RapSit-USA2020 : “Guerre des races” ?

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RapSit-USA2020 : “Guerre des races” ?

La citation, remaniée en un “La guerre des classes disparaît au profit de la guerre des races”, a provoqué des cahots dans le monde de la communication politique et médiatique parisien. Elle est de Manuel Valls, qui termine  son interview à Valeurs Actuelles par le constat louable : « Quoi qu'il arrive, je contribuerai à ma manière au débat. Je le fais aujourd'hui avec vous. Ce qui ne manquera pas de provoquer… du débat ». Quoi qu’il en soit, la citation exacte dit :

« La lutte des classes disparaît au profit de l'affrontement, de la guerre entre “races”. Cette guerre est terrible, car elle essentialise en fonction de la couleur de peau. Elle s’agrège mais elle est aussi en concurrence avec l’islam politique. C’est un cocktail explosif. »

Même si effectivement française, la chose et la polémique pourraient servir aussi bien sinon bien plus pour les USA, où le concept de “race” est utilisé de façon systématique, politiquement, culturellement, démographiquement, etc. Sur ce terrain et dans cette voie catastrophique, dans tous les cas, il nous semble que les USA sont notablement plus avancés que la France (d’ailleurs, c’est un refrain implicite obsédant de l’interview de Valls), évidemment d’une façon aigue et explosive dans ce temps de Grande Crise.

On choisira divers exemples qui nous paraissent significatifs, essentiellement du durcissement des Noirs (de la communauté africaine-américaine) au travers de personnalités de haut rang dans leurs domaines, donc qu’on pourrait désigner comme des exemples d’intégration, – mais intégration dans quoi, d’ailleurs ? Dans l’establishment ? C’est-à-dire dans le Système, sans aucun doute : alors, l’intégration est bien fragile et relève du simulacre...

Un premier exemple nous est donné par le colonel Lang, personnage honorable à l’intérieur du système de l’américanisme, avec assez d’indépendance pour distinguer nombre de tares de ce système, sans aucun doute étranger au racisme, ne craignant pas d’affirmer ses opinions même si elles risquent de choquer. Dans un très court billet  du 17 juin, Lang présente une interview du Représentant de la Caroline du Sud  Jim Clyburn, le plus puissant des parlementaires Africains-Américains au Congrès, et d’une très grande influence dans sa communauté. On peut bien entendu écouter l’interview mais elle est dite (notamment par Clyburn) dans un anglo-américain assez difficile à comprendre : « Regardez l’interview en cliquant sur[ce lien]. Elle a eu lieu hier soir dans le cadre de [l’émission de Fox.News] Special Report » (Lang)

Finalement, le résumé assez leste qu’en fait Lang, dans son langage coutumier, est très largement suffisant pour comprendre l’essence de la chose :

« J’avais une grande estime pour Clyburn, mais plus après la nuit dernière. La vérité sous-jacente de son intervention est que “la campagne de Joe Biden était morte jusqu’à ce que je lui apporte le vote noir de la Caroline du Sud et lui fasse gagner les primaires.  Joe ne peut pas gagner la présidence sans un soutien massif des Noirs. Je suis le seul à pouvoir lui apporter ce vote. Le bilan de Joe en ce qui concerne les Noirs est médiocre malgré toutes les salades qu’il débite. Sans moi, il n’est rien. Avec moi, il est tout. Quand il sera président, il fera ce que je lui dirai et alors nos griefs remontant à la colonisation seront expiés par vous, les Blancs.”
» Il suffit de regarder Clyburn pendant l’interview.  Regardez son hostilité envers[l’intervieweur blanc] Baier.
» Clyburn se décrivait comme un Gentleman du Sud.  C'était à l'époque.  Aujourd’hui, c’est une autre époque. »

Si l’on tient compte de la retenue et du contrôle de soi, voire de leur “sagesse” pourrait-on dire des personnages impliqués, on mesure le degré d’agressivité raciale, presque guerrière effectivcement, qui est en train, non seulement de s’établir au grand jour, mais de grandir.

L’hostilité des Noirs pour la gauche

Mais un point capital émerge de plus en plus de l’évolution des positions aux USA, bien loin désormais du seul problème des violences policières qui continue à être le problème central du débat (?) français. C’est ce qui paraîtra à certains comme un paradoxe, et qui se marque de plus en plus : une méfiance, une distance, voire une hostilité grandissante des Noirs occupant eux aussi des “degrés” important (pour parler comme un Franc-Maçon) dans le Système, pour leurs “alliés” de la gauche, les “libéraux [progressistes-sociétaux] blancs”.

