Qui est isolé en Europe? Question de tactique et de “grandeur”

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Qui est isolé en Europe? Question de tactique et de “grandeur”


11 juillet 2007 — «Only Britain put up any resistance to Europe throwing its weight… […] but found itself outmanoeuvred.» Nous dirions, paraphrasant cette phrase du Financial Times (FT) que, cette fois, le FT «…found itself outmanoeuvred». L’expression “to be outmanoeuvered” (être tourné, être enveloppé et battu par une manœuvre de l’adversaire) est infamante pour les Britanniques, qui trouvent leur propre gloire auto-proclamée et confirmée par leurs admirateurs (surtout français) dans leurs capacités de manœuvre diplomatique. Ces capacités sont réelles et reconnues, mais, aujourd’hui, la machine a des ratés.

Le commentaire du FT sur la nomination du Français Dominique Strauss-Khan (DSK) comme candidat européen à la direction du FMI est particulièrement révélateur. Pour cette raison, nous nous y attachons. On y trouve la reconnaissance de l’isolement britannique aujourd’hui en Europe, — isolement tactique correspondant à ce qui pourrait se révéler comme un isolement conceptuel, — double surprise, en vérité, pour ceux qui réservent ce rôle de l’“isolement européen” à la France. Ceux-là, on les trouve surtout chez les déclinistes français qui font habituellement leur miel des jugements péremptoires du FT sur l’isolement français. Le miel se fait rare dans cette saison pluvieuse. Le même texte du FT reconnaît la maestria française, et notamment les qualités tactiques du président français, pour rallier l’Europe à la France et, dans ce cas qui devient une habitude, isoler le Royaume-Uni.

Quelques paragraphes de l’article de ce matin, de George Parker et de Pan Kwan Yuk.

«Dominique Strauss-Kahn was yesterday anointed Europe's candidate to head the International Monetary Fund, in a highly effective operation by Nicolas Sarkozy, French president, to plant another tricolour on a global institution.

»Only Britain put up any resistance to Europe throwing its weight behind the French socialist, but found itself outmanoeuvred at a breakfast of finance ministers in Brussels yesterday.

»Alistair Darling, Britain's chancellor of the exchequer, attempted to put the brakes on Mr Strauss-Kahn's nomination, arguing for an “open and transparent system” for choosing a replacement for Rodrigo Rato, the fund's outgoing managing director.

»But while Mr Darling was briefing journalists that he wanted to see if any other candidates emerged, the Portuguese presidency of the European Union issued a press release naming the former French finance minister as Europe's candidate.

»The British minister complained that “a discussion over breakfast” was not the way to choose the IMF chief (by tradition Europe provides the fund's managing director) especially when the breakfast was not that good.

»Later the British Treasury issued a statement confirming the fracture in Europe's ranks. “We don't feel bound by that discussion,” it said. It argues that the debate now moves to the more important IMF level, pointing out that the fund's executive board also backs a transparent appointment process.

Comme on le lit, les termes sont particulièrement louangeurs pour Sarko et, par conséquent — et conséquence qui est la seule à vraiment nous importer, — pour la France. L’article continue sur ce ton en imposant un bilan impressionnant pour les Français. Impossible pour tout lecteur bien né de n’y pas voir la reconnaissance d’un effort tactiquement bien tempéré pour le renforcement de la “grandeur” française (terme gaullien, en français dans le texte anglais). La chose contraste avec le ton piteux, caustique et désabusé du Chancelier de l’Echiquier Darling, “outmanoeuvered” par les Français.

«The addition of Mr Strauss-Kahn to the IMF would mean Frenchmen in charge of four big international institutions — a fact that will boost Mr Sarkozy's attempts to reinstate French “grandeur” on the world stage.

»France has Jean-Claude Trichet as president of the European Central Bank, — Pascal Lamy as chief of the World Trade Organisation, and Jean Lemierre at the head of the European Bank for Reconstruction and Development.

»Domestically, a move by Mr Strauss-Kahn to the IMF would help Mr Sarkozy marginalise a dangerous opponent.»

