Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
17415 mai 2009 — Force est de reconnaître que l’héritage de GW Bush est bien vivant, bien actif, bien vigoureux, comme un vrai bon virus “mutant” qui vous désorganise votre système immuntaire. La campagne otanienne et américaniste en Afghanistan se porte mal, as usual, sinon de plus en plus mal. L’attention s’est largement élargie au cas pakistanais, qui est désormais l’objet de tous les soupçons, notamment pour ce qui concerne les craintes à propos de la sécurité de l’arsenal nucléaire du Pakistan. Ainsi l’Afghanistan, élargie au concept AfPak cher à l’administration Obama, tend-il à devenir une crise restaurée, extrêmement pressante, beaucoup plus dangereuse, – sinon sur le terrain même, dans tous les cas dans les analyses des planificateurs washingtoniens. Cela nous conduit, naturellement, à l’Irak.
…L’Irak où, comme nous en sommes instruits notamment par le Times du 3 mai 2009, la situation se dégrade à très grande vitesse. L’article du Times est intéressant surtout parce qu’il décrit la très grande vitesse, justement, à laquelle le fragile tissu du “surge” posé à la va-vite sur le pays en 2007, pour accréditer l’idée d’une “victoire” US, est en train de se détricoter. L’article décrit précisément la façon dont les forces irakiennes insurgées (anti-US) rassemblées par le général Petraeus à coup de prébendes pour changer de camp, sont en train d’effectuer le parcours inverse:
«Irak is threatened by a new wave of sectarian violence as members of the “Sons of Iraq” – the Sunni Awakening militias that were paid by the US to fight Al-Qaeda – begin to rejoin the insurgency. […] A leading member of the Political Council of Iraqi Resistance, which represents six Sunni militant groups, said: “The resistance has now returned to the field and is intensifying its attacks against the enemy. The number of coalition forces killed is on the rise…”»
Les deux théâtres (Afghanistan“AfPak” et Irak) sont liés, comme nul ne l’ignore, par l’engagement US, agissant comme un poison ou comme un virus “mutant” (suite) qui marcherait bien. Du côté irakien, justement, il est question de désengagement, qui devrait permettre en contrepartie un engagement US supplémentaire en Afghanistan en même temps que de répondre aux engagements de campagne du candidat BHO. Les plans sont-ils compromis par les événements d’Irak? Pas du tout, nous assure l’amiral Mullen (selon Antiwar.com et Reuters ce 5 mai 2009):
«Admiral Mike Mullen, chairman of the U.S. Joint Chiefs of Staff, said the United States is still planning to remove combat forces from Iraq by August 2010 under the plan unveiled early this year by President Barack Obama. “There's been a significant increase in violence in recent weeks,” Mullen told reporters at a Pentagon briefing. “We're watching all that very carefully, but we don't see at this point that violence being anything that changes the current outlook with respect to the overall plan to come down in August of 2010,” he said. Mullen said the plan provides the U.S. commander in Iraq, Army General Ray Odierno, with a significant number of troops through national elections expected late this year.»
Pour résumer, parce que le message est d’une limpide clarté et qu’il faut donc en entendre le contraire sur une bonne partie: l’état-major US est effectivement préoccupé par le regain de violence et craint éventuellement que cette situation ne remette en cause les plans de retrait d’Irak. Mais, d’une certaine façon, il a déjà été répondu par avance à toutes ces spéculations lorsque le Premier ministre irakien Maliki a déclaré, répondant au général Odierno (chef du théâtre irakien pour les forces US), qu’il n’était pas question que les troupes US ne quittassent pas les villes irakiennes le 30 juin prochain (première étape de l’accord de retrait). Odierno avait laissé entendre le contraire. Cela ramène notre attention sur l’Irakien Maliki.
«… Now look at him: he’s a Machiavelli-class political operative, the head of a propped-up state who just told his masters to drive it up their exit ramps by demanding that they honor the status of forces agreement whether they like it or not.
»Keep in mind, though, that in 1980 Saddam Hussein sentenced Maliki to death. Now Saddam Hussein has been sentenced to death and executed, and Maliki has his job. How about them apples? Maliki is so powerful today, in fact, that he may be the only political figure who can help Barack Obama – the head of state of the most powerful nation in history – out of the crack he’s wiggled himself into.
