Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
3189Ce sondage, cette enquête statistique devrait faire date. La méthode quantitative et grossière malgré ses finesses de maniement et d’une méthodologie prétentieuse qu’est la “science” de la statistique, largement et lumineusement mise en question par un philosophe comme Olivier Rey, donne paradoxalement en certaines occurrences des indications d’une prodigieuse importance, voire d’une vérité certaine. Vous “sentiez” sans doute cette vérité, mais, en la confirmant, la statistique pèse de tout le poids formidable de la quantité et du chiffre qui acquièrent alors une légitimité inattendue. Notre époque, qui est de quantité et de chiffres, ne résiste pas à cette séduction que révèle une vérité également inattendue.
Cette fois, en effet, tout est réconcilié : le chiffre et la quantité d’une part, le jugement qualitatif, l’intuition d’autre part. Il s’agit d’une enquête statistique qui nous indique que plus ou moins 50% des citoyens Américains des deux bords (puisqu’il y a deux bords, deux partis, deux “ennemis” enfin) sont d’accord pour se haïr réciproquement et conclure que seule la sécession réciproquement souhaitée peut régler le problème qui se pose à eux.
« Guerre civile 2.0 ? », interroge le texte ci-dessous, qui rend compte de l’enquête de l’honorable Center for Politics de l’université de Virginie. La guerre civile n’est pas inéluctable lorsque les deux ennemis jurés sont d’accord pour se séparer.
Pour l’heure, ce que nous dit cette enquête est bien que nous avons, – non pas un affrontement, non pas une mésentente mais une irrémédiable fracture que les deux camps s’accordent pour juger irréversible.
« Plus de la moitié des Américains qui ont voté pour Trump sont favorables à ce que les États “rouges” [républicains] fassent sécession de l'Union, selon un récent sondage qui révèle également que près de la moitié des électeurs de Biden sont du même avis. La nation est-elle en route vers une guerre civile 2.0 ?
» Selon un sondage publié vendredi, quelque 52% des électeurs de Trump interrogés par le Center for Politics de l’université de Virginie estiment que le pays se porterait mieux si les États à vote républicain (“rouges”) faisaient sécession de l’Union pour former leur propre nation. Un quart de ces électeurs sont tout à fait d’accord avec ce sentiment.
» Les électeurs de Trump ne sont pas les seuls à penser qu’il est temps pour les États-Unis de se désunir. Quelque 41% des électeurs de Biden approuvent également cette idée, et un plus petit pourcentage, – 18%,– sont fortement d'accord.
» Les implications pour l’“autre’ parti si la sécession n’avait pas lieu sont sans aucun doute plus inquiétantes. Une majorité non négligeable des électeurs de Trump et de Biden sont d’accord avec l'affirmation selon laquelle “si notre société le veut, il est du devoir de tout vrai citoyen d’aider à éliminer le mal qui empoisonne notre pays de l'intérieur”. Il est bien sûr évident que personne ne se présente pour défendre “le mal” ou s’identifier à lui, et il apparaît tout aussi évident que les deux partis se réfèrent à l’autre lorsqu’ils utilisent un tel terme.
» Des pourcentages énormes de 80% des électeurs de Biden et de 84% des électeurs de Trump sont d’accord pour dire que les élus de l'autre parti “présentent un danger clair et immédiat pour la démocratie américaine”.
» En ce qui concerne les “valeurs”, près de 90% des électeurs de Trump pensent que le parti démocrate veut “éliminer l’influence des valeurs traditionnelles dans la vie et la culture américaines”, tandis que 78% des électeurs de Biden pensent la même chose, – en substituant “progressiste” à “traditionnel”.
» Ce n'est pas nécessairement seulement la haine ou le dédain qui est à l'origine de ce clivage, – dans de nombreux cas, c’est la peur qui domine. Les électeurs de Biden et de Trump (80% et 82%, respectivement) craignent qu’eux-mêmes ou un de leurs proches “ne subissent une perte ou une souffrance personnelle en raison des effets des politiques [du parti adverse] à l'avenir”.
» Près des trois quarts des deux partis ont perdu la foi dans le premier amendement, suggérant que “certaines sources médiatiques des extrêmes [droite/gauche] sont devenues si mensongères qu’elles devraient être censurées pour mettre fin à la diffusion de mensonges dangereux”.
» Les deux partis considèrent les médias qui favorisent le “camp” opposé comme un bras de facto du parti concerné. 77% des démocrates estimant que Fox News, par exemple, est un organe de presse du GOP qui diffuse des fausses nouvelles, tandis que 88% des républicains considèrent MSNBC comme une ruche de faux jetons progressistes.
» Ne voyant apparemment pas de place pour la nuance, 76% des électeurs de Trump déclarent qu’il n’y a “aucune différence réelle entre les démocrates et les socialistes”, tandis que 56% des électeurs de Biden répondent qu’il n’y a “aucune différence réelle entre les républicains et les fascistes”.
» En imaginant comment réparer leur nation divisée, une minorité non négligeable, tant à gauche qu’à droite, a donné libre cours au totalitarisme qui sommeille en elle, suggérant que “ce serait mieux pour l'Amérique si le président, quel qu’il soit, pouvait prendre les mesures nécessaires sans être contraint par le Congrès ou les tribunaux”. Bien que ce chiffre ne s’élève qu'à 46% pour les Démocrates et seulement 44% pour les Républicains, les deux “camps” ont été assez ouverts quant à leur désir d'un “leader puissant” qui pourrait “détruire les courants radicaux et immoraux qui prévalent dans la société actuelle”.
