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4775Il est remarquable, comme nous le faisait remarquer un de nos correspondants qui suit les divers réseaux US, d’entendre aujourd’hui des réflexions et commentaires s’échanger aux USA sur la crise en cours, en parlant de l’hypothèse d’une “Secession War”, et non d’une “Civil War”. La différence est essentielle, d’un symbolisme politique et comme la marque d’un simulacre d’ontologie.
Pour les Français notamment (et d’autres), il y eut “guerre de Sécession” puisque des États, constitués en Confédération, voulurent faire sécession. Pour l’histoire officielle US, il y eut “guerre civile”, parce qu’un parti (ci-devant “parti esclavagiste” rétroactivement inconstitutionnellement à partir de l’Acte d’Émancipation de fin 1862), décida de prendre les armes contre l’autorité centrale dont il dépendait en principe toujours. Selon cette version-PC, les Sudistes étaient des “rebelles” et même (sous-version PC-2020) des “terroristes”. A partir de 1865 et l’écrasement du Sud, et pour écraser la notion même de “sécession” (« Nous, aux USA, on ne résout pas les problèmes, on les écrase », disait un général US), la grammaire changea, signifiant que les USA devenaient un même s’ils rassemblaient des États, et non plus une addition d’États avec leurs spécificité. On n’écrivit plus “the USA are” mais “the USA is”.
Tout cela est dit à propos de la “Zone Autonome” (CHAZ) de Seattle. La CHAZ est effectivement devenue le point central de l’attention portée aux événements de désordre aux USA, la seule référence “fixe” de ce flux déstabilisateur mais aussi l’événement qui se détache des autres pour sembler exprimer une stratégie et des objectifs concrets. La situation y est marquante, telle qu’exposée par le WashingtonExaminer :
« Ce que nous savons, c'est que les responsables de Washington ont complètement perdu le contrôle de la CHAZ, et ils ne la récupéreront pas sans faire usage de la force. La maire de Seattle, Jenny Durkan, a essayé de négocier avec ces manifestants sans succès, et les manifestants n'ont pas montré de signes de faiblesse. Paisible ou pas, c'est l'anarchie. Et la seule raison pour laquelle les manifestants de Seattle s’en sont tirés est que les forces de l’ordre n’ont rient tenté contre eux. »
Pépé Escobar fait ce 12 juin un texte sur la CHAZ (ici original en anglais, ici traduction en français). Le titre : « La Syrie à Seattle : La Commune défie le Régime US », admettant qu’il parle de La Commune-1871 à Paris, nous paraît juste dans sa première partie, – “La Syrie à Seattle”, ce qui est notre propre hypothèse : « De plus en plus, c’est dans l’esprit une variante du “modèle syrien”, avec des méthodes différentes et selon des logiques propres aux USA, qui nous vient à l’esprit pour caractériser hypothétiquement l’évolution de la situation USA2020 » ; et bien plus discutable dans la seconde.
La Commune de Paris a cherché, – contre les Versaillais de Thiers et leur accord tacite avec Bismarck, – la révolte, la révolution, éventuellement la prise de pouvoir. La CHAZ, qui ne rencontre aucune résistance dans les autorités de la ville, affirme sans aucun doute l’“autonomie”, c’est-à-dire, en langage hérétique de l’américanisme, la logique de la sécession. L’absurdité du propos, si l’on considère ce qu’est la CHAZ en territoire, en organisation, en structure, en “culture”, en cohésion ethnique, etc., ne nous décourage en aucun cas. L’univers américaniste est aujourd’hui absurde, hystériquement absurde, – et cela est parfaitement dans l’ordre des choses par ailleurs.
Le commentaire du colonel Lang emploie effectivement ce mot, et il résume la perception générale de la CHAZ même si l’extrémisme de son propos n’est pas celui de tout le monde :
« Le maire de Seattle déclare que la saisie et l'occupation d'une partie du centre-ville de Seattle lui convient. Elle prédit que Seattle pourrait maintenant connaître “a summer of love” tandis que Trump resterait dans son bunker assiégé à Washington à s’occuper de ses propres affaires.
» La “Capital Hill Autonomous Zone” (CHAZ) a défini ses frontières actuelles, a installé des gardes-frontières et taxe (rançonne) les entreprises et les personnes sur son territoire. Le maire de Seattle et le gouverneur de l'État de Washington (bientôt rebaptisé) sont des gauchistes notoires, tout comme de nombreux citoyens résidant dans la ville et l'État.
» Ce dont il est question à Seattle, c’est de la sécession de facto des États-Unis... »
Son titre dit tout : « Si Seattle peut accepter la sécession de la CHAZ, pourquoi pas San Francisco, LA ou Chicago ? »
La question qui vient enfin à propos de la CHAZ concerne ses perspectives. Il y a plusieurs possibilités.
• La dissolution progressive, par inorganisation, anarchie intérieure, ravitaillement. Il suffirait de “laisser pourrir”, un peu comme cela avait été le cas avec les mouvements Occupyde 2011. Mais à la différence d’Occupy, dont toutes les autorités voulaient l’élimination, les démocrates, et notamment la maire de Seattle et le gouverneur de l’État de Washington, seraient plutôt pour la poursuite de l’“expérience”, au moins jusqu’aux présidentielles, car tout le monde sait bien que cela va contre les intérêts de Trump, autant que contre ses engagements.
• De même, pour les mêmes raisons, un dégagement de la zone par les forces locales (police de Seattle, Garde Nationale de l’État de Washington) semble peu probable, puisque ces forces sont sous l’autorité de la maire et du gouverneur. Cette situation provoque même des tensions entre le chef de la police de Seattle, Carmen Best, et la maire. Best est furieuse du désordre et de l’impunité des délinquants et des criminels à l’intérieur de la CHAZ.
• Il y a alors la possibilité de l’intervention de l’armée fédérale. « Près de Seattle, à Tacoma,écrit le colonel Lang, se trouve Fort Lewis où stationne le gros de la 2ème division d’infanterie de l’US Army. Quand Trump dit qu'il pourrait agir contre la rébellion CHAZ, il en a les moyens. » Comme on l’a vu dans la lettre d’Ester-Milley à la Commission des forces armées de la Chambre, il semble que le Pentagone pourrait juger acceptable que le président se réclame de l’Insurrection Act pour nettoyer la CHAZ, et alors faire intervenir des unités de l’armée régulière.
• Contrairement à ce que clament la presseSystème et ses choristes, une intervention de l’armée fédérale aux USA même n’est nullement inédite. Lang rappelle qu’il y a déjà eu 14 interventions de ce genre, la plus célèbre étant l’intervention d’une unité blindée et d’infanterie contre les vétérans de la Grande Guerre qui réclamaient une prime promise pour leur service armée. C’était en pleine Grande Dépression, en 1932, dans les rues Washington où la troupe tira, et l’officier qui commandait l’opération était le chef d’état-major général, le Général MacArthur.
• Un autre développement peut être une attaque de la CHAZ par des milices d’extrême-droite soutenues en sous-main par Trump. Il y aurait des armes des deux côtés, et sans doute du sang.
• Un développement a contrario pourrait être une opération similaire, dans une autre ville ou même dans une autre partie de Seattle, de la part de ces mêmes milices pro-Trump. Armes et sang possibles également.
Il y a un grand choix de scénarios.
Mis en ligne le 13 juin 2020 à 16H40
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