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3770Pour suivre la situation aux USA depuis la mort de la Juge Ruth Bader Ginsberg à la Cour Suprême, il faut suivre le sénateur républicain Lindsey Graham, président de la Commission des affaires judiciaires du Sénat. C’est cette Commission qui dirigera les opérations pour l’audition ultra-rapide de la personne (quasiment assurée qu’il s’agira d’une femme) choisie par Trump, pour confirmer la nomination avant l’élection du 3 novembre. Qui plus est, Graham s’est lancé à fond dans cette opération, malgré son avis de 2016 où il disait qu’il fallait s’abstenir de désigner un Juge en cas de vacances (décès d’un des membres de la Cour) durant une année d’élection présidentielle.
Entretemps, on a eu l’épisode d’une autre nomination par Trump, le juge Kavanaugh, au cours duquel Graham a pu apprécier le comportement des démocrates, suivies par des manœuvres qu’il a estimées méchantes et vicieuses. Graham a donc réagi à la situation actuelle par tweet, confirmant un changement de position qu’il avait déjà annoncé : « Je maintiens ce que j’ai dit en janvier 2019 : Harry Reid & Chuck Schumer ont changé les règles du Sénat pour essayer de remplir les tribunaux de juges de paille d’Obama. Aujourd’hui, les conséquences de cet acte détestable leur revient comme un coup de fouet en retour, comme je l’avais prédit. Je suis fermement décidé à confirmer le candidat du président Trump. »
C’est un Graham toujours animé de sa sainte fureur qui revient donc sur le devant de la scène pour ce coup de théâtre spectaculaire imposé par le destin et une ‘October Surprise’ de campagne un peu avant l’heure, qu’est l’événement de la mort de la Juge Ginsberg. C’est ce qu’indique le site RedState.com, qui est dans les petits papiers de la campagne Trump et de la machine républicaine :
« Lindsey Graham en mode 2.0 est de retour. Aucun compromis n’est envisageable. C’est le Lindsey prêt à la castagne.
» Vous vous souvenez peut-être de la fureur de Graham, déclenchée par ce que les démocrates ont fait en essayant de salir le juge Brett Kavanaugh... ? »
Nous avions signalé en son temps la “sainte-fureur” de Lindsey Graham lors des auditions du juge Kavanaugh, du fait du comportement des démocrates. PhG lui-même en avait été impressionné, lui qui ne portait guère d’estime à Graham, fauteur de guerre patenté, surtout avec John McCain jusqu’à la mort de ce dernier. On peut y revenir avec quelques lignes extraites de son texte du 28 septembre 2018, en songeant que la haine extraordinaire qui marquait déjà le climat politique de “D.C.-la-folle” a décuplé si c’est possible.
« ...Et c’est à la suite de l’intervention [du sénateur démocrate] Durbin que l’on vit Graham entrer en scène : pendant autour de quatre minutes, Graham, au comble de la fureur, a reproché avec une justesse infaillible et des mots tonnés comme un Bossuet en chaire, leur comportement aux sénateurs démocrates, comme “le plus anti-éthique, le plus scandaleux que j’ai rencontré depuis que je suis en politique”. Quelques heures plus tard, sur FoxNews, il dira que ce fut “l’un des plus grands moments de [sa] carrière”. [...]
» Voici donc les termes du problème : Graham le hurleur de guerre, le neocon parfumé, le double et le jumeau de McCain, l’homme dont les fissures de l’âme permettent au Mal de l’investir, cet homme en cet instant renverse complètement notre jugement si l’on veut juger loyalement et justement. Sans qu’il réalise précisément le terme du raisonnement, il nous dit la vérité qui est aussi, si l’on accepte toutes les implications du cas, la vérité du système de l’américanisme. Ainsi doit-on conclure que cet homme, qui a si complètement le Mal en lui lorsqu’il pousse aux guerres les plus affreuses et les plus honteuses, en cet instant écarte “le Mal qui est en lui” et, par conséquent, il ne peut en aucun cas être apprécié comme “mauvais en soi”. [...]
