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199421 décembre 2009 — Partout ont fleuri, ces derniers jours, des articles sur les performances en diverses situations de combat simulé entre le F-16 Block 60, le F-22, le Typhoon et le Rafale, dans les cieux purs de toute incertitude économique des pays du Golfe – Emirats Arabes Unis au premier rang, qui médite d’acheter 60 nouveaux avions de combat qui pourraient être du type Rafale. Ces exercices avaient lieu en marge du Salon aéronautique de Doubaï, courant novembre, entre deux effondrements de l'endettement. Nos lecteurs nous ont renseignés sur tel ou tel de ces articles (Voir, le 17 décembre 2009, le site Le Mamouth ou, le 18 décembre 2009, le site Secret Défense). Les résultats y sont détaillés. Ils font la part belle, sinon superbe, au Rafale.
• Premier constat: les insinuations de commentateurs éclairés selon lesquels le pilote d’essai de Flight International Peter Collins avait reçu divers encouragements de Dassault pour écrire son article, après avoir essayé le Rafale, ces insinuations peuvent donner au moins la mesure de l’originalité de la pensée de ces commentateurs. Collins n’avait pas nécessairement besoin d’encouragements pour écrire (voir sur ce site, le 10 novembre 2009): «The classic definitions of aircraft combat roles really do not do justice to this aircraft; the Rafale is Europe's force-multiplying “war-fighter” par excellence. It is simply the best and most complete combat aircraft that I have ever flown. Its operational deployments speak for themselves. If I had to go into combat, on any mission, against anyone, I would, without question, choose the Rafale.»
• Second constat: on peut remonter plus loin. Le 30 janvier 2002, nous écrivions, à propos du choix imminent de la Hollande d’un soi-disant “nouvel avion de combat” (aujourd’hui, nous n’y sommes pas encore, au choix définitif – comme les choses vont vite, dans notre temps super-turbo):
«Et voilà que la RNethAF, dans un accès de transparence inattendu et qui laisse à penser à certains, a laissé filer dans le domaine public (dans la presse néerlandaise) les “cotations” des candidats, – dans les domaines technologiques et opérationnels essentiellement. Les résultats, quantifiés à partir des critères de la RNethAF, dont on connaît le sérieux et le professionnalisme, sont les suivants: 6,97 pour le JSF, 6,95 pour le Rafale, 5,83 pour le Typhoon, 5,80 pour le F-16C-60.
»La situation est sans précédent: trois des quatre candidats sont jugés selon des données théoriques plus ou moins avancées, un seul a été essayé. Que penser de la “note” donnée au Typhoon, dont les références théoriques sont proches de la réalité d'un avion presque achevé, par rapport à la “note” donnée au JSF, dont les références théoriques sont autant éloignées de la réalité que possible? Que penser de la quasi-égalité entre un “avion de papier” (le JSF) et un avion qui commence à entrer en service (le Rafale), – sinon que c'est, du point de vue des Européens et des Français, une extraordinaire performance: les Français font donc, aujourd'hui, un avion quasiment aussi bon que ceux que feront, dans quatre ou cinq ans, les Américains... Que penser, sinon l'évidence en forme de lapalissade, à savoir que plus on s'éloigne de la réalité dans cette sorte de jugement moins on est dans la réalité. Si l'on peut apprécier fermement le jugement sur le Rafale, par contre celui qui est fait sur le JSF ne vaut que ce que nous vaudra la politique capricieuse, incertaine et complètement unilatéraliste de Washington et du DoD, – c'est-à-dire qu'aujourd'hui il ne vaut pas tripette.»
…Lorsqu’on sait ce qu’il en est aujourd’hui du sort du JSF – annoncer en 2002 le JSF en état de vol “dans quatre ou cinq ans”, comme nous étions optimiste à son égard en 2002! –, actuellement réduit à une tripette découpée en mille morceaux, qui n’ose même pas voler, dont on songer à priver Lockheed Martin de la gestion du programme, on imagine ce qu’il reste à penser du Rafale.
• Troisième constat, nous écrivions entretemps dans un texte (extrait de la Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie du 10 juillet 2005, mis en ligne le 21 juillet 2005) qui a surpris plus d’un lecteur, qui est présenté comme la définition que nous donnons de nous-mêmes comme “antimodernes”, certaines choses à propos du Rafale. Nous présentions cet avion de la même façon que nous parlions de Péguy, de Baudelaire, de Joseph de Maistre, de Roland Barthe et des “antimodernes” (définition, selon André Compagnon: «Celui qui peut dire “nous modernes” tout en dénonçant le moderne»). Bonne compagnie pour un avion de combat, mais compagnie inhabituelle.