Une “re-légitimation” européenne de la France

En vérité et d’un point de vue intéressé par les choses fondamentales, peu nous importent la satisfaction de DSK, la maestria de Sarko, et même que le FT compte, parmi les attributs de la “grandeur” française en cours de renforcement, la position à la tête de la Banque Européenne de Jean-Claude Trichet qui n’a jamais brillé par ses efforts en faveur de la “grandeur” française. Peu nous importent ces “machins”, l’Europe bordélique, le FMI, l’OMC et tutti quanti, pour lesquels nous n’avons guère d’estime et qui participent à l’entretien et à l’élargissement global de ce désordre prédateur derrière des apparences de rangement, nommé globalisation.

Mais il se trouve que l’époque est comme elle est. Pour peser dessus il faut compter, et compter selon les critères de cette époque impie. Pour que la France y ait sa place, qui est la place du seul pays au monde capable de comprendre et de dénoncer les dangers épouvantables du système tout en s’y trouvant en son cœur (la France à la fois en-dehors et en-dedans), il faut que sa “grandeur” soit renforcée. Cette époque de misère intellectuelle et d’emprisonnement de la pensée mesure notamment, parmi d’autres références du genre, la “grandeur” à la maestria tactique pour parvenir à emporter la direction de ces “machins”. Par conséquent nous modifions complètement notre avis le temps de ce commentaire, — évolution tactique logique et évidente. La satisfaction de DSK, la maestria tactique de Sarko et la direction de ces “machins” nous importent pour le temps qu’il faut pour lire ce commentaire comme des événements importants et bénéfiques.

Nous pensons depuis un certain temps que Sarko fait et fera un formidable président s’il s’en tient à sa puissance dynamique d’action, à son sens tactique, etc. Pour le reste, pour la pensée profonde, la France est là pour ça. (Dans le cas de Sarko, la pensée profonde de la France est transcrite par son conseiller Guenot, — tant que Guaino est à l’Elysée, dans le bureau d’à-côté, tout va bien, — car le venimeux dicton parisien en vogue actuellement est : “Pour savoir ce que Sarko fait, voyez Sarko ; pour savoir ce que Sarko pense, voyez Guaino ; pour savoir le temps qu’il fait, voyez Fillon…”).

Pour un homme d’action comme Sarko, nous l’avons dit aussi, s’appuyer sur la logique française et la puissance d’image et d’influence de la Grande Nation avec à la fois son héritage historique et son unique indépendance souveraine actuelle donne à son action une légitimité (là, le terme compte fondamentalement) et une efficacité redoutables. Cela plaît à Sarko et il en use, et tout le monde est content, — et «France première servie». (Jeanne n’a-t-elle pas dit quelque chose dans ce genre ? Sarko déguisé en Jeanne,

on aura tout vu dans les folies postmodernes.) Les Européens, ébahis et vite conquis parce que dotés d'une pensée substantielle nulle, et le FT qui a tout de même une certaine plume, reconnaissent ce phénomène français qui n’est qu’une simple prise en compte de “la force des choses“.

Tout cela n’est pas une ode à la gloire de Sarko, — ceux qui ne l’ont pas compris feraient bien de retourner à la lecture du Monde et de Libé. Notre avis est que, pour l’instant, Sarko est bien à sa place et qu’il agit comme il faut au service de la France, excellemment et efficacement. Le “scélérat” est diablement utile. Rien à redire et inutile de tresser le laurier du triomphe à la romaine. (La presse servile française, comme toute la presse de la civilisation occidentale pour ses autorités respectives, fait très bien cela sans qu’il soit nécessaire de lui passer des consignes, d’instinct dirons-nous.)

En attendant, l’Europe est secouée de fond en comble par la furia francese. Ce n’est pas cela qui fera l’Europe, chers lecteurs, car l’Europe dans son schéma actuel n’est qu’un infâme patchwork dont on ne peut rien faire. Mais, dans ce désordre, la France tire son épingle et, à grands coups d’épingle, fait avancer le troupeau désordonné dans une autre direction que l’anglo-saxonne. A cet égard, Sarko en chien de garde et de berger fait jusqu’ici de l’excellent boulot. (La seule crainte à avoir, — que tout cela ne lui monte pas à la tête et qu’il oublie que, sans la France, il n’est rien. On verra.)

De tout cela, il se construit quelque chose de fondamental — d’images en bons “coups”, de coups de poing sur la table en bons coups de “outmanoeuvering”, — qui est la réaffirmation de la légitimité française à imposer un sens au désordre européen. On reste quelques centaines de coudées en-dessous de Talleyrand mais c’est certes bien mieux que le rien auquel on nous a habitués, dito les éditos parisiens sur le déclin français.