» Aussitôt je pense à la formule de Plotin qui revient si souvent sous ma plume... [...]
» “... Mais les autres, ceux qui participeraient de lui [du mal] et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi”. »
Graham a signalé que le sénateur McConnell, le président de la majorité démocrate au Sénat, avait d’ores et déjà, avec son aide essentiellement, verrouillé les voix nécessaires pour voter la confirmation du (de la) nouveau (elle) Juge. Normalement, Trump devrait donc avoir le troisième Juge de son mandat, quoi qu’il arrive le 3 novembre ; mais certes, “normalement” à ‘D.C.-la-folle’ constitue une hypothèse fort audacieuse.
Dans tous les cas, on devrait voir Graham s’agiter notablement au Sénat, dans les jours qui viennent, parce qu’il jouera un rôle central dans le processus. D’ores et déjà, le sénateur est la cible de la gauche démocrate et assimilés sinon manipulateurs, comme le montre cette aimable démonstration lundi matin, très tôt, devant la maison qu’il occupe et où il ne se trouvait pas. On retrouve par conséquent Graham dans son rôle le plus attachant, à mille lieux de celui de fauteur de guerre qu’il tenait au côté de McCain.
On insistera sur cette situation, qui est parfaitement symbolique de la posture américaniste aujourd’hui, – cela pour ceux qui s’interrogent sur la politique extérieure des USA avec des raisonnements géopolitiques rationnels. Les USA, aujourd’hui, ne sont en rien du tout, strictement en rien intéressés par tout ce qui se passe hors de chez eux. La conséquence est qu’il n’y a pas de politique extérieure des USA aujourd’hui, sinon celle qui continue sur son aire, avec ses sanctions, ses bases militaires à près ou plus d’un millier d’exemplaires de par le monde, ses incursions illégales dans autant de pays et ainsi de suite. Les USA sont désormais bien ancrés dans leur tempête intérieure, leur super-cyclone dont le monde n’a en général pas l’air de s’aviser puisque l’on continue paisiblement à discuter des sondages et de la coupe de cheveux de Trump.
En général les commentaires mettent en évidence combien la nomination d’un troisième Juge constituerait un atout (*) considérable pour le président Trump. Certains commentaires sont même dithyrambiques à un point où l’on se demande si c’est pour nous faire nous réjouir ou nous faire très peur.
Selon The National Interest repris par The Moon of Alabama (traduit par Le Sakerfrancophone) :
« Le fait est que la possibilité de faire siéger un troisième juge représente une opportunité politique monumentale pour le président Trump. Il entrera dans l'histoire comme l'un des présidents les plus importants, qu'il remporte ou non un second mandat. Le dernier président républicain à avoir installé trois juges lors de son premier mandat a été Richard M. Nixon. Un candidat probable choisi par Trump serait Amy Coney Barrett, de Notre Dame, que Trump avait déjà envisagé auparavant.
» Trump aura l'occasion de sceller définitivement la défaite de l'ère libérale qui a commencé avec l'administration Roosevelt et a duré jusqu’à l'administration Obama. Un sixième juge républicain à la Cour Suprême garantirait que tout programme libéral de grande envergure auquel souscrirait un président Joe Biden ou tout autre président démocrate serait condamné au cimetière de l'histoire avant même d'avoir l'occasion d’être mis en place.
Il y a longtemps que l’ère ‘libérale’ (progressiste) de FDR est finie, notamment avec les rouleaux-compresseurs à cet égard que furent les époques nixonienne et reaganienne. Par ailleurs, et alors que la Cour Suprême ne cesse d’être de plus en plus conservatrice, il se trouve que les événements intérieurs n’ont jamais été autant “de gauche”, progressistes-sociétaux, voire anarchistes, socialistes et marxistes-culturels, et dans quel désordre ! Avec quelles perspectives, comprises celles d’une guerre civile ou d’une désintégration des USA ! Les deux premiers Supremes nommés par Trump n’ont pas changé grand’chose à la tendance, certains votes ayant même vu des Juges conservateurs prendre une position de gauche.
