Quel “effet BHO”?

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Par goût un peu gratuit de nous distinguer, parlons plutôt de “l’effet BHO” pour traduire l’expression “Obama Effect” qui a été utilisée pour caractériser l’évolution de la situation en Iran. Dans ce cas, “l’effet BHO” signifierait une soudaine conscience de vouloir exprimer un désir de démocratie, cela dans une population, certains diraient une populace, qui jusqu’alors se tenait soumise à un régime jugée rétrograde, réactionnaire, dictatorial, etc. Peu importe la réalité, nous parlons ici des représentations dans les esprits, et spécifiquement les esprits occidentaux, ou occidentalistes. Mais la question que nous posons est différente, et renvoie au titre effectivement: Où se manifeste “l’effet BHO”, précisément?

Un point qui nous paraît caractéristique, aujourd’hui, c’est la diversité des opinions sur la situation iranienne, à Washington même, chez les experts américanistes (soulignons de gras l’épithète maudit); la vigueur du débat à ce sujet, où aucun camp ne le cède à l’autre selon des pressions terroristes comme notre système est accoutumé à exercer, mais où les faits et leurs interprétations jouent un grand rôle, voire s’interpénètrent pour nuancer les différences et faire évoluer les jugements. La différence entre Washington et l’Europe est à cet égard remarquable, et certainement pas à l’avantage de l’Europe qui s’ébroue dans l’inconsistance d’une politique d’émotion, et d’une émotion que nous jugeons artificielle dans son fondement même si certains faits auxquelles elle se réfère méritent effectivement l’émotion, – mais d’une autre trempe. (Ils nous l’avaient bien dit, l’Europe suit toujours l’Amérique, avec un temps de retard; cette désolante maxime, qui vaut pour le “parti médiatique” avec les directions politiques à sa traîne, fait que ce sont les Européens qui ont le langage neocon, type “axe du Mal”, avec des mots comme “paria” pour définir le gouvernement iranien.)

Sur le débat en cours à Washington, une excellente référence est Steve Clemons, qui édite le site The Washington Note, dont nous avons souvent parlé, que nous avons souvent cité, qui exerce une influence réelle à Washington et relaie des analyses et des opinions intéressantes. Clemons nous a habitué à des positions réalistes, mesurées, en complet contraste avec la fièvre hystérique des temps neocons. Dans la crise iranienne, sa position a été dès le départ complètement différente. Il s’est manifestement enflammé pour la cause, a fait une place considérable aux événements, relayant les nouvelles venues des contestataires par tous les moyens des nouvelles technologies de communication. Il a pris partie, avec émotion souvent. Pour autant, cela ne l’a pas complètement privé de ses qualités habituelles, ce qui est à son honneur.

Le point caractéristique est qu’au cœur de l’institut de réflexion dont Clemons fait partie, – The New American Foundation (NAF), – des opinions extrêmement diverses, voire antagonistes, se sont exprimées et continuent à s’exprimer. Ainsi, Flynt Leverett et Hillary Mann Leverett, du même institut, professent-ils l’opinion opposée à celle de Clemons, et ils sont devenus une référence à cet égard (voir leur article déjà fameux du 15 juin 2009 affirmant que la victoire d’Ahmadinejad est incontestable). Mais le débat est extrêmement ouvert et exempt de toute polémique de ce terrorisme intellectuel qui a caractérisé la vie US sur ces matières pendant huit ans, et qui est aujourd’hui la marque évidente de la vie intellectuelle européenne.