Voici, dans ce sens, des extraits d’un texte de Slavoj Zizek du  15 juin 2020 : « Quant aux protestations antiracistes, voici comment [le metteur en scène]Spike Lee a répondu à la question “Pourquoi huit ans d'Obama n’ont-ils pas réussi à apporter des changements suffisamment substantiels aux relations raciales aux Etats-Unis ?” — “Très bonne question. Mais vous devez comprendre : les relations entre les races, – qui se sont détériorées, – sont une réponse directe à l'existence d'un président noir”. Pourquoi ? Non pas parce qu’Obama n'était “pas assez noir”, mais parce qu'il incarnait l’image d’un Noir américain prôné par la gauche progressiste, un Noir américain qui a réussi tout en respectant pleinement les règles du jeu progressiste. Les protestations de rue sont une réponse brutale à la question “Maintenant que vous avez un président noir, que voulez-vous de plus ? Il nous appartient de substantiver ce ‘plus’”. Il suffit de se rappeler que, pendant les huit années de la présidence d'Obama, la tendance générale des dernières décennies s'est poursuivie sans heurts : le fossé entre les riches et les pauvres s'est creusé, le grand capital s'est renforcé. Dans l'un des épisodes de ‘The Good Fight’, qui fait suite à la série ‘The Good Wife’, l'héroïne se réveille dans une réalité alternative dans laquelle Hillary Clinton a remporté l’élection de 2016, en battant Trump. Mais le résultat est paradoxal pour le féminisme : il n'y a pas de ‘#MeToo’, il n’y a pas de grandes protestations contre Weinstein parce que les féministes de l’establishment modéré de gauche craignent qu’avec une protestation trop forte contre le harcèlement des femmes par les hommes, Clinton perde les votes des hommes et ne soit pas réélue, et d’autre part l’on sait bien que Harvey Weinstein est un gros donateur de la campagne de Clinton, alors... Quelque chose de similaire n'est-il pas arrivé avec Obama ?
» Il ne s'agit pas seulement (ou surtout) de donner aux Noirs un soutien financier plus important pour les aider dans leur situation économique. Il y a un détail merveilleux dans le film ‘Malcolm X’ de Spike Lee : après que Malcolm ait fait un discours dans un collège, une étudiante blanche s’approche de lui et lui demande ce qu’elle peut faire pour la lutte des Noirs pour leur libération. Il lui répond froidement : “Rien”, et puis il s’en va... Lorsque j’ai utilisé cet exemple il y a des décennies, on m’a reproché de laisser entendre que nous, les Blancs, ne devrions rien faire pour soutenir la lutte des Noirs ; mais mon point de vue (et, je pense, celui de Malcolm) était plus précis. Les progressistes blancs ne devraient pas agir comme s'ils allaient libérer les Noirs, ils devraient soutenir les Noirs dans leur propre lutte pour la libération, – en les traitant comme des agents autonomes, et non comme de simples victimes des circonstances. »

Ce sentiment est loin d’être rare chez les Noirs “avancés” (c’est-à-dire “intégrés” dans des fonctions hautes), et il les distancie d’une certaine façon de l’agressivité d’un Clyburn. Il ne s’agit pas tant de “faire payer” les Blancs que de se débarrasser de l’ultime tutelle blanche, la sorte très étonnante de l’“esclavage infiniment doux” de la gauche progressiste-sociétale blanche qui se polit une hyper-bonne conscience en prenant les Noirs par la main pour leur montrer le chemin de la libération des griffes des méchants “Blancs-racistes” du KuKluxKlan, “deplorables” et “petits Blancs” à chier, honnis par cette grande dame d’Hillary Clinton.

On a vu ça, notamment avec des remarques de  Van Jones (« Ce n'est pas le blanc raciste du Ku Klux Klan qu’il faut craindre. C'est la partisane blanche et progressiste d’Hillary Clinton qui promène son chien dans Central Park... »). Il y a aussi un vrai guerrier, le vieux professeur Cornell West, ami intime d’Obama avant son élection devenu son ennemi ultime parce qu’il a vu son jeune élève sombrer dans la corruption du Système ; comme disait West dans  une interview au début de la Grande-Emeute2020 : « L’Amérique est une expérience sociale ratée, l'aile néolibérale[sociétale-progressiste] du parti démocratique doit être combattue. »

#MeToo antiSystème grâce à RT

Mais l’interprétation, le décryptage de la situation US qui conditionne l’évolution de nos sociétés et de notre civilisation du bloc-BAO, se compliquent encore plus lorsqu’on se trouve devant un épisode comme celui qui concerne l’actrice Rose McGowan, grande héroïne du mouvement #MeToo et donc féministe enragée, de la sorte que le parti démocrate, Hillary en tête, ne cesse d’aduler en assimilant bien entendu son combat à celui des Noirs, au bénéfice électoral du parti démocrate. 

