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3466Brusquement, le brouillard du brouhaha extraordinaire des deux dernières semaines semble laisser percer une perspective qui prendrait en compte tout ce qui s’est passé depuis le 3 novembre. On ignore si elle est décisive ; on ignore même si elle est à l’avantage de l’un ou de l’autre ; mais elle est là et bien là. Bien entendu, le camp trumpiste affirme que c’est une percée certaine (et non possible) vers la victoire, malgré le handicap de la nouvelle que le chef de l’équipe d’avocats, Rudy Giuliani, a été testé Covid-positif et aussitôt hospitalisé pour que la maladie soit traitée et terrassée le plus vite possible (un peu à la manière de Trump).
Il y a eu et continuent à y avoir amoncellement formidable de cas de plaintes, de témoignages, d’auditions, de jugements, d’appels, essentiellement dans les six États dits-battlefield states, réputés depuis toujours comme très disputés et effectivement avec des résultats très serrés dans cette élection (Arizona, Géorgie, Michigan, Nevada, Pennsylvanie, Wisconsin). Mais deux décisions ont brusquement émergées hier, qui ouvrent effectivement cette perspective d’une évolution importante de la situation :
• La décision du Juge de la Cour Suprême Samuel Alito d’avancer d’un jour (demain au lieu de mercredi) la limite du dépôt d’un mémoire de l’État de Pennsylvanie pour permettre de statuer sur la demande des républicains d’invalider ou d’annuler le résultat du vote du 3 novembre.
« Le juge Samuel Alito de la Cour Suprême des États-Unis [SCOTUS] a demandé aux responsables de la Pennsylvanie de déposer des mémoires avant le 8 décembre au matin en réponse à une requête d’injonction d'urgence déposée par les républicains, pour invalider ou annuler les résultats de l'élection du 3 novembre dans cet État.
» Ce jour est la date limite de la période où les controverses autour du comptage des élections sont recevables, les États devant commencer à choisir leurs Grands Électeurs avant la réunion du Collège électoral du 14 décembre. Alito avait demandé des arguments de réponse pour le 9 décembre, avant d’avancer d’un jour l’échéance.
» Ce nouveau délai indique que la Cour suprême a l'intention de statuer sur la demande d’injonction avant la fin du délai de recevabilité. »
Bien entendu, la décision de la Cour Suprême sur la Pennsylvanie est importante. Mais ce qui semble être dans tous les cas le plus important, c’est la sorte de précédent ainsi créé précisément pour cette élection du 3 novembre. Tout se passe comme si SCOTUS avait signifié qu’elle jugeait être compétente pour être impliquée dans la contestation générale et la bataille en cours autour des résultats de l’élection. Une des craintes de l’équipe Trump, qui vise la Cour Suprême pour trancher d’une façon globale sur la validité de l’élection, était que les Juges, notamment par crainte de se trouver au cœur d’une polémique et des troubles qui accompagneraient son éventuelle décision, décideraient de se déclarer incompétents en laissant toutes les décisions aux États. Bien qu’il ne semble pas y avoir une garantie formelle de cette interprétation, la décision d’Alito est un avantage certain.
(Par ailleurs, il semble bien, au vu de la complexité des lois aux USA, avec chaque État ayant les siennes propres, et au vu aussi de la complexité de la situation, que les dates fatidiques du 14 décembre [réunion du collège électoral] et du 6 janvier [transmission au Congrès des décisions du collège] ne soient pas nécessairement fatidiques... La Constitution des États-Unis est assez vague pour permettre nombre d’interprétations et les rodéos les plus fous, et comme nous sommes en terra incognita, avec des stratégies extrêmement brutales à l’œuvre, on doit s’abstenir de toute affirmation péremptoire.)
• Une curieuse occurrence qui conduit à une ouverture inattendue : une décision d’un juge du Michigan d’examiner les machines comptabilisant les votes à propos d’un vote, accompagnant le scrutin présidentiel, pour établir la légalisation de la marijuana dans un comté. Notre excellent pénaliste Jonathan Turley, qui a pourtant peu de sympathie pour Trump mais qui a la Loi ancrée au fond de lui-même, observe :
« L’équipe de campagne de Trump a finalement atteint l’un de ses principaux objectifs hier, dans la mesure où elle a obtenu une ordonnance de la cour pour l’accès et un examen technique d’environ deux douzaines de machines de comptage de votes de la société Dominion. Les machines sont situées dans le comté rural d’Antrim où environ 6 000 votes ont été initialement attribués au président élu Joe Biden mais ensuite corrigés et comptabilisés en faveur du président Donald Trump. Il y a quatre semaines, nous avons discuté de cette controverse et de la crainte qu’une erreur humaine ainsi identifiée puisse se produire dans d’autres districts. L’ordonnance du juge Kevin Elsenheimer ne concerne cependant pas l’élection présidentielle mais un recomptage des bulletins de vote dans un village où l'on propose de la marijuana.
» Même si la contestation de l’électeur William Bailey concernait la légalisation de la marijuana, Giuliani a salué une grande victoire pour son camp (“BIG WIN FOR HONEST ELECTIONS”).