Il nous semble que cette ouverture du débat US dans les cercles d’expertise US, sur un sujet qui ne s’analysait il y a un an qu’à coups d’anathèmes et de slogans, est pour une bonne part la conséquence de l’attitude ostensible du président US. Obama a joué (et continue de jouer) une partie délicate; on parle moins ici du parti qu’il a adopté (une réserve extrême, un non-engagement contre le gouvernement iranien et la légalité iranienne) que de la façon dont il l’a adopté, en argumentant qu’il importait effectivement d’observer une telle attitude de mesure, en bonne politique et selon la prudence qu’il est nécessaire de mettre dans son jugement. S’il y a un “effet BHO”, il existe notamment et peut-être essentiellement à ce niveau, en instillant à la communauté de sécurité nationale washingtonienne, très prompte à suivre le pouvoir, le sentiment de la nécessité d’un débat ouvert et d’un jugement prudent, nécessité aussi bien intellectuelle que stratégique, notamment à cause de l’importance de l’Iran comme pays central de la région. L’effet à plus long terme pourrait être de faire décisivement évoluer l’opinion de cette communauté, particulièrement en réduisant de plus en plus l’idée de “l’option militaire” qui a été, pendant 5 ans, la référence centrale du jugement US sur la question iranienne.

Ce climat washingtonien est notamment perceptible dans le séminaire que vient de tenir la NAF, ce 22 juin 2009, sur la crise iranienne. Le même Steve Clemons, dans cette note où il détaille les participants au séminaire, indique avec faveur un commentaire du site Roosevelt Island, du 23 juin 2009, à partir de la vision du séminaire. Le commentaire s’élève contre l’idée du “regime change”, qui caractérise l’essentiel de l’opinion favorable aux partisans de Mousavi, alors qu’il exprime une opinion elle-même favorable à ces partisans de Mousavi. (L’auteur définit effectivement ce goût du “régime change” comme le besoin de trouver chez l’autre la confirmation de ses propres valeurs: «It is this rooting for the down trodden and the little guy, combined with the constant need to reinforce the inherent superiority of American values worldwide, that has caused the American press and thus it's people to predict the demise of the Islamic Republic of Iran.»)

On trouve effectivement dans ce texte des indications précises sur l’évolution des esprits, à Washington, sur la question iranienne et les conceptions de politique extérieure en général.

«…For our purposes let's define regime change in it's most obvious form in the case of Iran, Ahmadinejad looses the election, the Supreme Leader looses his position and another leader or group of leaders steps in to fill the void. The immediate problem stems from the fact that in this situation we no longer know who we're dealing with. It is highly unlikely that any new government would suddenly become friendly towards America. On top of that, we throw away all we have learned about and any headway we have made with the government under Khamenei. Secondly, it is highly unlikely that such a power shift would occur without violence. We know for a fact that at least half and likely more of the Iranian population supports the President and the current government Supreme Leader included. Moussavi supporters and reformists are at best a large minority. Frankly, I fail to see a realistic situation in which any sort of fundamental regime shift produces a positive or even acceptable result.

»Our focus instead, should be on the ways in which the current government of Iran may be changed in place, avoiding the trauma of a complete refit. In a recent poll of Iranians by Terror Free Tomorrow (www.terrorfreetomorrow.org) 77% of Iranians expressed the wish to vote for the position of Supreme Leader. Even more astoundingly, 86% of Ahmadinejad supporters expressed the same wish. Another trend outlined in the same report, shows that 77% want to normalize relations with the United States. The same report showed Mr. Ahmadinejad leading in 2-1 among those polled. This proves that the initiative towards a more free democracy and better relations with the US among Iran's people completely transcends the Presidential debate. […]

»I don't mean to downplay the events in the streets of Tehran over the last week. I do however believe that we in the West have viewed them in the wrong light. This is not a call for sweeping regime change or the collapse of the Islamic Republic. What we are witnessing is the way in which a population which believes itself to have been deprived of a fair vote expresses it's opinion. We should not look for a drastic shift within Iran in time for the next news cycle, nor for a student led revolt. What we are seeing is the beginning of a process, the start of a nation's necessity driven journey towards greater democracy. What we must hope for at this point, is for the current government to stay intact long enough to realize that it must adapt to keep it's position of power, thus leading to positive change in Iran.»

(Le sondage auque Roosevelt Island fait allusion peut être consulté à partir de ce lien.)


Mis en ligne le 23 juin 2009 à 09H58