... Mais les choses n’en sont plus là, et voici que McGowan, activiste et révolutionnaire soutenant la Grande-Emeute2020, s’affirme complètement en rupture de parti démocrate ; elle met Obama au même niveau que Trump et les autres démocrates un peu plus bas ; elle parle “fièrement” dans les colonnes de RT.com, le réseau russe dénoncé par l’establishmentde sécurité nationale et la presseSystème comme la subversion poutinienne par essence, organisatrice du Russiagate qui eut la peau de la vertueuse Hillary...

« Autrefois fière d'être démocrate, McGowan a fait la une des journaux ce printemps lorsqu'elle a tweeté sa déception face à la politique partisane US, affirmant qu’il n’y avait pas beaucoup de différence entre les élites des deux camps politiques.
» Elle a réitéré cette frustration, – qui fait suite aux allégations d'agression sexuelle contre Joe Biden, – sur les antennes de RT, insistant sur le fait que “les leaders de la secte américaine”, qu'il s'agisse du républicain Trump ou du démocrate Obama, sont “tous les mêmes dans cette structure-culte”.
» L’actrice, qui donné son impulsion au mouvement ‘#MeToo’, a à nouveau dénoncé le parti démocrate, l’accusant de tenter de détourner le mouvement de protestation antiraciste en cours. “Les démocrates détournent toutes les contestations à leur profit, c’est leur truc”.
» McGowan a fait parler d’elle ces derniers jours, avec un commentaire se référant au jugement du Département de la Sécurité Intérieure (DHS), qui qualifie de “mauvais acteurs” ceux qui acceptent de parler sur RT, pour critiquer les Etats-Unis comme “hypocrites, corrompus, antidémocratiques, racistes, coupables de violations des droits de l'homme et sur le point de s'effondrer”. 
» “Fière d'être l’une des ‘mauvais acteurs’ de RT”, a-t-elle tweeté, avec une capture d’écran d’un titre sur le mémo du DHS. Puis, parlant lors de l’émission Going Underground de RT, McGowan a fait valoir que plus de la moitié des gens sur la planète “pensent que les États-Unis sont tels qu’ils sont représentés par RT et d'autres utilisateurs de “mauvais acteurs”. »

... Et ainsi apparaissent la fragilité des choses, l’extrême vulnérabilité des simulacres auxquels le Système est aujourd’hui contraint, pour l’instant par démocrates interposés. Issue sinon initiatrice du mouvement #MeTooaussitôt détourné pour entrer dans le flux LGTBQ dont le Système use pour déstructurer tout ce qui est harmonie et stabilité traditionnelles pouvant faire fonction d’antiSystème, McGowan se révolte devant ce qu’elle découvre de la turpitude de ceux qui manipulent les simulacres. Elle le fait en soutenant haut et fort la contestation africaine-américaine, – « Nous avons besoin d’une révolution, nous l’avons », – à partir du réseau russe le plus populaire et le plus efficace, si souvent dénoncé par la presseSystème-bouffe pour avoir fabriqué l’énorme simulacre-bouffe du Russiagate ; c’est-à-dire, pour McGowan, à partir d’une position qui l’apparente au moins tactiquement à l’antiSystème.

L’épisode, qui s’inscrit dans le tourbillon crisique de la Grande Crise, section-culture sociétale, accompagne l’évolution des Africains-Américains dont on a vu combien elle change à la vitesse de l’éclair en modifiant ses points de vue. D’abord présentée par le parti démocrate, meilleur fantassin du Système, comme un moyen de réformer triomphalement le système de l’américanisme, elle évolue agressivement vers des affirmations guerrières arrogantes qui restent en partie tributaires du Système d’une part ; d’autre part vers des affirmations radicales d’indépendance, directement antagonistes de la gauche progressiste-sociétale blanche peinturlurée de noir, et dans ce cas évolution clairement antagoniste du Système comme le furent Malcolm X et King (ce dernier dans son évolution des derniers mois avant son assassinat).

On admettra que tout cela est d’une considérable complexité mais qu’au bout du compte et après bien des tournants, la plupart sinon tous les chemins mènent à l’antiSystème.

 

Mis en ligne le 18 juin 2020 à 15H45