Qui t’a fait roi ?

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Qui t’a fait roi ?

• On s’attache à des perspectives diverses de possibilités de négociations à propos de la guerre en Ukraine, sans y croire beaucoup. • Ce qui nous intéresse essentiellement, ce sont les intentions réelles des Russes : une “victoire” en Ukraine, à leurs conditions, leur suffirait-elle ? • Nous sommes clairement tentés de répondre par la négative, notamment parce que, justement, l’une des conditions de cette “victoire” est quelque chose qui a à voir avec largement plus que l’Ukraine. • Ce que veut la Russie, c’est la peau de l’OTAN telle qu’elle est aujourd’hui.

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On a vu hier un constat général de l’évolution des états d’esprit devant l’évolution de la situation de la guerre en Ukraine, et notamment une poussée diffuse mais puissante pour rechercher une voie vers des négociations. Cette tendance est confirmée, par exemple, par un appel pressant (le second en un mois) du ministre hongrois des affaires étrangères :

« Un membre de l'OTAN estime qu'il n'y a pas de meilleur moment pour engager des pourparlers de paix en Ukraine

» Le conflit entre Moscou et Kiev ne peut être résolu sur le champ de bataille, a déclaré le ministre hongrois des affaires étrangères, Peter Szijjarto. »

La Hongrie est un bon exemple puisque, membre de l’OTAN et de l’UE, elle se montre résolument hostile à l’attitude antirusse de ces deux organisations, désapprouvant les sanctions antirusses, refusant des livraisons d’armes à l’Ukraine, etc. Son appel est donc du type “neutre” et ne peut certainement pas être pris comme un aveu de défaite ou une tentative d’entraver les buts de guerre de la Russie. Il s’agit bel et bien d’un appel au bon sens pour faire cesser le conflit.

Peu importe : il n’est pas sûr qu’aujourd’hui le “bon sens” ait le sens qu’on lui prête d’habitude et que les Russes soient prêts à entendre cet appel ; ni, – encore moins, – que les autres pays de l’OTAN puissent y prêter l’oreille une seule seconde.

Officiellement, les Russes suivent les déclarations très diversifiées de Poutine. Une affirmation que la Russie est prête à négocier un jour (tout en sachant que l’Ukraine ne veut pas entendre parler de négociations), une affirmation que, s’il le fallait, la Russie est prête à affronter l’OTAN et assurée qu’elle l’est de l’emporter. (Une démonstration de sa puissance a été faite par une très puissante attaque, notamment contre deux bases aériennes ukrainiennes mises hors d’état de fonctionnement pour au moins plusieurs mois avec notamment l’utilisation de dix missiles hypersoniques ‘Kinzhal’.) Cette diversité de conceptions s’est traduite dans ces lignes très diverses de sa réponse, hier, à un journaliste, lors d’une conférence de presse.

« La Russie est “toujours prête à faire face à n'importe quel scénario”, a déclaré samedi le président Vladimir Poutine à des journalistes, commentant une éventuelle confrontation directe entre les armées russe et de l'OTAN. Le président répondait à une question sur les récentes quasi-collisions entre des avions russes et américains en Syrie. 

» “Personne ne souhaite cela”, a ajouté le président, en rappelant les lignes de prévention des conflits existantes, qui permettent aux officiers russes et américains de se parler directement de “toute situation de crise”. Le fait que ces lignes fonctionnent toujours montre qu'aucune des parties n'est intéressée par un conflit, a-t-il ajouté. “Si quelqu'un le souhaite, – et ce n'est pas nous, – nous sommes prêts”, a ajouté M. Poutine. »

Cette réponse, – qui concerne des incidents en Syrie et non en Ukraine, – montre combien les Russes n’hésitent pas (plus ?) aujourd’hui à utiliser un certain cynisme dans leurs réponses. Cet incident en Syrie (après d’autres), alors que Poutine cite le processus de ‘désescalation’ crisique existant entre les USA et la Russie dans la zone pour désamorcer les crises, a clairement été initié par les Russes, avec des chasseurs Su-35 tirant des leurres antimissiles proches de drones US QR-9, pour dérégler complètement leurs système d’autoguidage et les endommager. Ce cynisme non dissimulée, – un “cynisme franc” si l’on veut, et chargé de signification, – fait partie d’un durcissement extrêmement net du discours russe sur les possibilités de négociations tandis que les opérations militaires ne connaissent aucun ralentissement.

