Qui y croit encore ?

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Les enquêtes et analyses, y compris dans la grande presse-Pravda, se poursuivent pour compléter chaque jour davantage le tableau tranquillement catastrophique d’une perte totale, non seulement de confiance, mais peut-être même de croyance dans le système. Samedi 21 août 2010, on présentait la situation de rupture entre les dirigeants d’entreprise et les citoyens-consommateurs, les premiers refusant d’investir et de rengager du personnel tant que les seconds ne se remettraient pas à consommer, les seconds étant enfermés dans une situation économique et sociale catastrophique et de plus en plus hostile au système, et de moins en moins inclinés à consommer par conséquent. Cette fois, l’article du New York Times du 21 août 2010 présente le spectacle d’une fuite des “petits investisseurs” de la branche financière et spéculative du système.

«Investors withdrew a staggering $33.12 billion from domestic stock market mutual funds in the first seven months of this year, according to the Investment Company Institute, the mutual fund industry trade group. Now many are choosing investments they deem safer, like bonds.

»If that pace continues, more money will be pulled out of these mutual funds in 2010 than in any year since the 1980s, with the exception of 2008, when the global financial crisis peaked. Small investors are “losing their appetite for risk,” a Credit Suisse analyst, Doug Cliggott, said in a report to investors on Friday.

»One of the phenomena of the last several decades has been the rise of the individual investor. As Americans have become more responsible for their own retirement, they have poured money into stocks with such faith that half of the country’s households now own shares directly or through mutual funds, which are by far the most popular way Americans invest in stocks. So the turnabout is striking.

»So is the timing. After past recessions, ordinary investors have typically regained their enthusiasm for stocks, hoping to profit as the economy recovered. This time, even as corporate earnings have improved, Americans have become more guarded with their investments.

»“At this stage in the economic cycle, $10 to $20 billion would normally be flowing into domestic equity funds” rather than the billions that are flowing out, said Brian K. Reid, chief economist of the investment institute. He added, “This is very unusual.”

»The notion that stocks tend to be safe and profitable investments over time seems to have been dented in much the same way that a decline in home values and in job stability the last few years has altered Americans’ sense of financial security. […]

»“For a lot of ordinary people, the economic recovery does not feel real,” said Loren Fox, a senior analyst at Strategic Insight, a New York research and data firm. “People are not going to rush toward the stock market on a sustained basis until they feel more confident of employment growth and the sustainability of the economic recovery.”»

Et ainsi de suite tout au long de l’article. On devrait avoir encore en mémoire les commentaires triomphants de Felix Rohatyn, lorsqu’il était ambassadeur à Paris, à la fin de l’administration Clinton, vantant le “capitalisme populaire” des petits actionnaires investissant à Wall Street. Cette interprétation était censée clore le cercle vertueux du capitalisme : à la richesse et à la puissance de l’establishment financier et du corporate power, elle ajoutait l’enrichissement de la classe moyenne, les pauvres moyens désormais sur la voie d’être moins pauvres et bientôt presque-riches grâce à l'American Dream version-Wall Street. Dix ans plus tard, on mesure l’effondrement, et l’on a du mal à ne pas succomber au vertige du constat de l’extraordinaire imposture qu’ont mis à nu ces mêmes dix années… Sans aucun doute, ce constat de la fuite des “petits investisseurs”, ce naufrage du “capitalisme populaire” est un coup de grâce de plus donné à un système épuisé, ivre à la fois de colossales masses d’argent et de son impuissance désormais structurelle à faire circuler même une partie de cet argent pour assurer à son fonctionnement la base populaire qui lui donnerait une apparence de légitimité. Mais quelle “base populaire”, d’ailleurs ? La classe moyenne est en cours de pulvérisation et de paupérisation accélérées, entre le chômage, la crise immobilière, la crise des Etats de l'Union face au “centre", etc.

En un sens qui règle tous les autres, on jugera la situation aujourd’hui infiniment plus grave qu’elle n’était au lendemain du 15 septembre 2008. Ce n’est pas tant le problème de savoir si l'on a ou pas les moyens d’intervenir comme l’on fit à l’automne 2008 si un nouveau krach a lieu (rassurons-nous en passant : on n’a plus ces moyens). Le 15 septembre 2008 et après, on était encore, – ou l’on paraissait être, – dans le domaine du conjoncturel, même s’il s’agissait du conjoncturel catastrophique, – dans le conjoncturel où les mesures “techniques” peuvent encore sembler faire l’affaire, y compris la planche à billet. Aujourd’hui, nous sommes dans le domaine structurel, et même de la structure psychologique en voie d’être modifiée en profondeur. Il ne s’agit plus d’économie mais de confiance, de croyance, de “foi”, alors que l’environnement est devenu quotidiennement catastrophique, – la politique intérieure presque au bord de la guerre civile aux USA, les guerres sans but qui sucent les centaines de $milliards comme fait une sangsue, l’environnement justement avec les catastrophes climatiques. Les nouvelles sont si épouvantables que les plumitifs du système, comme l’auteur de l’article (Graham Bowley), en sont à énoncer des lapalissades pathétiques, dans l’espoir, peut-être, de conjurer le mauvais sort : «It may take many years before it is clear whether this becomes a long-term shift in psychology.» (Effectivement, c’est l’art d’enfoncer les portes ouvertes : si dans 10 ans la tendance est toujours la même, on pourra dire que c’est une tournant psychologique de longue durée, “a long-term shift in psychology”.)

Les montages virtualistes, spécialités du système pour contrôler les tendances psychologiques, ne tiennent plus la route. La reprise fabriquée de toutes pièces, depuis les jolies petites “pousses vertes” de l’herboriste Bernanke, au printemps 2009, n’a trompé personne fondamentalement. Cet échec de la narrative de communication, sur laquelle fonctionnent les USA depuis leurs origines, est un autre élément du jugement général selon lequel plus rien ne fonctionne, justement, dans la mécanique d’apparat et de représentation de l’American Dream. Très logiquement, les très mauvaises nouvelles s’amoncellent et sont chaque fois interprétées d’une façon encore plus catastrophique, entraînant une spirale d’effondrement de la confiance, voire de la croyance et de la foi.


Mis en ligne le 23 août 2010 à 11H12