Plus haut, je parlai de l’inconnaissance comme étant “la métaphysique et la spiritualité les plus hautes qu’on puisse imaginer”. J’avais à l’esprit cette phrase du Pseudo-Denys l’Aréopagite, de son ‘Connaître l’inconnaissable’ que j’ai découvert si récemment et si à-propos, – et cela, sans m’attacher un instant à la référence biblique du personnage qui y est nommé ; simplement, en me référant à l’énigmatique dimension du verbe, de cette phrase qui n’en finit pas, et en la mettant instinctivement dans l’esprit et dans le verbe de celui qui, en mer, la nuit comme je l’ai dit, épousant la mer comme on fait d’une forme parfaite alors que le monde ne semble plus faire qu’Un... “C’est alors seulement que, dépassant le monde où l’on est vu et où l’on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l’inconnaissance : c’est là qu’il fait taire tout savoir positif, qu’il échappe entièrement à toute saisie et à toute vision, car il appartient tout entier à Celui qui est au-delà de tout, car il ne s’appartient plus lui-même ni n’appartient à rien d’étranger, uni par le meilleur de lui-même à Celui qui échappe à toute inconnaissance, ayant renoncé à tout savoir positif, et grâce à cette inconnaissance même connaissant par delà toute intelligence.” »

Y aura-t-il quelqu’un, à Davos, pour leur confier cela, aux scouts du Great Reset, cette phrase sans fin de Pseudo-Denys l’Aéropage ? ... Oui, que faire d’une telle question ?