Quelques guerres plus tard

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Quelques guerres plus tard


19 janvier 2004 — Le Progrès, cela se comprend à demi-mot, est une chose qu’on n’arrête pas, et dans tous les sens certes. Avant, on pouvait soupçonner les militaires d’avoir, avant une guerre, “une guerre de retard”. Désormais, il s’avère, une fois la guerre commencée (sinon livrée) que les militaires américains ont plusieurs guerres de retard.

Ce qui nous fait dire cela, c’est la nouvelle, — extraordinaire mais nous sommes habitués à l’extraordinaire, — que les Américains, en Irak, utilisent des rapports britanniques de 1918 pour comprendre comment fonctionne le système tribal en Irak. Cela vaut dans l’esprit, — en mieux pour la performance sans aucun doute, — l’utilisation de cartes touristiques dépassées de Belgrade par la CIA pour identifier les ambassades de la capitale yougoslave (et, a fortiori, l’explication de l’attaque “par erreur” de l’ambassade chinoise à Belgrade le 9 mai 1999).

Bien entendu, la nouvelle de l’utilisation de tels documents vieux de près d’un siècle a un rapport avec l’énergie déployée actuellement par les Américains pour tenter de comprendre les finesses des rapports entre chiites, sunnites, kurdes, etc. Pour certains esprits critiques, c’est surtout une explication des difficultés actuellement rencontrées par les Américains, notamment, depuis quelques semaines, et de façon critique depuis la semaine dernière, avec les Chiites.

Voici quelques observations de The Independent :


« Lieutenant-Colonel Alan King, head of the Tribal Affairs Bureau set up by the US-led coalition last month, admitted last week that he had been referring to the pages of the British report to fathom Iraq's network of tribal sheikhs — regardless of the fact that it dates back to the First World War.

» The revelation is not likely to improve confidence in the ability of the US to sort out the deepening muddle over how it means to relinquish political power to the Iraqi people by this summer. The plan to create an interim government before a 30 June deadline has been in doubt since objections were raised last week by the powerful Shia cleric, Grand Ayatollah Ali al-Husseini al-Sistani. His words set off mass demonstrations against the proposal in southern Iraq on Thursday. »


Par ailleurs, il est peu utile de s’exclamer trop longtemps à propos de cette étrange inconséquence américaine. Elle illustre une longue tradition d’indifférence, ou plutôt d’incapacité d’intérêt pour tout ce qui n’est pas américain. (Elle renvoie, par exemple, à l’un des plus étranges détails, connu 40 ans après, de la crise de Cuba et de l’attaque de la Baie des Cochons, en avril 1961. On apprit en avril 2001 que la CIA avait entrepris l’entraînement des forces cubaines anticastristes qui avaient été rassemblées pour l’attaque du 21 avril par le renseignement américain sans avoir prévu qu’un seul de ses officiers parlât l’espagnol.)

Il s’agit là d’un trait très caractéristique de la psychologie américaine, ce que l’ancien secrétaire adjoint au trésor Lawrence Summers nommait en 1998 l’attitude “inward-looking” des Américains : cette très forte tendance à l’ignorance, voire au refus de l’existence de choses, de cultures, de comportements qui ne soient pas américains. (Bien entendu, cela va beaucoup plus loin que l’isolationnisme et, à la limite, cela n’a pas beaucoup de rapport avec l’isolationnisme. L’isolationnisme est une politique qui accepte a contrario l’existence de non-Américains puisqu’elle recommande de s’en tenir isolé.)

Ce comportement entre dans une logique générale de refus, de négation du monde extérieur, qui se retrouve encore dans les conceptions militaires américaines et la façon de faire la guerre. Comme l’on sait, les USA ont mené pendant 15 jours, en mars-avril 2003, “leur” guerre, victorieusement, sans guère d’opposition irakienne évidemment, jusqu’à la chute de Bagdad. Depuis, la “vraie” guerre s’est installée, devant laquelle les Américains sont quasiment impuissants. D’où leur besoin de consulter des rapports de 1918.