Hara-kiri de l’OTAN, please

Tout cela, cette mise en bouche, nous conduit à un sujets bien plus vaste. Pour l’introduire, on rappelle un autre passage du même texte d’hier déjà cité, sur les dents et les poules...

« Dimitri Medvedev a écrit un long article dans le journal officiel du gouvernement, ‘Russia Gazeta’, où il détaille les conditions que les Russes jugent non-négociables pour aboutir à une fin du conflit :

» ‘Les Russes veulent une restructuration du système politique ukrainien, quelque chose qui est complètement au-delà de ce qui fut négocié en mars 2022 à Istanboul !... Mais Medvedev parle aussi de la nécessité d’une modification complète de la structure de sécurité en Europe, c’est-à-dire de l’OTAN, de son but, de sa raison d’être, etc... 

» Bref ! Medvedev parle de la nécessité de la suppression de l’OTAN telle qu’elle existe comme condition d’établir une structure de sécurité acceptable en Europe ; et ce dernier point étant, pour les Russes, une condition nécessaire voire non-négociable de la fin de la guerre en Ukraine et du rétablissement de la paix. »

Medvedev est un adepte de cette sorte d’évolution. C’est lui, alors qu’il était président, avait proposé à l’automne 2008 à Sarkozy, alors président de l’UE, la formation d’une architecture de sécurité européenne (sans les USA, entendait-on chuchoter). Sarko avait sauté sur l’occasion, durant 3-4 jours ; puis l’on “passa à autre chose”, – une des phrases favorites de ces Temps-de-l’Amnésie, – avec la souplesse que l’on connaît à ce président-là, – et désormais, l’on aima encore plus l’OTAN et les cafards de l’Anglosphère.

Ce qu’écrit Medvedev aujourd’hui n’est en aucun cas gratuit. Il signifie : la guerre d’Ukraine ne s’arrêtera certainement pas à l’Ukraine. La position que la Russie acquiert avec l’affirmation de sa supériorité militaire que nul, même pas l’OTAN dans son entièreté, ne peut lui contester, va lui servir à imposer toutes les garanties de sécurité qui lui sont nécessaires. Victorieuse ou signataire d’un accord qui lui donne toute satisfaction en Ukraine, elle exigera aussitôt cette fameuse nouvelle architecture de sécurité.

Il ne faut rien douter à cet égard. La fantastique transformation du pays avec la création d’une base industrielle militaire dont personne dans l’Occident-poussif ne peut rêver d’approcher, en plus de la disposition d’une armée formée par la guerre, structurée et aguerrie, donnent à ses exigences le poids le plus convainquant qu’on puisse imaginer. C’est pour cette raison que nous ne pouvons nous imaginer, nous, que la Russie, dans l’hypothèse d’une campagne victorieuse en Ukraine, pourrait envisager un accord qui ne concernerait que l’Ukraine. Pour la Russie, l’objectif, que ce soit militairement ou diplomatiquement, est bien l’OTAN dans sa conformation et son comportement actuels. C’est en revenir, dans des conditions bien différentes évidemment, à l’idée de Medvedev de 2008, dont la filiation elle-même renvoie à la “maison commune européenne” de Gorbatchev et à l’union paneuropéenne suggérée par Mitterrand dans les années 1992-1993, – chaque fois, sans que l’on le dise trop fort, – sans les occupants américanistes...

Cette fois, pour le compte, les Russes ne se privent et ne se priveront pas de clamer que cette condition-là est essentielle. (A noter que, dans ces perspectives, on se demande avec inquiétude dans quel état précisément se retrouverait l’UE, elle qui vit sous perfusion américaniste permanente.)

