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1295Un lecteur nous presse de donner notre appréciation sur les déclarations du ministre français Morin, le 12 septembre, à “l’université d’été” de l’Assemblée Nationale, à Toulouse. Voici ce que nous dit ce lecteur, en commentaire d’un texte F&C du 14 septembre, à la date du 15 septembre ; nous reproduisons le message de JP Baquiast…. (Entre ces parenthèses-là, ici même, nous exprimons notre confusion pour la parenthèse dans ce message.)
«F-35 versus “Rafale”
»Comment appréciez vous (avec votre clairvoyance habituelle) la sortie incroyable, la semaine dernière, du ministre français de la défense contre le “Rafale”, au vu de ce qu'est en train de devenir le programme F35. N'était-ce pas au contraire le moment de dire que le “Rafale” est supérieur sur beaucoup de point, non seulement à ce que sera le F35, mais à d'autres avions américains, sans mentionner l'Eurofighter? Mais peut-être que M. Morin a le jugement faussé par des influences que nous aimerions connaître.»
Nous nous attachons à cette observation et demande parce qu’il était dans notre intention, lorsque nous l’avons lue, de mettre en ligne un récent Analyse de notre Lettre d’Analyse dd&e. C’est chose faite. Il nous semble que ce texte correspond à merveille au problème soulevé, du moins tel que nous l’envisageons.
Nous proposons quelques mots de commentaire spécifique dans cette analyse, qui vont évidemment avec cette Analyse de dd&e du 10 septembre 2007.
… Ce commentaire introductif est d’autant plus utile qu’il nous permettra de compléter la définition que nous donnons de la nouvelle place des armements, à la lumière de ce temps historique où la G4G remplace les conflits conventionnels et où la RMA américaine s’avère un dramatique échec. A cette lumière, l’approche critique du ministre française est-elle fondée?
D’abord, l’objet du délit… Le ministre Hervé Morin a effectivement prononcé quelques mots de critiques contre l’avion de combat
«C'est la stupeur chez Dassault après les déclarations du ministre de la Défense sur le “Rafale”. Mardi à Toulouse, lors de l'Université d'été de la Défense, Hervé Morin avait jugé qu'il s'agissait d'un “avion très sophistiqué et difficile à vendre”, ajoutant: “Je souhaite qu'on propose aux politiques la possibilité de choisir un équipement un peu moins sophistiqué.” Le ministre faisait remarquer que “quand les Américains emportent des contrats, c'est souvent avec des F16 d'occasion”.»
Réglons les détails. L’exemple donné par le ministre n’est pas très heureux. Nous parler de “F-16 d’occasion” vendus par les USA comme un exemple significatif de sa thèse, y accoler l’adverbe “souvent” qui n’a pas sa place dans le cas, tout cela fait brouillon. Les USA ont occasionnellement fourgué du matériel dépassé mais ce n’est certes pas le fonds de commerce de leur politique d’exportation des armements, ni sa substance, ni sa banque. Parle-t-on de la Belgique comme pays exportateur de systèmes de haute technologie lorsqu’elle songe à revendre ses F-16 brinquebalant à la Tchéquie ou à quelque autre pays plus lointains? Non, nous parlons de choses sérieuses.
Tout le monde sait que l’offensive à l’exportation des systèmes de hautes technologie des USA s’appuie essentiellement, en substance qualitative et en manne de rentrée d’argent, sur le F-15E de pénétration (Corée du Sud, Singapour), sur les versions avancées du F-16 (Block 50 et Block 60), sur le F-18 qui fait un retour sur le marché déguisé en Super Hornet A/F-18E/F (Australie, marché indien); puis, à plus long terme, sur l’ultra-fameux JSF, potentiellement fourgué à huit pays (mais abandonné en grosse partie, chose intéressante, par Israël); et même sur le F-22 Raptor, que le Japon voudrait avoir.
