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2734On a vu l’ampleur colossale prise par la dénonciation de la Grande-Fraude par l’équipe Trump après le scrutin du 3 novembre, avec depuis certains avatars qui entourent l’initiatives d’interrogations et éventuellement de polémiques. La conférence de presse de l’équipe juridique de Trump, le 19 novembre, a été une illustration de cette situation qui tend, comme toutes choses dans cette situation crisique américaniste, à générer une certaine confusion. D’une façon générale, l’accueil a été plutôt mitigé, certains jugeant que la conférence de presse « était longue en rhétorique et courte en preuves concrètes ».
La citation ci-dessus est extraite d’un article de Jonathan Turley, avocat et légiste réputés, et son article consacré au litige existant de facto, depuis cette conférence de presse, entre l’équipe Trump et les sociétés mises en cause pour leur comptage, notamment la société Dominion. Le site de Turley est l’une des meilleures sources possibles, hors des réseaux spécialisés, pour fixer nos idées sur la question envisagée ici, et, d’une façon générale, sur toutes les affaires légales qui accompagnent cette élection, et qui sont légion.
Turley partage d’une certaine façon la position de Tucker Carlson, qui a soulevé tant de réactions jusqu’à des accusations contre Carlson, selon l’idée qu’il suivrait la ligne de FoxNews et trahirait le camp Trump. Cette position de Turley est effectivement qu’il y a beaucoup d’énormes accusations de la part de l’équipe Trump et, jusqu’ici, bien peu de preuves. Le 19 novembre, le jour du procès, Turley publiait l’article que nous reprenons ci-dessous, sur l’aspect légal du processus à cause de la conférence de presse. Il y a l’idée que l’équipe Trump pourrait être forcée de montrer ses preuves si la société Dominion, qui pourrait à juste titre s’estimer diffamée s’il n’y a pas de faute de sa part, portait plainte contre l’équipe Trump pour ce qui a été dit lors de la conférence de presse.
Turley explique le cas, sur son site où il met l’article en ligne le 19 novembre 2020 :
« La conférence de presse tenue par l'équipe juridique de Trump n’était pas faites pour les handicapés cardiaques. L’équipe a allégué l’argument d’une conspiration mondiale soutenue par les communistes pour “interférer” et “changer” les votes par l'utilisation du système informatique du Dominion. C’était épuisant et époustouflant. Ma critique de cette conférence de presse porte sur le fait qu’elle était longue en rhétorique et courte en preuves concrètes. Dominion a publié une déclaration niant catégoriquement les allégations. La question est alors de savoir si Dominion va elle-même intenter un procès. La société a nié les allégations, mais je mesure souvent la pertinence de ces dénégations à l’aune des poursuites engagées. Dominion pourrait le faire et forcer l’équipe Trump à révéler les preuves à l’appui de ses allégations, sous peine d’être confrontée à une responsabilité potentiellement importante. Je suppose que des avocats comme Sidney Powell ne feraient pas de telles allégations sans preuves, mais la conférence de presse n’a pas rendu ces preuves publiques. Il ne s’agit pas seulement d’allégations tonitruantes, mais aussi d’allégations criminelles contre des entreprises nommées et, par conséquent, contre des responsables d'entreprises et leurs alliés politiques.
» L’équipe de campagne de Trump a accusé à plusieurs reprises Dominion et ses dirigeants et employés de conduite criminelle et d'irrégularités commerciales. Il s’agit là de catégories de “diffamation en soi” selon le droit commun. Aucun dommage particulier ne doit être démontré dans ces cas per se. Les personnes concernées peuvent déposer des plaintes en diffamation à titre individuel et l’entreprise elle-même peut intenter une action en diffamation commerciale.
» Les entreprises peuvent être diffamées comme les particuliers si la fausse déclaration porte atteinte au caractère commercial de la société ou à son prestige et à sa position dans le domaine. Dans l'affaire Dun & Bradstreet, Inc. contre Greenmoss Builders, Inc. 472 U.S. 749 (1985), la Cour Suprême a autorisé une entreprise à poursuivre une agence d’évaluation du crédit pour diffamation lorsque l’agence a déclaré par erreur que l’entreprise avait déposé son bilan.
» Restatement Second § 561 Defamation of Corporations établit ceci :
» “Celui qui publie des informations diffamatoires concernant une société est responsable envers elle
» a) si la société est une société à but lucratif et que l’affirmation à son encontre tend à lui porter préjudice dans la conduite de ses affaires ou à dissuader d'autres personnes de traiter avec elle,
» (b) ou si, bien qu’elle ne soit pas à but lucratif, elle dépend du soutien financier du public et que l’affirmation à son encontre tend à interférer dans ses activités en lui portant préjudice dans l'estimation du public”.
» Dominion semble être une société dont le siège social se trouve au Colorado.
» Il pourrait y avoir des poursuites au Colorado ou sur le lieu de la diffamation présumée. Le procès serait probablement intenté en vertu du droit de l’État, mais il serait porté devant un tribunal fédéral en vertu des arguments de la compétence en matière de diversité.
» La conférence de presse a été une explosion de demandes potentiellement diffamatoires de la part d’individus ou d’entreprises. La seule défense claire est la vérité. L’équipe Trump insiste sur le fait qu’elle peut prouver ces allégations. Il se peut qu’elle doive le faire. Non seulement les avocats individuels peuvent faire face à de telles poursuites, mais l’équipe Trump elle-même pourrait être tenue pour responsable en vertu du principe respondeat superior, selon lequel un employeur est responsable de la conduite de ses employés lorsqu'ils agissent dans le cadre de leur emploi. Ironiquement, le terme latin signifie “laisser parler le maître”. Le président ou son équipe pourraient être contraints de prendre la parole dans une affaire de diffamation s’ils ne se sont pas exprimés dans les dossiers judiciaires qu’ils annoncent.