» Pas moins de 82% des républicains sont prêts à embrasser un tel homme fort (ou femme forte), et même 62% des démocrates approuvent cette idée. Une proportion similaire pense qu'il y a “beaucoup de gens radicaux et immoraux qui essaient de tout gâcher” et que “notre société doit les arrêter”.
» Les sondeurs n'ont pas demandé qui étaient ces personnes radicales et immorales, supposant peut-être que c’était l’autre parti qui servait de bouc émissaire, – bien que le vitriol contre ces “radicaux” ait reçu une approbation bipartite beaucoup plus importante que le clivage politique lui-même.
» Les médias américains, – en particulier ceux du courant dominant, – déplorent souvent le manque d’unité nationale, qu’ils imputent principalement à Trump et à ses partisans. Même le rapport de Mediaite sur le sondage qui a montré que le désir de sécession est bipartisan semblait conçu pour diviser davantage la population, déclarant dans son titre que les “électeurs de Trump” sont ceux qui demandaient la sécession même si plus de 40% des électeurs de Biden appellent à la même chose. »
La “Guerre Civile 1.0” comme l’on dirait en termes numériques, ou Guerre de Sécession comme l’on dit d’une manière plus conforme à la vérité historique, opposait deux camps aux buts opposés : le Sud voulait la sécession, le Nord s’y opposait. Le feu et le sang réglèrent ce désaccord. Dans le cas de 2021 et de la soi-disant “Guerre Civile 2.0”, ce qui frappe est l’accord pour considérer l’irrémédiabilité du désaccord. L’affrontement le cède à l’entente pour le divorce ; tout le problème se trouve dans les modalités de cette perspective, et surtout dans l’opposition de la direction absolument américaniste et fédérale de Washington D.C. (disons le DeepState ou l’establishment), sa position pour s’opposer au partage du gâteau dont elle nourrit ses privilèges et sa forfaiture permanente. Dans cette opposition se trouve le germe, – feu et sang possibles dans ce cas, – d’un affrontement complètement déraisonnable, puisque la raison conseille d’entériner l’accord de la désunion.
Tout cela doit être pour l’instant considéré comme théorique puisqu’il n’existe aucune “unité” réelle et franche, de type géographique ou ethnique, entre les deux camps. Néanmoins, certaines initiatives locales indiquent une tendance institutionnelle au regroupement (par exemple, quelques comtés de l’Est de l’Oregon ultra-progressiste réclamant leur rattachement à l’Idaho contigu de tendance conservatrice) ; il y a aussi des déplacements individuels de populations ou d’entreprises de Californie et de l’État de New York (progressistes) vers le Texas et la Floride (conservateurs). Il y a aussi mésentente suivant les lignes partisanes sur la politique sanitaire politisée (Covid, vaccination). Enfin, une géographie générale situe les États progressistes sur les deux côtes et dans les grandes concentrations urbaines, et les États conservateurs dans le centre-Nord des grandes plaines et dans le Sud.
Quoi qu’il en soit, cette situation qui reste notablement éparpillée est un problème certainement très lourd pour une sécession ordonnée. Pour autant, l’activisme désormais bien connu des gouverneurs des États (essentiellement conservateurs), avec l’exercice de leurs pouvoirs au maximum prévu et en confrontation directe avec le “centre” de Washington D.C. (complètement progressiste), montre que la vie politique est ern cours de changement.
Tout cela considéré, il reste ce fait brut du caractère extraordinairement marqué, notamment des résultats secondaires au vœu de la sécession. On a la description d’une extraordinaire puissance de la division des États-Unis, avec les deux partis et leurs adeptes vivant dans deux mondes complètement différents, et aucun ne supportant l’existence de l’autre, et tous les deux étant principalement marqués par la peur de l’autre. Chacun des partis n’envisage le gouvernement de l’autre que sous sa forme tyrannique la plus extrême, – les progressistes perçus comme “socialistes”, et donc “communistes” à court terme, les conservateurs perçus comme fascistes. Trois remarques analogiques :
• Il s’agit d’une division absolument radicale, rappelant les pires moments de la Guerre Froide, dans la période 1948-1958/62, lorsque les deux camps se percevaient comme totalement irréconciliables et envisageaient l’affrontement nucléaire ;
• la grande, l’immense différence est que cette division est complètement enfantée, perçue, assumée, proclamée, par les populations elles-mêmes (cela n’était pas le cas, dans tous les cas pour les populations des pays communistes durant la Guerre Froide), avec leurs directions institutionnalisées suivant peu ou prou, et complètement à la dérive pour celles qui tentent de résister ;
• au contraire de la Guerre Froide, la communication existe dans toutes ces nuances et ses parti-pris, dans les deux sens, et dans toute sa puissance, malgré une censure frénétique en quantité mais très moyennement efficace puisque forcée à ne pas user de brutalité, et laissant ainsi des moyens importants aux deux partis.
Il est difficile, voire impossible, d’envisager un avenir optimiste pour la cohésion des États-Unis d’Amérique. Les USA ne se sortiront pas de cette crise dans leurs structures actuelles... Pour rendre le propos plus clair en le renversant : cela signifie que la crise ne se dénouera qu’avec la fin des États-Unis dans leurs structures actuelles, et donc l’une ou l’autre formule de sécession(s), de fragmentation, de dislocation.
Mis en ligne le 2 octobre 2021 à 10H45
Forum — Charger les commentaires