Ce n’est pas nous, qui mettons en question depuis longtemps l’emploi systématique, pour des causes opérationnelles, des systèmes d’armement de haute technologie, qui allons reprocher au ministre sa démarche. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle et en parler justement.
Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est l’emploi opérationnel des systèmes de haute technologie dans les conflits en cours. Plus spécifiquement, c’est l’emploi que font les forces armées US des systèmes de haute technologie, dans les conflits. C’est un échec complet, souvent une farce sanglante (dégâts “collatéraux” en Irak et en Afghanistan, effets contre-productifs dans les populations, etc).
Les causes de cet échec sont l’erreur d’emploi (de la part des utilisateurs, US en l’occurrence) et l’inadéquation de ces systèmes. Nous avons tenté de montrer avec le cas du JSF, en nous appuyant notamment sur une analyse du Center of Defense Information, que la mission d’appui tactique rapproché (CAS) est la mission qui présente le plus ce cas. Les qualités et les caractères qu’elle demande (relative lenteur, rugosité et solidité des systèmes, nécessité d’identification visuelle/humaine) sont à peu près exactement celles que ne donnent pas les hautes technologies.
Un autre aspect, nouveau pour nous, doit être soulevé pour affiner notre approche des hautes technologies : celui du caractère souverain ou pas des missions aériennes. Il est assuré que, parmi les missions aériennes de combat, certaines sont plus “utiles” que d’autres, certaines sont plus “nécessaires” que d’autres, certaines sont “fondamentales” et les autres pas.
• L’utilité et la nécessité renvoient à la référence opérationnelle. Nous sommes effectivement dans le domaine de l’utilitaire. Il s’agit de mener à bien une mission, qui est une notion faisant dépendre l’utilité et la nécessité de la mission d’un danger opérationnel réel. Les moyens sont à considérer en fonction de la mission. C’est le cas évident de la mission CAS, qui est la mission aérienne la plus sollicitée par les nouveaux conflits type G4G. Si les hautes technologies ne sont pas adéquates pour ces missions, l’emploi des hautes technologies doit être mis en cause. Nous observons que le dilemme et la question de bon sens ne sont pas nouveaux. Dans notre Bloc Notes du 12 août sur le Typhoon, nous voulions ridiculiser les affirmations d’officiers à la fois britanniques et indignes développant cette stupidité consternante de présenter le Typhoon comme un avion particulièrement bien adapté au CAS. Nous rappelions des exemples de retour volontaire à des matériels anciens, non dépendants des hautes technologies, pour cette mission : «Les seuls bons avions contre les guérillas sont des avions lents et solides, permettant l’intervention visuelle, — les T-6 et T-28 en Algérie dans les années 1950, les A-1 Skyraider au Vietnam dans les années 1960, qui étaient tous des avions à hélice déjà vieux et jugés dépassés lors de leurs interventions.»
• L’aspect fondamental renvoie à un concept complètement différent, celui de la souveraineté. Il existe des missions, — une en réalité, qu’il importe d’assurer dans la permanence, avec ou sans danger existant. Cette mission est nécessaire par elle-même, parce qu’elle permet d’affirmer la souveraineté sur un espace donné par son contrôle effectif, — l’espace aérien national en l’occurrence, et, dans certains cas spécifiques, des espaces de souveraineté temporaire par projection de forces. Il s’agit de la mission de supériorité aérienne, ou de “domination aérienne” (expression récemment introduite par l’USAF). Ce point est essentiel pour lui-même, autant que dans la mesure où il tient un rôle évident dans la grande bataille en cours de l’affirmation structurante de la souveraineté. La conclusion à cette étape du raisonnement est vite faite. L’attaque contre le Rafale est fautive, hors sujet et de peu d’intérêt, parce que l’avion représente évidemment une affirmation souveraine de la France au travers de la mission de supériorité aérienne qu’il assure. (C’est le cas aussi pour le F-22 américain alors que ce n’est pas le cas du JSF, qui n’est capable ni d’assurer, ni de mener à bien cette mission.) Que le Rafale ait, en plus, des missions secondaires d’appui tactique au sol dans ses capacités est en l’occurrence un avantage qui dispense les malheureux experts de s’interroger sur la nécessité ou pas d’un autre avion spécialisé dans ce domaine.
