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312Provenant des USA, ce billet hebdomadaire de Irwin Stelzer, dont nous avons déjà dit l’intérêt de ses avis parce qu’il représente une “voix autorisée” de Washington. (Non pas que nous y péchions nécessairement le bon sens et la lumière, mais parce qu’il importe de savoir ce qui se dit et se pense à Washington.) Vue la date (28 décembre 2008 dans le Sunday Times), le texte a un petit air de bilan. Ce qui nous importe ici est combien le propos découvre, sans doute involontairement, la complexe et diverse facticité de la construction que représentent les appréciations, évaluations et données officielles sur la situation des USA, dans ce cas et particulièrement, en matière économique et sociale.
Le passage sur le chômage est intéressant. Voilà que Stelzer nous dit que, après tout, 6,7% de chômeurs ce n’est pas si grave. («The unemployment rate is 6.7%, not bad by historic standards.») Et puis il se reprend, et cela donne cette extraordinaire démonstration, pour un personnage de ce statut si remarquable dans l’establishment washingtonien, qui revient à nous dire: “Oui, officiellement on dit 6 ,7% de chômeurs, mais ce n’est rien d’autre qu’un montage forcené et officiel, et la réalité est au moins le double de cela…”
«Yes, the unemployment rate is relatively low, but that is because millions have dropped out of the labour market after unsuccessfully searching for work, and others have been forced to accept part-time work when they could not find a full-time job. Add those to the workers classified by the Department of Labor as unemployed, and the rate doubles to over 12%. And that doesn’t count those working shorter weeks or taking pay cuts.»
Stelzer a commencé par nous donner les motifs de satisfaction du citoyen landa dans les USA aujourd’hui. Après tout, l’essence est moins cher, les marchands bradent leurs marchandises, on peut voyage à très bas prix, quant à acquérir une voiture de General Motors votre argent de poche ferait l’affaire… Mais l’on découvre vite que c’est de l’ironie grinçante, car l’esprit n’est décidément à rien de tout cela, et tous ces avantages ne sont que monnaie de singe, faux-masque, perspective déformée et tromperie courante…
«Yes, mortgage rates are low, about 5% for the traditional 30-year fixed-rate mortgage. But almost nobody can get one, as the banks hoard money and do business only with the least risky applicants, or find that they have laid off so many staff that they don’t have enough workers to process applications. Besides, with prices falling faster than at any time since the Great Depression, who wants to buy a house now when it might be available at a lower price in a few months? Most of the mortgage applications are aimed at refinancing existing mortgages at the new lower rates, so the inventory of unsold homes remains at about twice normal levels, and half of the homes that do sell are going for prices that don’t cover the outstanding mortgage.»
D’ailleurs, termine-t-il comme pour nous asséner le coup de grâce, tous les avantages qui viennent d’être décrits sont d'autant plus “monnaie de singe, faux-masque, perspective déformée et tromperie courante” qu'ils n'apparaissent en vérité nulle part dans les pratiques courantes de la vie économique, et que, finalement, les Américains n’y comprennent plus rien… «Adding to Americans’ sense of confusion is the gap between what we see and what we are told.»
Puis vient la démonstration de notre “sens of confusion” à nous, et peut-être de celui de Stelzer pour écrire toutes ces choses, entre ce que Stelzer nous a décrit et ce qu’il nous annonce. Car tout s’illumine bientôt, après nous avoir décrit cette étrange situation qui n’est pas loin d’être catastrophique et d'une confusion extrême et dans tous les sens…
«Fortunately, history suggests that this gloom and confusion shall pass. At the end of the second world war economists were predicting a resumption of the Great Depression: it didn’t happen. Indeed, then as after every recession since, the resilient American economy resumed its growth. Living standards rose; poverty fell; America’s energy-intensive, mechanised agriculture became the breadbasket of the world; the universities overflowed with students optimistic about their futures; the size of houses grew; household drudgery was replaced by energy-driven appliances that liberated women to enter the workforce; personal mobility rose as the real cost of cars fell; longevity increased.
»There’s more, but you get the idea. America is endowed with ample natural resources to sustain rapid rates of growth. It is blessed with an entrepreneurial spirit that has produced successive waves of the creative destruction that allow the economy to shed the old and move on to the new. Its policymakers, far from perfect, have never gone so far as to stamp out risk-taking, initiative and the incentive to work hard while reforming the capitalist system.
»Most of all, our political institutions have been robust enough to survive wars and bitter political differences — difficulties such as we faced in the close-run 2000 election. If you doubt that, consider the civility and efficiency with which the current transition from a right-wing president to his left-wing successor is being conducted. Four American presidents, from both parties, will dine at the White House at the invitation of President George Bush, to share their experiences with Barack Obama and to pledge their support should it be needed in a crisis.»
N’est-ce pas un texte exemplaire, après tout, du “sense of confusion» qui touche Stelzer, du “gap between what [he] see[s] and what [he is] told”, lui qui évoque une situation presque idyllique pour aussitôt nous démontrer qu’elle n’est que tromperie officielle qui ne fait qu’ajouter au désarroi des Américains, pour poursuivre aussitôt que l’histoire montre que tout s’arrange et que la situation redevient idyllique, alors que l’histoire qu’il cite ne s’est arrangée que grâce aux tromperies officielles, comme ce redressement de 1945-1948 pour éviter le retour de la Grande Dépression, dû pour l’essentiel à la mise en scène intérieure de la mobilisation pour la Guerre froide, et ainsi de suite…
L’impression est certes de plus en plus que cette “trêve des confiseurs”, pendant laquelle les affaires du monde semblent s’arrêter, est propice surtout à la réalisation des conditions affreuses de confusion qui caractérisent la situation américaniste, entre la représentation qui en est donnée et la réalité qui continue à s’affirmer, de plus en plus puissamment. Et pourtant, non, la situation n’est pas catastrophique; ou bien l’est-elle, après tout? Aussi Stelzer préfère-t-il jeter l’éponge et s’en retourner, la semaine prochaine, au sport préféré des économistes, qui est simplement la prévision de l’avenir. («But the new year is upon us, and the important question now is what it has in store. More on that next week.»)
Mis en ligne le 29 décembre 2008 à 15H08