Quelle réalité objective voulez-vous ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Quelle réalité objective voulez-vous ?

26 juillet 2020 – Prenons les dernières 24 heures, avec mes activités diverses autour du site et de la communication de l’information, pour effectivement vous faire part de cette observation.

D'un premier point de vue on observe que se termine le texte des « Notes sur un péril jaune-zombie », qui développe une analyse sur les tensions gravissimes entre les USA et la Chine, avec détour vers la Russie, et les manœuvres des USA pour essayer de gruger la Chine sur la question des armes stratégiques. D’une part, tout le monde s’entend pour convenir de l’importance de l’affaire, qui pourrait bien conduire à un véritable conflit. D’autre part, on prend soin de noter qu’il s’agit essentiellement du rôle et des actes des USA ; d’ailleurs il y a cette phrase, dans la conclusion, indiquant que tout repose sur les machinations américanistes : « Comme on le voit, nous ne prêtons pas un rôle essentiel à la Chine, ni même à la Russie dans cette affaire. »

Certes, l’on ridiculise la “non-stratégie” US, et sans vergogne ni la moindre pusillanimité. (« [E]lle est vide, elle ne signifie rien, elle sonne creux, stratégie sans vie et sans colonne vertébrale sinon de la substance d’un éclair au chocolat (selon le mot du vice-président Theodore Roosevelt sur le président McKinley) ; stratégie molle comme une montre de Dali, sans dessein véritable (ni dessin tout court), stratégie de réaction sinon de réflexe, et alors de réflexe pavlovien ; stratégie nihiliste sans divertissement, pour clamer la gloire d’une puissance en décomposition extrêmement avancée, et qui se reconnaît à l’odeur. »)

Pour autant, même ridiculisée, même objet du mépris le plus complet, cette non-stratégie reste puissante et d’un poids considérable, elle existe diablement puisqu’elle défait toutes les relations internationales et fait voler en éclats le rangement des choses, puisque personne n’est capable de stopper sa course, de la briser, puisque s’expriment la force brute, le chantage, la piraterie.

C’est dire qu’il n’est pas question un instant que l’activité US, qui est faite d’activisme forcené sur les champs extérieurs, soit considérée comme négligeable sinon inexistante. C’est un monde en soi, même si un monde de fous, – et surtout si c’est “un monde de fous”, ce qui est effectivement le cas, comme l’on sait ; c’est-à-dire que c’est une crise majeure, part substantielle de la GCES.

A côté de quoi, quasiment au même moment, je vais “aux nouvelles” vers les sites habituels, essentiellement à propos de la situation intérieure aux USA, — ce que nous avons baptisé, pour faire vite et bien, et montrer l’importance considérable qu’on y attache, –  “Grande-Émeute2020”. Diverses nouvelles, parmi lesquelles celles-ci, les deux suivantes prises comme exemples, qui montrent sans aucun doute qu’il s’agit d’une situation, d’un événement, d’une crise d’un extrême importance, et sans guère de précédent à cause de ce qu’elle a d’inattendu et de hors-norme.

• A Seattle, dont on vous a souvent parlé ces derniers temps, il y a, avant les manifestations US du week-end (BLM + Antifas) qui poursuivent en plus important celles de la semaine, cette lettre de la cheffe de la police de Seattle Carmen Best, le 24 juillet, à destination de tous les habitants et commerçants du centre de la ville : « Nous ne pouvons pas faire respecter la loi. Vous êtes laissés à vous-mêmes. » Best explique qu’un vote de Conseil Municipal interdit à la police d’employer toute arme, létale ou non-létale, contre des manifestants-BLM, et par conséquent la police ne peut pas intervenir malgré les protestations de Best par lettres auprès du Conseil (dont elle joint des doubles pour fixer les responsabilités)...

Mais, surprise surprise ! Une action d’urgence engagée par le ministre de la Justice (administration Trump) aboutit quelques heures après le courrier-Best à la décision d’un juge de Seattle suspendant la décision du Conseil et armant les policiers pour l’émeute du jour (de la nuit)... Pendant ce temps, Portland la même nuit de samedi, véritable ‘war zone’, etc. et ainsi de suite. Parlant du soutien démocrate aux manifestants, Stephen Miller, conseiller de Trump, observe : « Le parti démocrate retourne à ses racines, qui sont d’être le parti de la sécession »

• Michael Moore, homme d’influence qu’on connaît bien, farouche mais lucide antiTrump qu’il désigne comme un “evil genius”, pense que Biden doit former un “gouvernement-fantôme”, – dirait-on “gouvernement ebn exil” ? – et agir comme s’il était président, sans attendre l’élection. Bien qu’il soit très bien « dans son sous-sol » où il se trouve à l’abri et protégé de Covids19, estime Moore, s’il faut il devrait s’installer dans un État puissant et sûr pour lui, – la Californie hyper-woke et progressiste-sociétale par exemple (ou bien Seattle-Washington, ou bien Portland-Oregon), où il constituerait une administration ‘concurrente’. (“Ici L.A., ici L.A., un Ricain parle aux Ricains”.)