» Il y a une question de privilège pour les plaintes en justice. Il existe un privilège absolu pour les avocats qui font des déclarations au tribunal. C'est important car nous formulons souvent des allégations qui mettent en doute la véracité ou le caractère des parties, en particulier dans les affaires pénales. Toutefois, ce privilège est plus limité en dehors des tribunaux. Il peut toujours s'appliquer, mais certains tribunaux ont refusé de protéger les déclarations faites à la presse ou au public. ‘World Wresting Fed Entertainment, Inc v Bozell’, 142 F Supp 2d 514, 534 (SDNY 2001) ;‘Kennedy v Cannon’, 229 Md 92, 97, 182 A2d 54, 58 (1962). »
» En d’autres termes, si l’équipe Trump ne présente pas cette preuve dans sa contestation de l’élection, elle pourrait maintenant être obligée de la produire dans une affaire portée par Dominion ou ses dirigeants et employés. »
Turley est très certainement un observateur impartial dans cet affrontement, outre d’être un très grand légiste et parce qu’il est un très grand légiste. Il se place essentiellement sinon exclusivement du point de vue du droit, sans chercher à favoriser l’un ou l’autre pour des raisons politiques et partisanes. Certaines remarques prennent alors une résonnance très particulière, notamment celles qui disent successivement :
• il est certain que l’équipe Trump accuse Dominion de fraude massive pour une entreprise considérable de prise de contrôle des USA par un pouvoir globaliste et communiste ;
• Dominion a immédiatement réagi en déniant toute activité de ce genre ;
• pour Turley, il y a indéniablement diffamation s’il est avéré qu’il n’y a pas de culpabilité de Dominion, et il y aurait donc certainement un procès si Dominion portait plainte ;
• Turley précise bien qu’une déclaration publique (un communiqué dans ce cas) démentant catégoriquement que Dominion ait une activité de cette sorte n’a de crédit que si elle est suivie d’une plainte (« La société a nié les allégations, mais je mesure souvent la pertinence de ces dénégations à l’aune des poursuites engagées »).
... C’est-à-dire que si Dominion ne réagit pas, on serait fondé d’estimer que la société tend à reconnaître la validité des accusations, – cela sonnerait presque comme une des “preuves irréfutables” dont l’équipe Trump prétend disposer et que tout le monde réclame de voir, bien que cela n’en soit point une. En même temps, Dominion, qui ne s’est donc pas manifestée depuis jeudi, s’est signalée par contre par une décision qui tendrait plutôt à renforcer un jugement soupçonneux à son encontre :
« D’un autre côté, et dans le sens de Powell et de ses preuves, on peut observer que les représentants de la société Dominion Voting System, mise en cause par Powell pour la Grande-Fraude, ont annulé abruptement leur venue à une conférence convoquée par la législature de Pennsylvanie pour débattre des problèmes de comptage et de contrôle des votes et assurer le monde de leur vertu dans cette affaire. Cela ne plaide pas pour cette vertu et laisse de la place pour du soupçon. Le président de la Chambre du Congrès de Pennsylvanie a commenté que les 1,3 million de Pennsylvaniens qui votent grâce aux machines de Dominion ont été « brutalement agressés et giflés » par cette décision. »
D’un autre côté, on est fondé à s’interroger pour déterminer si ces avocats si fameux et ayant une expérience aussi considérable que ceux de l’équipe Trump ont pris sans précaution le risque du procès en diffamation. Eux aussi connaissent le droit, et les dispositions que Turley met en évidence. Turley lui-même remarque la chose, après qu’elle ait été mise en évidence par Powell elle-même au cours de diverses interventions : « Je suppose que des avocats comme Sidney Powell ne feraient pas de telles allégations sans preuves... »
Comme l’on voit, on se trouve dans la finasserie, la manœuvre et l’extrême complication, et dans une très grande difficulté pour trancher alors que les deux parties se trouvent devant des possibilités très graves de processus particulièrement infamants, en même temps que le sort de l’élection du présdident. Il apparaît peu ordinaire qu’une bataille juridique, avec toutes ses péripéties, ses arguties, ses événements dont nombre sont souvent dérisoires et de pure forme, se fasse entre un président en activité et des institutions ayant dépouillé des votes, sur le motif principal argumenté de l’“organisation d’une conspiration globaliste et communiste” pour prendre le pouvoir aux USA. Il apparaît assez original et inhabituel qu’on puisse plaider autour de cette idée d’une organisation indirecte d’une conspiration de cette sorte, c’est-à-dire soumettre les événements possibles les plus importants qu’on puisse imaginer dans l’histoire du monde aujourd’hui au niveau d’une plaidoirie et d’un débat tatillon et procédurier d’une cour de justice... Mais bien sûr, il s’agit des USA et, au bout du compte (c’est le but de l’équipe Trump d’en arriver là), de la Cour Suprême, qui est un organisme chargé de toute la pompe et des circonstances qu’on imagine jusqu’à y voir, pour certaines imaginations échauffées, une sorte d’émanation divine dont seule bénéficie la Grande République.
C’est dans cette perspective que les événements aux USA restent marqués d’une touche de fantaisie, presque de téléréalité si l’on veut lorsqu’on parle de Trump, et effectivement que seul un Trump et les réactions qu’il déclenche peuvent donner ; des événements qui restent en tout état de cause et malgré leur implication et responsabilité dans cet état de chose, assez incompréhensibles pour ses adversaires comme pour ses partenaires dans les institutions de direction politique.
Mis en ligne le 22 novembre 2020 à 15H15