» L’ordre actuel concerne un recomptage de la proposition sur la marijuana dans le village de Central Lake, adoptée par une voix de majorité. Cependant, il permettra aux critiques d’arguer du fonctionnement des machines Dominion pour justifier leurs allégations de falsification. »
Comme on voit avec ce dernier point, la voie d’accès à l’éventuelle mise en cause de Dominion est à la fois très étroite et un peu loufoque par rapport à l’enjeu fondamental. Peu importe, un accès est un accès, et il sera utilisé comme une sorte de jurisprudence dans la querelle des élections.
Effectivement l’accès aux machines Dominion est, avec l’accès à la Cour Suprême, l’un des deux grands objectifs de la campagne Trump : passer d’accusations parcellaires de fraudes, à partir de témoignages, de vidéos, de statistiques, à une accusation systémique concernant les machines Dominion, – ce qui est particulièrement le cheval de bataille de Sidney Powell, comme l’on sait. Une accusation systémique, si elle est jugée recevable, a de très fortes chances de mettre en cause l’élection présidentielle dans son ensemble dans la mesure où le doute est jeté sur la fiabilité technique des machines Dominion qui gèrent l’essentiel de l’élection, sans compter les soupçons de manipulation et de conjuration.
On est encore très loin, certes, d’une décision sur les contestations, mais le fait est que le climat général semble se détériorer pour la victoire de Biden, en plus d’accusations portées contre le ministre de la justice Barr et le FBI, avec Barr affirmant que rien de sérieux n’a été trouvé, puis corrigeant (“n’a encore été trouvé”), tandis que Giuliani, entre deux Covid, clame qu’« on ne trouve nulle part le FBI » pour enquêter sur les fraudes. Le “climat général”, c’est d’abord le climat de doute grandissant sur les conditions de la victoire de Biden telle qu’elle est présentée, qui apparaît de plus en plus étrange par ses disparités à nombre de spécialistes. Une qualification est que cette élection n’est pas « statistiquement impossible » mais certainement « statistiquement improbable » ou « inconcevable » selon la traduction qu’on choisit.
D’autre part et de l’autre côté, il y a des remous de plus en plus visibles et audibles dans le camp progressiste-sociétal (parti démocrate), concernant certains choix de Biden. Nouveauté intéressante, les progressistes-sociétaux antiguerres (puisqu’il s’avère qu’il y en a) commencent à faire pression, comme on l’entend avec ces déclarations de Medea Benjamin, co-fondatrice du groupe Code Pink, qui s’oppose d’abord à l’éventuelle nomination de Michelle Flournoy comme secrétaire à la défense, et ensuite à la politique des guerres interventionnistes sans fin qu’impliquent les choix déjà faits par Biden en matière de sécurité nationale, qui seraient complétés par celui de Flournoy.
Bien qu’activiste féministe, Benjamin rejette Flournoy, qui serait la première femme à diriger le Pentagone si elle est nommée, en précisant que « ce n’est pas une question de genre mais une question de politique et d’actes de guerre ». Cette déclaration est remarquable pour une activiste défenderesse du féminisme, tendance qui ne s’est jusqu’ici guère manifestée par des choix antiguerres, ni par des choix de politiques justifiés autrement que, justement, par le genre ; elle rappelle l’époque GW Bush où une union s’était faite entre la droite et la gauche, entre les conservateurs antiguerres (qui sont aujourd’hui toujours très actifs) et les progressistes antiguerres (qu’on n’avait plus entendu d’une façon aussi affirmée que le fait aujourd’hui Benjamin).
« “[Flournoy] est l’incarnation de tout ce qui est inacceptable dans la politique étrangère américaine”, a déclaré Benjamin. “L’interventionnisme, le militarisme et les relations entre les industries militaires et le Pentagone.”
» D’autres groupes progressistes qui signalent leur opposition à Flournoy sont le groupe à but non lucratif fondé par Bernie Sander, Our Revolution, ainsi que Military Families Speak Out, Roots Action, World Beyond War et Just Foreign Policy. [...]
» “Nous ne voyons nullement dans les choix faits pour constituer l’équipe de sécurité nationale de Biden quelqu’un avec de nouvelles idées” dit Benjamin. “Nous pensons qu’on doit trouver quelqu’un comprenant que nous sommes dans un monde différent et que nous ne voulons pas revenir à la façon dont les choses se passaient avec l’administration Obama”.
» “Nous voulons sortir de ces foutues guerres et de ce fait que les démocrates et les républicains du Congrès s’allient pour s’y opposer chaque fois que Trump veut nous sortir de quelque chose comme l'Afghanistan. C’est ridicule.”
» “Cette espèce de nouvelle normalité qui veut qu’on soit sans cesse en guerre est malsaine. Quelqu’un doit enfin dire les choses telles qu’elles sont, chercher à ce que les gens au Moyen-Orient s’entendent plutôt qu’alimenter les guerres, et que nous ne pouvons rester là-bas en tant que force interventionniste”. »
Mis en ligne le 7 décembre 2020 à 14H10
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