C’est dire que la Cour Suprême, loin d’être cet organe installé dans une sorte d’Olympe baptisé The Law (sous-titre : ‘La Constitution’), au-dessus des passions, des influences et des pressions des organes et des courants établis à cette intention, de lobby aux opinions publiques, et dirigeant et réglant le tout, est au contraire sensible comme les autres organes de direction aux influences des forces dominantes dans “l’air du temps” et selon les caprices de la communication omniprésente et omnipotente. Par exemple, en pleine période soi-disant ‘progressiste’, la Cour Suprême n’a jamais rien fait de bien courageux et d’efficace contre le McCarthysme, déjà en mode-turbo avant même l’intervention du sénateur McCarthy en 1950 ; elle s’en est lavé les mains...
La Cour sanctionne les tendances d’influence de décrets solennels, elle ne les bloque jamais ni ne les contredit, et d’une façon générale elle ne les suscite pas. La Cour et son aura d’autorité suprême font partie du mythe de l’américanisme et de l’American Dream, dont on sait qu’il ne reste plus grand’chose ; cette partie du mythe est une survivance, mais mythe plus que jamais... . La corruption psychologique (américanisme, Corporate Power) chez les Supremes est au moins aussi forte que chez les parlementaires du Congrès ou chez les experts de sécurité nationale.
Dans ces conditions, que disons-nous de cette très probable victoire de Trump, avec la très probable nomination d’un troisième Juge ? Pour le positif, elle contribue à renforcer sa légitimité formelle, ce qui sera un atout (‘A trump’) en cas de réélection, mais nullement décisif, ni, encore moins, un outil de blocage impératif.
Les facteurs négatifs éventuels sont plus nombreux et fournis, mais pas seulement pour Trump (réélection ou pas), – en fait pour la situation américaniste dans son ensemble. Voyons nos hypothèses, évidemment pessimistes comme c’est notre spécialité :
• La première remarque est que cette ‘victoire’ de Trump peut être considérée, dans un contexte plus général, objectivement comme un facteur d’aggravation de la situation . Il l’est par sa simple mécanique (nous voulons dire qu’il l’est à partir du moment où il existe, à partir du moment où Ginsberg meurt, quelle que soit la personne qui lui succède et quel que soit le moment de la succession). Par conséquent et effectivement, ce qui importe et aggrave la situation en aggravant la concurrence entre les deux factions, en donnant un nouveau motif d’antagonisme, en ouvrant un nouveau ‘front’, c’est tout simplement la mort de Ginsberg. L'événement attire l’attention sur la Cour Suprême dans une mesure extrêmement pressante et d’extrême tension comme tout aujourd’hui à ‘D.C.-la-folle’, en fait un objet de débat et d’affrontement, et attise la gravité de la situation
• La deuxième remarque découle de la précédente. Entrant obligatoirement dans l’arène de l’affrontement, la Cour ne va pas être une seule seconde le matador qui dompte le taureau, mais un chiffon rouge de plus pour attiser et aggraver sa fureur. (Le bison furieux étant le symbole de la crise intérieure des USA.) Désormais, tous les instruments du pouvoir central de l’américanisme, et symboliquement le plus haut, ‘le plus suprême’, sont des enjeux de la GC4G en cours. Il n’y a plus rien désormais de sacré dans le pouvoir américaniste, – même s’il ne s’agit que d’un sacré d’apparence, un simulacre de sacré.
Ainsi atteignons-nous la sacralité de la chose, pour nous apercevoir qu’il s’agit d’une sacralité-bidon. Le simulacre est bouclé.
Mis en ligne le 23 septembre 2020 à 11H00
(*) Effectivement, nous venons de nous aviser que ‘atout’ se dit ‘trump’ en anglais. Il nous en faut, du temps ! (C’est le grand âge.) Nous célébrons cela et sacrifions à un de nos petits travers avec un jeu de mots polyglotte.