»The warmongery that controls the Pentagon and Congress never did take any of that Iraq withdrawal timeline jive seriously. Defense Secretary Robert Gates, Joint Chiefs chairman Mike Mullen, National Security Adviser James Jones, ‘King David’ Petraeus, and Ray ‘Desert Ox’ Odierno are all on record as having said withdrawal timelines are a bad idea. Odierno has, through Petraeus publicist Tom Ricks, broadly expressed his desire to see 35,000 or more troops in Iraq through 2015, status of forces agreement and Obama campaign promises be damned. Early in April, Odierno put out the word that he might ignore the June 30 deadline for U.S. troops to leave Iraqi cities, and it looked like another domino was about to drop in the Pentagon’s “hell no, we won’t go” strategy. Then Maliki said “not so fast” and told Babe Odierno to have his troops out of Mosul and the rest of the cities by the end of June and that they couldn’t go back without a hall pass.
»Two aspects of this event should shock every American. First is that Odierno, who is four levels down in the chain of command (under Obama, Gates, and Petraeus) announced he might unilaterally abrogate an occupation arrangement agreed to at a level higher than his. Second, and perhaps more alarming, is that the only guy who threw the bull plop flag about it was the prime minister of the occupied country. Nobody in the White House or Congress did anything but put palm prints on the seats of their pants. The military’s takeover of America is now so complete that the Buck Turgidsons and Jack D. Rippers can do whatever they want and the rest of the body politic demurs as if it’s the Pentagon’s constitutional right to dictate policy to the executive and the legislature.»
Ce commentaire de ce 5 mai 2009 est de Jeff Huber, un ancien officier de l’U.S. Navy et collaborateur de Antiwar.com. Il met en lumière l’étrange position du président Obama. Contre ses militaires, ou certains de ses militaires (Odierno), qui augmentent leur pression pour maintenir les forces US en Irak sans tenir compte de l’accord signé avec le gouvernement irakien et de ses propres promesses, BHO n’a pas de meilleur allié que le Premier ministre irakien. Il en est même l’otage, d’une certaine façon. Si Maliki suit sa ligne “dure” du respect à tout prix de l’accord, BHO peut laisser croire que sa “stratégie” se déroule selon le plan prévu. Il n’est pas impossible qu’il y ait entre le président US et le Premier ministre irakien un accord implicite, – certains disent même un accord explicite, – pour faire fonctionner ce schéma. Selon l’évolution de la situation, il n’est pas exclu que, dans des circonstances où la fraction Odierno, qui a le soutien de milieux de droite US où l’on retrouve certains camarades néoconservateurs, insiste un peu trop, Obama soit même conduit à des mesures disciplinaires contre ce même Odierno, – ce qui serait fait à la complète satisfaction de Maliki, qui a de piètres relations avec le chef américain, quand il en a.
Cela conduit effectivement à rencontrer ce saisissant raccourci mis en évidence par la phrase de Huber: «… the only guy who threw the bull plop flag about it was the prime minister of the occupied country». Effectivement, Maliki est aujourd’hui le seul homme capable de protéger le président des Etats-Unis contre le maximalisme de ses militaires sur le terrain, en Irak. (Tout cela, du côté US, ressortant du désordre du système, avec chaque centre de pouvoir jouant son jeu, beaucoup plus que tirant des plans organisés.) S’il est un homme qui est maître du jeu américaniste aujourd’hui en Irak, c’est le Premier ministre irakien, ce “Premier ministre d’un pays occupé” par les forces US, cette “marionnette”. Qu’est-ce donc que la puissance, aujourd’hui?
Nul n’ignore par ailleurs que le cas Maliki n’est pas une exception. En Afghanistan, Karzaï a montré à bien plus d’une reprise qu’il désapprouvait complètement la stratégie occidentale, qu’il pouvait éventuellement parler avec les talibans, qu’il était capable d’établir des contacts avec les Russes malgré l’avis contraire des USA; à bien plus d’une reprise, y compris à l’arrivée de l’administration Obama, on a parlé de la liquidation de Karzaï; ces diverses spéculations se sont avérées être des paroles en l’air.