Pour mieux rendre compte du phénomène, cette mission de la supériorité aérienne, ou de la domination aérienne, devrait être exprimée en termes de contrôle et de souveraineté. Elle pourrait être nommée mission de “contrôle de la souveraineté de l’espace national”.
On notera dans ce cas que l’avion chargé de cette mission devient doublement souverain, et, à ce titre, doit être préservé doublement.
• Il est un objet de la souveraineté à cause de cette mission de “contrôle de la souveraineté de l’espace national”.
• Il est un objet de souveraineté à cause des technologies avancées dont il est équipé, qui sont elles-mêmes des technologies de souveraineté, — en elles-mêmes et par leur intégration dans cet objet de la souveraineté qu’est l’avion en question.
Il est manifeste que c’est la mission de l’Etat régalien, non seulement de choisir le développement d’un tel appareil, mais aussi de le protéger à tout prix. Dans ce cas, un tel système devrait être protégé des vicissitudes budgétaires à cause de son importance fondamentale pour la souveraineté nationale.
De même, son exportation devrait être favorisée à tout prix, parce qu’il s’agit d’un objet de souveraineté qui est exporté et qui, une fois acquis par d’autres, renforce la souveraineté des autres. Ce faisant, il renforce le principe général de souveraineté, ce qui ne peut que renforcer la souveraineté de la France pays exportateur. C’est un des principes fondamentaux du gaullisme que ce renforcement du principe de souveraineté également par le biais du renforcement de la souveraineté des autres. Au bout du compte, la France en bénéficie puisqu’elle exerce pleinement ce principe et l’exerce avec d’autat plus de profit qu’il est renforcé.
(Il faut également noter que toute l’histoire de la diplomatie et des relations entre nations montre que le renforcement des souverainetés des uns et des autres tend à la régulation de ces relations et au renforcement de la pacification de ces rapports. Le sommet en la matière, le Congrès de Vienne de 1814-1815, fut le succès qu’on sait parce qu’il s’appuyait effectivement sur l’idée de l’affirmation de la souveraineté nationale dans un cadre européen qui en bénéficiait en acquérant lui-même une certaine souveraineté, ou, dans tous les cas, une légitimité certaine. Les trois grands “souverainistes” du Congrès à cet égard furent le tsar Alexandre, Louis XVIII et Talleyrand.)
On ne peut s’étonner de l’écart du ministre Morin. C’est une grande tradition de la direction politique française de s’écarter de la logique souveraine et nationale à cet égard, et des intérêts qui vont naturellement avec. Cela se transcrit en bourdes, étourderies et autres sottises. Le Rafale en fut la victime plus qu’à son tour.
En septembre 1988, l’Express publia un article tonitruant contre le Rafale. Interrogé par RTL alors qu’il visitait la Flotte à Toulon, le nouveau Premier ministre Michel Rocard abonda dans le sens de l’hebdomadaire et qualifia le Rafale de «dossier sinistré». La France était alors en train de négocier un accord de coopération au développement et de participation avec achat probable d’avions avec la Belgique pour le programme Rafale (tactique que choisirent plus tard les Américains pour huit pays avec le JSF, sans interférence de leur gouvernement). Nous fûmes témoins de l’effet causé par ces paroles primo ministérielles dans les rangs de ceux qui, en Belgique, soutenaient l’idée. Quelques mois plus tard, les négociations étaient rompues.
Le Rafale n’a pas besoin d’adversaires pour rencontrer des difficultés à l’exportation. Les ministres français, premiers et autres, font l’affaire.
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