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3532La France devait organiser un sommet de la Françafric début juillet à Montpellier. Le ban et l’arrière-cour des chefs d’État et de gouvernement africains avaient été sommés de participer à une grand messe au cours de laquelle l’ancienne puissance coloniale devait remettre de l’ordre dans ses anciennes possessions.
Macron les avait déjà convoqués à Pau en décembre 2019 avant que n’eût éclaté la crise covidienne pour les inviter à réprimer les sentiments anti-français parmi les populations sub-sahéliennes plus qu’excédées, révoltées contre les opérations militaires françaises dans la région. Toute la zone a été déstabilisée depuis la destruction de la Libye, menée par la France et le Royaume-Uni pour le compte de l’OTAN. La présence de l’armée française se fait sous couvert d’une lutte contre le terrorisme islamiste, qu’elle encourage, finance et conseille en fait en sous-main si l’on extrapole les activités contre-insurrectionnelles officiellement assumées par Paris en Syrie à cette partie de l’Afrique. Il est difficile d’interpréter autrement l’inefficacité de l’opération Serval, lancée dès janvier 2013, puis celle de Barkhane qui en a pris le relai en août 2014 contre des milices qui vivent de rançons extorquées à l’Occident et de trafics en tout genre.
Ulcérés d’un tel mépris envers les peuples représentés par ces dirigeants conviés pour se faire vertement réprimander, des personnalités africaines ont interpelé l’ONU et les organisations internationales des droits de l’homme pour que des mesures réelles soient prises afin de restaurer la paix et au Sahel et que soit relevée l’armée coloniale française, véritable force d’occupation.
La rencontre rituelle des ouailles africaines sous l’enseigne ‘Sommet Afrique-France’, toujours considérées comme espèce mineure, n’a pu se faire en 2020 en raison de l’épidémie due au Sars-Cov 2, elle ne fut que virtuelle. Celle de 2021, prévue pour juillet, déplacée de Bordeaux – de sinistre mémoire port important pour la traite des esclaves africains – à Montpellier, a été annulée-reportée pour des raisons de sécurité sanitaire (sic !).
Cette prudence dictée par les risques pandémiques n’a pas été avancée quand s’est tenu le 18 mai à Paris le sommet pour un ‘new deal’ (3) du développement en Afrique. Pour la première fois en cinquante ans, les pays africains connaissent une récession suite à la pandémie qui y a fait très peu de décès, – paradoxe non expliqué dans des zones de grande pauvreté. Les experts la chiffre à –2,1% en moyenne, elle est plus ou moins prononcée selon le pays en raison de l’effondrement du cours des matières premières qui épouse la courbe de la chute de l’activité économique mondiale, de l’arrêt quasi-total de l’économie informelle et du transfert de fonds de la diaspora.
Largement piégés par des dettes publiques libellées en devises alors que certains pays ont eu recours à des dévaluations, nombre de pays africains sont éligibles à un moratoire pour le paiement du service de la dette souscrite auprès des banques privées et des institutions internationales. La Chine serait le plus gros financier bilatéral, elle en détiendrait près de 20% selon une estimation de la Banque mondiale qui ne se fonde pas sur des données statistiques précises. Ces chiffres placent Pékin comme l’usurier principal, coupable des malheurs financiers du continent.
En réalité, l’Afrique est essentiellement débitrice vis-à-vis des banques privées occidentales (38%), des prêteurs multilatéraux (36%) et enfin des créanciers bilatéraux (26%) dont la Chine ne représente qu’une partie. Plus exactement, le sinologue Thierry Pairault est parvenu à calculer une fourchette entre 17% et 19% de dettes publiques à long terme. Quant à la narration du chiffre de 40% repris dans toute la presse française, elle a émané d’un chiffre annoncé par le Ministre des finances ghanéen, Président du Comité Banque Mondiale-FMI du développement.