Nous avons déjà commenté à plusieurs reprises ce phénomène de la transformation des “marionnettes”. Constatons que le phénomène se porte bien et qu’il subit même des transformations de substance, dans le sens de l’affirmation. La position de Maliki, aujourd’hui, n’est plus celle d’un refus de subordination, d’une résistance aux pressions US, d’initiatives contraires à la politique US prises sur le côté, comme faisaient les “marionnettes” rétives dans leur première période. Elle est en passe de devenir une position d’acteur à part entière, voire d’un manipulateur machiavélique qui pourrait jouer avec succès le soutien au président US contre les propres forces de ce président occupant son pays, parce que le président US n’a pas assez d’autorité pour imposer ses vues à ses propres forces. Qui est l’ennemi de qui, dans cette étrange foire d’empoignes? Qui emportera la victoire? D’ailleurs, cela existe-t-il encore, ce qu’on nomme une “victoire”? Nous y sommes…
Nous voulons dire par là que “nous y sommes”, au centre même de l’explication que nous voulons offrir pour caractériser le rôle de Maliki. Ce surgissement, cette affirmation d’une “marionnette”, tout cela dans un mouvement général des “marionnettes” qui se retournent contre leurs maîtres, les considérant quasiment comme des adversaires ou des victimes à manipuler et leur tenant la dragée haute alors que, en sens inverse, la situation des ennemis communs qu’on était censé combattre devient de plus en plus insaisissable, de plus en plus indéfinissable. Qui pourrait considérer d’une certaine hauteur et avec une certaine ampleur de vue et une réelle liberté de jugement l’histoire de cette pitoyable aventure irakienne finirait par conclure de ces événements sanglants qui semblaient n’être que désordre irakien, – ainsi avaient calculé les plus allumés parmi les idéologues neocons, – qu’il s’est agi en fait de la formation d’une alliance de facto, c’est-à-dire “objective”, entre des éléments qu’on jugeait irréconciliables, contre l’envahisseur. Certes, il ne s’agit ni d’alliances, ni d’ententes, etc., mais d’une évolution qui finit par être évidente, et dont Maliki, par sa position de “marionnette”, devient le porte-parole le plus intransigeant, voire le plus machiavélique. Aujourd’hui, dans l’Irak qui continue, en recommençant, à être un chaudron, on se demande qui est le plus divisé, – le “camp” soi disant irakien, formé par les circonstances “objectives”, ou le camp américaniste où le président en arrive à solliciter implicitement le soutien de sa “marionnette” contre ses généraux? “Nous y sommes”, parce qu’il s’agit d’une situation caractéristique de type G4G (Guerre de 4ème Génération), où les notions de “victoire”, de “défaite”, etc., n’ont plus le sens que nous sommes accoutumés à leur donner, n'ont plus de sens du tout selon notre raison un peu trop raisonneuse. Seul compte l’affrontement des forces structurantes contre les forces déstructurantes.
Dans ce cas, qui s’en étonnera: les forces déstructurantes sont américanistes, et les forces structurantes, le reste, s’appuient nécessairement sur le besoin de souveraineté et de légitimité d’une entité collective nommée Irak, notoirement et horriblement agressée. On goûtera le paradoxe qui effarouchera bien des vertus occidentalistes, de conclure que certaines de ces épouvantables forces de désordre terroristes puissent finalement contribuer à une œuvre de structuration, et que nous, les vertueux occidentaux, soient du camp déstructurant, du camp du désordre nihiliste.
Il s’agit bien d’une situation G4G largement étendue au-delà des seules conditions armées, où les interprétations classiques sont totalement effacées par l’affrontement qu’on décrit; une situation où la forme et les aléas des affrontements, et nullement les intentions qu’on y a mises, dictent la réalité historique du phénomène. C’est cette dynamique qui ridiculise absolument, jusqu’à l’insoutenable, les prétentions vertueuses et idéologiques de “l’Ouest”, comme ils appellent ce truc, – ce système fou, cette machine aussi verbeuse que nihiliste. C’est cette dynamique qui donne aux “marionnettes” la force de ne plus l’être, mais, au contraire, d’apparaître comme des serviteurs de ce qui devient la recherche d’une cohésion nationale. A mesure des événements qui la détaillent, l’enrichissent et la développent, la G4G apparaît de plus en plus comme la formule du conflit postmoderne entre l’agression déstructurante du système et les situations structurantes ainsi agressées. L’idéologie et la vertu occidentales ne s’y retrouvent plus et n’y comprennent plus rien, et ne représentent plus rien, et se trouvent avec leur ridicule comme seule vêture. En face de telles situations, que la G4G fait surgir en pleine lumière, on est conduit à se demander quelle existence ont, à part les slogans que répètent nos dirigeants devenus robots du système, cette idéologie et cette vertu. La question résonne et fait raisonner dans le vide.
Forum — Charger les commentaires