Dans l’esprit des choses par rapport à la grande crise de notre système de civilisation, nous accordions une importance exceptionnelle à l’avion de combat, à ce qu’il représente, à son envergure (façon de parler) culturelle, à la puissante logique souverainiste du symbole qu’il représente, et nous jugions que le Rafale était seul contre le JSF, avion déstructurant, niveleur, avec pour mission de poursuivre l’œuvre du système dans son domaine jusqu’au complet nivellement, jusqu’au royaume de l’entropie américaniste. Nous écrivions:
«Puisque, face au JSF, ne reste que le Rafale, parlons donc du Rafale. (Cette prudentissime précaution de langage renvoie aux Anglo-Saxons, disons dans 80% des cas. Lorsqu'ils font une “analyse du marché” des avions de combat, les Anglo-Saxons parlent, par exemple, du JSF contre l'Eurofighter [quelle dérision lorsqu'on sait ce que vaut l'avion européen], alors qu'on dirait que l'avion français n'existe pas. Nous dirions, nous, connaissant le besoin existentiel de propagande des Anglo-Saxons et de l'américanisme, que cela confirme son existence bien plus que Descartes ne prouva celle de Dieu.)
»Cet avion, par la position qu'il occupe et les conceptions qu'il représente indirectement, constitue un phénomène qu'on peut effectivement qualifier d'antimoderne dans le sens où nous explorons ce concept. Il hérite par nature de la position naturelle de la France qui est elle-même, en dépit de ses troupeaux d'intellectuels bêlants et soi-disant “libéraux”, complètement antimoderne. Le fait même d'affirmer son indépendance, son identité et sa souveraineté est, en effet, aujourd'hui, dans les conditions de la bataille engagée entre la structure antimoderniste et le néant moderniste, une définition parfaite de l'“antimoderne” dans le sens que nous ne cessons de répéter dans cette rubrique (“le seul qui puisse dire ‘nous modernes’ tout en dénonçant le moderne”). Depuis que le transfert et l'exportation des armements avancés, et les avions de combat avancés à la pointe de ceux-ci, constituent un fait politique et culturel majeur, — depuis les années 1960, donc depuis la rénovation gaulliste en France, — la politique française dans ce domaine a été nécessairement une affirmation d'identité et de souveraineté de la France aussi bien que de celui qui acquiert des armements français. Ce n'est pas un argument de relations publiques, c'est une vertu de nécessité: la substance de la France étant l'identité et la souveraineté, sa politique ne peut oeuvrer, par définition, qu'au renforcement de ces concepts en général, c'est-à-dire pour elle comme pour l'Autre (dans ce cas, le client qui achète un avion de combat français). A partir du moment où la France renforce les principes d'identité et de souveraineté, ce qu'elle fait en renforçant leur application chez son client (chez l'Autre), elle se renforce elle-même. Le Rafale est nécessairement l'héritier de cette tradition vitale, que le gaullisme n'a fait que rénover (les grandes choses sont des choses humbles). Il n'est pas nécessaire d'avoir aujourd'hui un personnel dirigeant, politique et autre, assez brillant pour exprimer cela, voire pour le comprendre. Il n'est pas nécessaire que la France actuelle qui fabrique et vend cet avion comprenne le sens fondamental de ce qu'elle fait. Elle le fait, point final, et elle est, sans le savoir, antimoderne comme Maistre, Péguy et Bergson. (Elle est de la même boutique, dans un autre rayon ou à un autre étage.)
»Ce qui fait la singularité exceptionnelle de la situation, c'est sa simplicité extrême: le Rafale seul contre le JSF seul, les deux clairement identifiés dans leur rôle nécessairement antagoniste, — et l'on comprend bien que l'on ne parle pas ici du simple fait commercial, du seul fait technologique, du seul fait de la politique d'exportation, — tous faits absolument dérisoires par rapport à la question fondamentale que figure l'affrontement entre antimodernes et modernes.»
Il est toujours très délicat d’établir un rapport ferme entre des circonstances encombrées par une technicité et un goût très élevé de la complexité opérationnelle encombrée de “situations”, d’acronymes, d’excitations techniciennes diverses, comme le sont les performances des avions de combat, et une thèse sur un mouvement qui est d’abord un esprit comme celui des “antimodernes”, fondé d’abord sur des constats d’ordre littéraire et d'ordre historique. C’est pourtant ce que nous faisions déjà en 2005 en faisant du Rafale un avion de combat ou, si vous voulez, un artefact technologique antimoderne. Il y a là un paradoxe dans la mesure où nous estimons que le “technologisme” en général est l’un des deux outils actuels, avec la communication postmoderniste telle qu’elle fut conçue au départ, de l’“idéal de la puissance” contre l’“idéal de la perfection” (Ferrero) – situation à laquelle renvoie évidemment le phénomène des antimodernes. Inutile d’ajouter que, dans notre esprit, “idéal de perfection” et “antimodernes” définissent la France dans l’esprit qu’on lui prête, aussi bien que le Rafale.