Ces allégations largement relayées servent de manière cynique les intérêts des Occidentaux, gênés par la présence chinoise qui n’a pu se faire qu’en leur absence sur le terrain des investissements dans les infrastructures. Jusque-là, les pays européens et les Usa se sont contentés de piller des ressources, fomenter des conflits et vendre de l’armement. Une pression internationale a été organisée pour que la Chine efface ses créances alors que du même lieu ne s’est élevée aucune voix pour une injonction similaire vis-à-vis des banques privées occidentales.
Les USA, face à la même crise du Covid s’autofinancent à hauteur de 2 000 milliards de dollars. L’UE a dégagé dans un premier temps près de 750 milliards d’euros pour porter secours à leurs entreprises privées. La BCE avait déjà octroyé un prêt de 1 300 milliards aux banques européennes à un taux de –1% en juin 2020. L’Afrique, tout un continent, 55 pays et plus d’un milliard et 300 millions d’habitants aurait besoin de seulement 400 milliards de dollars pour financer sa reprise d’ici 2025 selon le FMI.
Un brin condescendant et paternaliste, le chef de l’exécutif français avait promis en avril 2020 qu’il effacerait la dette des pays de la zone CFA. Or depuis leur indépendance, ces pays sont entravés dans un système monétaire qui les contraint à déposer auprès du Trésor français 65% de leurs réserves en devises, ce qui place la France en position de débiteur. En parfait manipulateur, Macron évoquait en réalité une initiative internationale pour un moratoire, une simple suspension et non une annulation, qui concernait les pays les plus pauvres de la planète.
Ce nouveau chapitre d’aide au développement ressemble fort aux précédents. A sa rédaction, veillaient également des représentants de l’OMC, de la BM et du FMI, institutions aux mains des pays occidentaux, qui ont enfoncé les pays africains dans la dépendance et l’ont incarcéré dans le cycle infernal de l’endettement. Lorsque, avec grande bonté, elles accordent des prêts relai, c’est pour s’assurer du paiement des arriérés. L’immense mansuétude qui accompagne cette escroquerie consiste à exiger la privatisation des biens et des services publics et la domination des économies par des multinationales expertes en évasion fiscale. La Conférence des Nations Unies pour le Développement évalue à 60 milliards annuels, bien plus que le service de la dette africaine, le manque à gagner fiscal qu’elles détournent.
La quinzaine de chefs d’État venus à ce Sommet ont été servis, une belle farce leur fut offerte. En aucun cas la France ne renonce à ses créances de 14 milliards répartis sur 41 pays africains. Elle conditionne toujours le rééchelonnement ou une aide au développement – un prêt d’un taux inférieur à celui pratiqué sur le cours mondial même de peu est considéré comme une aide alors que les banques centrales sont en train de ravitailler le système à des taux négatifs – à l’accès privilégié des multinationales basées sur le territoire français aux ressources et au marché du pays.
Dépendance et appauvrissement sont alors garanties, consenties par des dirigeants corrompus et corrupteurs. Quel candidat à la présidence française ne fait-il pas sa tournée en période pré-électorale, sûr de revenir avec des valises de billets ? En contrepartie, l’armée coloniale française offre sa protection à vie au donateur.
Idriss Déby n’aurait pas tenu trente ans de règne sanguinaire sans l’aide militaire française. Macron en assistant à l’enterrement d’un dictateur exemplaire jusqu’à la caricature de la Françafric a surtout tenu à appuyer la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir, bafouant la souveraineté d’un pays et sa constitution. Celle-ci prévoit que c’est au Président de l’Assemblée nationale d’assurer l’intérim. Macron par sa présence à N’Djamena a validé le coup d’État dynastique, la Tchad est un véritable écrou pour le parrain français qui tient sous son feu toute la région sub sahélienne.
