Quelques mots crépusculaires, comme par inadvertance

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Les rapports des USA avec l'Europe, dans le cadre de l'OTAN, relèvent du sujet sempiternellement rabâché. Dans ces temps si troubles et si incertains, pourtant, le rabâché peut dissimuler des remarques fondamentales, s'introduisant sans crier gare. Les arguments sur, ou plutôt contre l’OTAN, de Patrick J. Buchanan, sur Antiwar.com ce 10 avril 2009, ne sont pas très nouveau, – au reste, comment trouver quoi que ce soit de nouveau contre cette vieille chose rouillée, inutile et prenant l’eau par tous ses commandements intégrés et autres, quand on ne s'en tient qu'à elle? Parlons d'autre chose.

Buchanan développe une rapide analyse sur le constat que les Européens n’ont aucune envie d’être en Afghanistan, d’y rester, de s’y battre, qu’ils cherchent surtout une issue honorable («“No one will say this publicly, but the true fact is we are all talking about our exit strategy from Afghanistan. We are getting out. It may take a couple of years, but we are all looking to get out.” Thus did a “senior European diplomat” confide to the New York Times during Obama’s trip to Strasbourg.»)

D’ailleurs, Buchanan ne leur en fait pas nécessairement reproche, de cette absence de volonté de se battre dans une guerre sans le moindre sens, stupide et cruelle, qui ne concerne, pour sa raison d'être, que quelques salons chics et autres experts s'interrogeant sur les talibans et les droits de l'homme. Le passé pèse sur les Européens et leur enseigne une certaine sagesse de retenue sagesse, même si par inadvertance; ils savent le prix de la guerre: «In World War I alone, France, Germany and Russia each lost far more men killed than we have lost in all our wars put together. British losses in World War I were greater than America’s losses, North and South, in the Civil War. Her losses in World War II, from a nation with but a third of our population, were equal to ours. Where America ended that war as a superpower and leader of the Free World, Britain ended it bankrupt, broken, bereft of empire, sinking into socialism.»

D’autre part, les Européens ont compris ce que valent les USA aujourd’hui, qu’on peut leur dire “non”, ignorer leurs demandes et leurs pressions sans aucun risque. Ainsi en est-il du climat au sein de l’OTAN, estime Buchanan, assez justement nous semble-t-il: «Finally, NATO Europe knows there is no price to pay for malingering in NATO’s war in Afghanistan. Europeans know America will take up the slack and do nothing about their refusal to send combat brigades.

»For Europeans had us figured out a long time ago.

»They sense that we need them more than they need us.»

C’est alors que le texte prend un tour inattendu. Il devient une réflexion, courte bien sûr, mais d’une intensité désespérée, sur la paralysie de l’américanisme, sur l’absence de sens, sur la confusion des pensées abandonnées ou bien jamais réellement pesées ni comprises… Les Européens ont-ils besoin des Américains ? Mais non, c’est le contraire; et c’est pour cela que l’OTAN subsiste et, finalement, plus aux conditions des Européens, et notamment des plus veules (ceux qui parlent et ne font rien), qu’à celles des USA:

«Were the United States, in exasperation, to tell Europe, “We are pulling out of NATO, shutting down our bases and bringing our troops home because we are weary of doing all the heavy lifting, all the fighting and dying for freedom,” what would we do after we had departed and come home? […] What would be the need for our vaunted military-industrial complex, all those carriers, subs, tanks, and thousands of fighter planes and scores of bombers? What would happen to all the transatlantic conferences on NATO, all the think tanks here and in Europe devoted to allied security issues?»

Enfin, ces derniers mots, dont nous nous permettons de souligner l’essentiel, certes: «We can’t give up NATO because, if we do, we would no longer be the “indispensable nation,” the leader of the Free World. And, if we’re not that, then who are we? And what would we do?»

Il y a dans ces mots du désespoir qui renvoie, que l’auteur en ait eu ou non conscience, qu’il l’ait ou non voulu, à la crise fondamentale de l’Amérique, – la crise de son fondement, la crise inexprimée qui existe à la fondation de l’Amérique. Il s’agit de la crise de l’identité américaine, qui, selon certains auteurs, s’était déjà exprimée à la fin de la Guerre froide. (Voir William Pfaff, en 1992.) C’est l’idée fameuse de l’Amérique privée d’“Ennemi”, mais cette idée renvoyant au constat que, sans ce paradoxal “miroir” identitaire qu’est l’“Ennemi”, l’Amérique se retrouve face à elle-même, – face au vertige de son identité jamais constituée, – face au vide d’elle-même. Rude perspective.

C’est une vieille histoire par conséquent, qui avait déjà connu un chapitre notable avec la Grande Dépression et la “dissolution” de l’Amérique en cours lorsque FDR arriva, et l’Amérique sauvée par FDR qui se chargea de lui trouver un, puis des “ennemis” successivement. Dans ce cas, l’“Ennemi” se découvre moins comme une nécessité agressive que comme une nécessité identitaire, sans correspondance notable d’agressivité, – il faut que “les autres” existent pour que l’Amérique existe; pourtant l’Amérique ne supporte pas l’existence des autres puisqu’elle leur est d’essence supérieure et qu’ils ne veulent rien entendre malgré tous les prébendes, les corruptions et les séduction. L'Amérique ne peut exister avec la seule référence historique de son identité, comme tant de vieilles nations, parce qu'elle est née contre l'Histoire et l'a rejetée, envisageant même de la remplacer, et que l'Amérique devienne Histoire elle-même (“nouvelle Histoire”, cela va sans dire).

La remarque de Buchanan va donc au cœur de la question puisqu’elle ne lie pas l’existence de l’Amérique nécessairement à un “Ennemi” ou à une guerre mais à cette idée d’existence des autres pour justifier l’existence de l’Amérique. Le cas est sans doute banal, d’un point de vue psychanalytique, mais il est extraordinaire, planté au milieu de la situation du monde. Il l’est d’autant plus que ce besoin des autres et d’affirmation sur les autres se fait au prix du développement d’une puissance devenue impuissante, et qui contribue d’une façon massive à détruire l’Amérique.


Mis en ligne le 10 avril 2009 à 17H37