Il y a bien plus qu’une équivalence de l’esprit de la chose dans cette proposition. Nous estimons que, techniquement, voire technologiquement, le Rafale est effectivement conçu comme un artefact antimoderne, et que cela influe sur ses performances. Cet avion de combat est l’héritier d’un esprit et d’une politique qui se définissent par des caractères de suffisance structurante tels que la souveraineté nationale, qui est un caractère politique naturel de la France, réaffirmé par le gaullisme et appliqué au niveau de la technologie, notamment des armements, particulièrement et spectaculairement au niveau des avions de combat. La société Dassault travaille selon ce principe depuis ses origines, sans qu’il soit nécessaire d’en faire une théorie ou de se perdre dans une polémique, simplement parce qu’elle est une société qui est au service de son client et initiateur principal, l’Etat français. (Ajoutons qu’à l’origine, un homme comme Marcel Dassault n’était sans doute pas insensible à cet aspect des choses. Ses successeurs, fort probablement sans comprendre grand’chose à cet étrange langage, ont poursuivi la tradition; vous les étonneriez grandement en leur disant cela, qu’ils sont antimodernes – nous savons parfaitement et précisément, d’expérience vécue, de quoi nous parlons –, eux qui ne reculent pas, à l’occasion, devant l’habituelle fascination pour l’American Dream. C’est pourquoi Dassault, au grand dam des postmodernistes, possède un savoir technologique très avancé qui est fortement appuyé sur une grande tradition – combinaison très antimoderniste dans son esprit – et très avancé dans son fonctionnement parce qu’appuyé sur une grande tradition.) Le résultat de ces divers courants fait que les produits technologiques qui en sont issus recherchent d’abord l’intégration complète, à rebours de leurs concurrents, essentiellement anglo-saxons, qui se fondent sur un technologisme déstructurant sans aucun frein. Le résultat le plus convaincant de cette démarche anglo-saxonne, dans la structure même du programme (globalisé, décentralisé, cloisonné, etc.), est bien entendu le programme JSF. Les faits comparés des résultats dans la réalité indiquent accidentellement vers où vont nos penchants du jugement, et rejoignent effectivement, et là d’une façon consciemment affirmée, nos positions des antimodernes versus la postmodernité.
Entre l’esprit de la chose et la réalité, il y a rapport, et rapport puissant voire déterminant. Si le Rafale est aussi bon, c’est parce qu’il est mieux intégré, qu’il est paradoxalement moins “technologique” dans sa conception que politique – dans ce cas, la manipulation de la technologie au service de la politique, et contre le technologisme déstructurant de la postmodernité et de l’“idéal de puissance”. Le JSF, c’est l’inverse. Ce programme est la démonstration d’une théorie déstructurante (globalisation, technologisme, refus de la souveraineté, etc.) et l’état catastrophique du programme – pour ne pas parler des performances de l’avion qui ne pourront être jugé que s’il existe – est la sanction de la réalité à l’égard de cette théorie.
Le Rafale a affronté, dans les combats simulés mentionnés, des comparses de la “thèse JSF”, avec l’adjuvent d’un des pères spirituels du JSF, le F-22, déjà sacrifié sur l’autel de la comptabilité postmoderniste. Le F-22 est si bon qu’on se garde d’affirmer et d’utiliser toutes ses performances dans les démonstrations de cette sorte – à un point où l’on pourrait se demander s’il est capable d’affirmer et d’utiliser toutes ses performances dans la réalité, d’une façon coordonnée et intégrée, sans risquer de provoquer un accident majeur qui réduit la tentative à une catastrophe opérationnelle pour l’avion et nous donne la mesure des limites désormais dépassées de l’application du technologisme par rapport à la réalité. Bref, le F-22 est si bon qu’on l’a abandonné (183 exemplaires au lieu des 750 initialement prévus) et qu’il apparaît comme une merveille de musée de l’air et de l’espace, à conserver en l’exposant le moins possible aux aléas du combat aérien et aux intempéries du monde réel, plus que comme un avion de combat comme vous et moi.
Il n’y a pas de “cocorico” à pousser, comme ont souvent mentionné les divers commentaires français autour de ces affrontements dans les cieux des émirats. Ce ne sont pas les Français qui triomphent car bien peu d’entre eux savent de quoi il retourne. Ce n’est pas la France qui s’affirme même si l’apparence rend compte de cela. Ce n’est pas non plus un tambour de guerre ou un vertige à l’exportation, même si le Rafale est un avion de combat et qu’il pourrait désormais devenir le concurrent n°1 à l’exportation du fantôme du JSF proposé “sur étagère” d’une vitrine bouclée à double tour et dont personne, au Pentagone et chez Lockheed Martin, n’arrive à trouver la clef. C’est une conception du monde, structurante, affirmée sur la légitimité et la souveraineté, contre une autre conception du monde, déstructurante, nihiliste et totalement étrangère à un concept tel que “souveraineté”. (Demandez aux Britanniques ce qu’ils pensent du JSF.) Ainsi nos lecteurs comprendront-ils mieux notre intérêt pour cette “quincaillerie” et combien nous estimons avec la plus grande conviction possible que, derrière la “quincaillerie”, et selon ce qu’elle est, se cachent non pas des enjeux stratégiques guerriers mais des batailles qui concernent l’essence même de la crise de civilisation où nous sommes plongés.
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