Vous comprenez qu’à travers ces exemple parmi des centaines d’autres du même tonneau, on déduit évidemment que la situation intérieure aux USA est d’une importance et d’une gravité quasiment sans précédent, au point que certains jugent qu’elle surpasse en gravité 1861 et la Guerre Sécession. On le dit et on le répète depuis des mois. Pour autant, cette situation n’a strictement aucun rapport avec la politique chinoise de l’administration Trump, qui n’est pas un “coup ” électoral à destination interne et lié à la situation interne, mais bien une stratégie (une “non-stratégie”) sur le long terme, autonome, puissante sinon écrasante quoique extrêmement stupide (mais la stupidité est puissante et lourde, c’est bien connu). La chose est ainsi très différente des années 1960, auxquelles on se réfère souvent pour parler des actuels événements internes aux USA : les troubles internes, surtout à partir de 1965-1966, étaient essentiellement causés par la guerre du Vietnam, donc la politique étrangère US.

Ce qui m’intrigue et m’arrête par conséquent, c’est l’étrange ‘cohabitation dans l’indifférence/l’ignorance’ de deux situations qui sont deux crises politiques majeures, qui sont toutes deux fondamentales pour les USA, qui sont nécessairement [dans nos esprits] liées mais qui n’ont aucun lien entre elles, qui sont menées par les mêmes personnes (ou venues des mêmes appareils), qui s’ignorent complètement et s’indiffèrent tout autant.

Les USA dans la crise avec la Chine sont perçus comme une puissance dans une sorte d’esprit de folie, mais inarrêtable, bousculant tout sur son passage, commettant les pires choses sans que personne ne puisse l’arrêter, avançant et affirmant furieusement l’exceptionnalité et la violence de sa force brute sous la conduite d’un pouvoir impitoyable. Les USA, dans leur situation intérieure, montrent la désintégration totale de leur pouvoir, l’absence complète de contrôle, l’anarchie et le désordre, la faiblesse, la lâcheté et la démagogie devant les troubles, le risque suprême de l’éclatement, de la sécession, etc., tout cela débattu à brides abattus dans un ouragan de narrative et de simulacres et un fractionnement de haines sans précédent. Ici un bloc de puissance qui fonce avec haine et fureur dans le magasin de porcelaine, là un filet de sable qui vous coule avec haine et fureur entre les doigts. Seules la haine et la fureur leur sont communes.

Depuis l’arrivée de Trump, on a remarqué cette situation où le centre d’intérêt passait très rapidement de l’extérieur (Syrie-Iran, Russie, Chine) à l’intérieur (Russiagate, destitution). Mais c’était plutôt dans un ordre de succession et l’on pouvait encore penser qu’il s’agissait du même monde nous conduisant d’une crise intérieure à une crise extérieure. On dirait bien qu’il semblerait que ce soit avec Covid19, – quelque chose s’est passée... La crise était sanitaire, intérieure et globalisée à la fois, mais en même temps elle s’est instantanément politisée, tant dans les situations intérieures qu’extérieures (relations avec la Chine). C’est à cette occasion que la communication nous a montrés combien la situation se révélait originale au travers d’une certaine duplication conduisant à des séparations pour des évolutions parallèles, et non plus une succession avec des changements de centres d’intérêt.

Ce que je perçois alors, c’est une situation d’univers parallèles, chacun portant des crises extrêmement graves, mais selon des structures et des réflexions de types très différents, et pourtant se référant au même pays, aux mêmes conceptions, aux mêmes références, mais perçus de façon très différente. Ce qui importe, ce ne sont pas les différences d’idéologies lorsqu’il y en a selon l’intérêt qu’on porte à ceci ou à cela, mais bien l’apparition d’un ‘modèle’ d’évolution crisique (des univers parallèles). La communication permet cela, en rendant compte en même temps de choses si différentes, sans trancher à propos de la réalité de l’une ou de l’autre.

Je répète qu’on ne parle pas ici d’une orientation politique, entendons-nous bien ; on parle bien d’un phénomène de ce qui serait nommé “univers parallèles”, décrivant quelque chose qui pourrait être comme une situation dans l’espace. Cela correspond parfaitement à la désintégration de la réalité qu’on a constatée depuis près de deux décennies, d’une façon absolument évidente (depuis le « Je doute donc je suis » dans la logique de l’attaque contre l’Afghanistan et de l’une ou l’autre réflexion du philosophe Rumsfeld). Cette désintégration de la réalité a laissé la place libre pour une sorte de “marché”, de “grand bazar”, où l’on se verrait proposer diverses réalités, certes comme autant de narrative, mais finalement comme autant de réalités-vraies, c’est-à-dire “vraies” en même temps, c’est-à-dire des “univers parallèles”... Il est alors moins questions de perceptions différentes, comme on l’a le plus souvent envisagé jusqu’ici, mais de véritables “réalités” différentes, effectivement des “univers parallèles”.