La crise avant ‘Ukrisis

On aurait tort de croire que tout cela n’est que du ‘wihfull thinking’, d’abord parce que ce qui se passe en Ukraine existe bel et bien, ensuite et surtout parce que la crise ukrainienne qui retient toute notre attention et pourrait paraître clore la crise européenne de la sécurité si elle était éteinte, n’est en rien déterminante à cet égard.

Il faut se rappeler qu’avant la séquence ukrainienne, celle qui commence avec la Maidan de 2014, il y eut une longue crise qu’il nous arriva de nommer ‘Euromissiles-II’ ou crise des BMDE. Il s’agissait de l’installation de missiles anti-missiles US en Europe de l’Est (on aboutira à la Pologne et à la Roumanie) étudiée depuis 2002 par l’ineffable John Bolton, et dont le rôle aurait été d’intercepter d’hypothétiques ICBM... iraniens qui n’existaient pas, chargés de têtes nucléaires qui n’existaient pas, prenant le chemin des écoliers pour attaquer les magnifiques et pacifiques capitales de l’Occident-exemplatif, jusqu’à “D.C.-la-folle”. Lorsqu’il évoque cet argument des temps anciens, lorsqu’il nous rappelle quelques vérités, Poutine ne peut en général s’empêcher de pouffer de rire en rapportant cette mission initiale des antimissiles boltoniens.

Toute cette affaire évolua par de nombreuses phases et des routes en lacets sans fin, des changements d’analyses, d’opinions, d’humeurs, mais il est de fait que dès 2010-2012, on s’employait à travailler sur une base en Pologne et une autre en Roumanie, à la frontière de la Russie. Les missiles étaient donc des antimissiles (sol-air) jusqu’à ce que l’on constate qu’ils pouvaient être transformés en missiles d’attaque (sol-sol) et qu’on pouvait les garnir d’une tête nucléaire sans gâcher leurs belles lignes aérodynamiques. A partir de ce moment, les Russes prirent l’affaire très au sérieux : non seulement on allaient menacer d’intercepter leurs propres missiles stratégiques sur leurs frontières, mais on pourrait également envisager des attaques-surprises qui mettraient 10-20 minutes selon les modèles pour atteindre Moscou, sans que la certitude de l’attaque nucléaire puisse être établie.

On comprend que ces armes sont bien autant dangereuses que celles qui pourraient venir d’Ukraine si l’Ukraine était toute entière intégrée dans les plans de l’OTAN et des costauds du Pentagone. Cela signifie donc ceci : à quoi sert-il d’annihiler complètement la menace ukrainienne alors qu’on est victorieux, – hypothèse envisagée, – alors qu’on laisse tranquilles les bases en Pologne et en Roumanie, alors qu’on est victorieux en Ukraine. C’est pour notre compte l’argument principal qui nous fait pousser notre hypothèse au-delà dans sa logique :  si la Russie achève une campagne victorieuse en Ukraine et est sollicitée de signer un traité, elle étendra les exigences de ce traité à bien d’autres pays de l’OTAN, réclamera, et au besoin annihilera les bases de Pologne et de Roumanie.

C’est le moins qu’elle puisse faire, dans l’état d’esprit où elle se trouve : c’est l’OTAN et l’Occident-fictif qui l’a conduite à se lancer dans cette guerre, et qui, selon ce qu’on voit se profiler, en a fait la puissance militaire dominante en Europe et face à l’OTAN...

Qui t’a fait roi, Russie ? Il nous paraîtrait bien difficile qu’elle ne profitât pas jusqu’aux termes des nécessités de sa sécurité de cette intronisation en bonne et due forme. 

Note de PhG-Bis : « Peut-être peut-on rapprocher de cette réflexion des rumeurs courant sur la possibilité d’une nouvelle mobilisation. ‘The Thinker’ en fait un de ses sujets du jour, comme d’habitude très long et très documenté. Voir ausi Mercouris sur la fin de sa vidéo du 30 juillet. »

Mis en ligne le 30 juillet 2023 à 17H45