Le dispositif militaire au Mali cache mal l’objectif français, retrouver sa position perdue sur le continent. Le rapport d’un travail de plusieurs mois du Sénat en 2013 soulignait le recul de la France alors que Chinois, Turcs, Indiens, Brésiliens, Étasuniens et même les Marocains semblaient s’y avancer selon une stratégie méthodique. Dès la fin de la ‘Guerre Froide’, les anciens alliés anglo-saxons remettent en cause la liberté d’action de la France dans son pré carré. Les attentats de septembre 2001 ont été l’occasion pour les Usa, aidés par des ONG allemandes, de prendre pied sur le continent au prétexte d’une coopération militaire pour lutter contre le risque terroriste.
L’Afrique est convoitée par tous ces pays comme un facteur de croissance pour leur propre économie. La concurrence est rude. La Russie a pris pied en République centrafricaine. Elle a passé des accords militaires et économiques avec le Soudan qui n’ont pas été dénoncés après le renversement de Omar el Béchir. Sous la férule de Trump, les Usa ont obtenu que le gouvernement de transition de Khartoum établisse des relations diplomatiques avec l’entité sioniste. Ce fut le sésame pour ne plus figurer sur la liste des États terroristes interdits d’accès au marché financier international. (*)
En recevant avant la veille de l’ouverture du Sommet pour le développement économique de l’Afrique les dirigeants du Conseil de la transition soudanaise, Macron espère en évincer la Russie. L’aide s’est révélée être un prêt relai de 1,5 milliard parfaitement bien inséré dans la spirale de l’endettement sans cesse renouvelé qui permettra de payer les arriérés au FMI. Le Soudan, classé 170ème sur 189 pays selon l’indice de développement humain, est en cessation de paiement de sa dette depuis 1984. Il fait partie des 42 pays très pauvres surendettés dont 34 sont situés en Afrique sub-sahélienne. Le stock de sa dette s’élève à 15 milliards, mais additionné des pénalités, l’encours est de 60 milliards de dollars. Ainsi, l’effacement de la dette soudanaise par la France est une pure affabulation de la part des communicants de l’Élysée, répétée à l’envi par les médias aux ordres.
Felix Tshisekedi, Président de la République démocratique du Congo et Président en exercice de l’Union africaine avait été reçu à Paris fin avril en amont pour la préparation du Sommet du 18 mai. Sitôt rentré à Kinshasa, il convient avec le Président Xi Jinping de renforcer les liens entre leurs deux pays et de préparer le succès du prochain forum Chine-Afrique. La Chine a choisi d’annuler le terme échu pour l’année 2020 de la dette congolaise à son égard. Principal importateur du cobalt congolais, elle est un acteur économique prépondérant en RDC. Difficile pour la France de rivaliser avec elle.
Toutes les semaines, des manifestants réclament à N’Djamena que la France cesse son ingérence au Tchad. Pour que ce pays respire enfin, qu’il se libère du joug d’une coterie de militaires formés par et pour la France.
Cette mascarade du 18 mai a peu de chance d’aboutir au résultat escompté par le patronat français. En effet, la séance inaugurale des travaux a été menée par le MEDEF. Beaucoup d’acteurs mieux-disant ont investi la place. L’architecture complexe élaborée par le préposé aux ex-colonies Foccart est en train de lentement s’écrouler, les mercenaires djihadistes n’y changeront rien.
Une autre pièce importante se joue en Afrique, elle tient loin dans les coulisses la France. Elle met en scène une puissance impériale elle aussi devenue sénile – à l’image de l’hôte de la Maison Blanche – et la Chine devenue indélogeable car elle y a pris ses quartiers et mené une diplomatie du carnet de chèques et de construction des infrastructures depuis une vingtaine d’années. C’est une des résultantes de la politique néoconservatrice, centrée sur l’aide à Israël et la destruction des pays dans son entourage, l’aveuglement sur les avancées silencieuses, sûres et irréversibles de l’Empire dit du Milieu.
(*) Équivalence admise entre terrorisme et non-alignement ou refus de vassalisation vis-à-vis de l’entité étasuno-sionisme, sans aucune ambiguïté.