Il est juste à cet égard de préciser que j’ai eu mon attention arrêtée par un article du site WhatDoesItMeans, dont il nous est arrivé de parler déjà. Cette fois, et c’est rarissime sur ce site (WDIM), le sujet n’est pas une thèse politique un peu bouffe, un complot, etc., sans parler des époques précédentes où sortaient des affaires encore plus improbables ; il s’agit d’un article sur la théorie des quantas, à partir de cas qui nous conduisent sur les bordures des intuitions métaphysiques. Effectivement, la question des univers parallèles fait partie du lot.

Si l’on suit cette perception, ou bien cette intuition pour ne pas employer le mot “logique”, des univers parallèles, on en arrive, en plongeant dans les crises de déchirement idéologique, à justement considérer qu’elle ne sont pas des crises opposant des idéologies différentes, ni même seulement des perceptions différentes, mais bien des univers différents, qui cheminent sur la même voie, – ce pour quoi on les dit ‘parallèles’, – mais qui n’ont plus rien en commun, ou qui n’ont jamais rien eu en commun finalement.

L’article signalé plus haut (WDIM) cite un article du site TheZMan.com, qui avait été repris par ZeroHedge.com, qui s’intitule « Simulacres & Simulation » (du 22 juillet 2020) où l’on lit ceci en conclusion, après que l’auteur ait mis sur le même plan des bizarreries (mais bizarreries inconciliables, parce que différentes et impossibilité du compromis avec les bizarreries), – les folies gauchistes et progressistes-sociétales (BLM & Cie), et les croyances trumpistes du type populiste-MAGA (“Make America Great Again”) :

« La question à laquelle nous sommes confrontés en cette époque est de savoir s’il est possible de maintenir une société civile avec tant de personnes qui embrassent une réalité alternative. Il y a toujours eu dans la société humaine des fanatiques, des excentriques, des lunatiques, etc. La question qui se pose aujourd’hui est celle de l’échelle. Des simulations dissimulées éclatent au grand jour et notre réalité est maintenant inondée de modèles déments qui prétendent figurer des personnes normales, agissant sur un sens de la réalité qui est en contradiction avec la réalité objective. Nous sommes submergés par les simulacres. »

La question à laquelle je suis confrontée, pour mon compte, est moins la constitution de ces univers parallèles qui offrent des réalités différentes, – on ne sait même plus si on peut les qualifier de “faussaires” ou d’“alternatives”, – que celle de l’existence et de la désintégration de la “réalité objective”, ce que nous jugions être, ou croyions être la “réalité objective”, – bref, la crise de la “réalité objective”. Il est pour mon compte avéré que la “réalité objective” a été désintégrée sous la puissance des coups du technologisme et du système de la communication utilisés dans un mode de surpuissance inouïe depuis 9/11. Du coup, la constitution des univers parallèles répond à la logique de “la nature [qui] a horreur du vide”, et l’existence même de ces univers parallèles est le signe de la crise profonde de la “réalité objective” après la désintégration de ce qui était sa manifestation.

Nous retrouvons alors une certaine logique intuitive en connexion avec la thèse du “déchaînement de la Matière” : la “logique objective” qui a été désintégrée à partir de 9/11 était une “réalité objective” faussaire, un simulacre de “réalité objective”. Aujourd’hui, nous avons des “réalités alternatives” d’une puissance si grande qu’elles se constituent en univers parallèles, et peuvent alors être traitées comme telles (comme univers parallèles). Ce phénomène signale donc le fait fondamental, qu’apparaît aujourd’hui dans toute sa surpuissance la Grande Crise, ou GCES.

Les univers parallèles à ce stade, – sans préjuger de tout ce que pourraient nous offrir d’autres arrangements de la perception, comme celui de la physique qui a l’avantage de nous faire sentir que la mécanique du monde est elle-même sensible aux crises de la transcendance, – sont plus un symptôme qu’une nouvelle configuration du monde. Ils existent bel et bien, mais pour nous signaler la perte devenue insupportable de quelque chose d’unique, nommons-là “réalité objective” si l’on veut, – quoique je préfèrerais parler de Principe originel ou de Unicité principielle.

Les crises d’aujourd’hui, si justement rassemblées au cœur du Système dans le chef du monstre américaniste, figurent une étape ultime dans la marche des choses. Les univers parallèles ne sont que l’ornement élégant et original de la catastrophe apocalyptique qui nous est absolument nécessaire, – puisque “renaissance” il y a dans “apocalypse”.

Nous l’attendons de pied disons assez ferme.