RapSit-USA2022 : Irrésistible corruption de la puissance

Brèves de crise

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RapSit-USA2022 : Irrésistible corruption de la puissance

S’il est une révolution silencieuse et bien entendu complétement ignorée qui progresse à une extrême rapidité aux USA, c’est bien celle de la corruption irrésistible des forces armées précipitées dans un wokenisme délirant, au milieu d’un Covid qui communique une ivresse folle aux diverses bureaucraties. Nous avons déjà signalé la chose pendant que tant de plumes acérées et contentes d’elles-mêmes continuent à chanter les louanges ou à dénoncer les horreurs d’une puissance militaire US que les unes et les  autres tiennent pour irrésistible. En fait, et un fait bien solide, il s’agit d’un effondrement, et, vu la nature de la méthode entre transgenrisme et ‘Critical Racial Theory’, bel et bien d’un effondrement-bouffe réalisé avec la discrétion d’un F-35.

Cela survient à l’occasion d’un fantastique changement d’orientation de la gauche radicale-progressiste, devenue partisane exaltée des instruments de l’impérialisme le plus sordide qu’elle poursuivait de sa vindicte dans les temps exaltés des années 1960. « Les temps ont effectivement changé », observe sarcastiquement José Nuno, du Mises Institute, un des points d’ancrage des libertariens aux USA, dans l’article du 12 janvier 2022 dont nous donnons un extrait important plus loin. Il se réfère évidemment à “The Times They Are a’Changing”, chant fameux offert par Bob Dylan aux contestataires des années 1960 :

« S’il y a une chose que le réalignement politique actuel nous a appris, c'est que les coalitions politiques ne sont pas aussi permanentes que nous le pensions. Cette sorte de tendance se manifeste sous nos yeux. La gauche progressiste défend la communauté du renseignement et va même jusqu’à faire valoir ses arguments dans le cadre de diverses entreprises de ‘regime change’ à l'étranger. Cela contraste fortement avec la gauche de l'époque de la guerre du Viêt Nam, qui dénonçait avec véhémence la communauté du renseignement et l’appareil militaire au sens large. Les temps ont effectivement bien changé. »

Cette remarque railleuse suit quelques considérations sur le fait remarquable, – là aussi fort peu développées dans les milieux militants extrêmes Europe, où tout ce qui est “américain” est vache sacrée, que l’on soit neocons européistes et pro-US ou soi-disant anti-américains enflammés, – que les deux piliers du capitalisme américaniste, l’armée et le ‘Big Business’/‘Corporate Power’, sont totalement acquis au wokenisme jusqu’à en être, pour le second (‘Big Business’/‘Corporate Power’), le financier et parfois l’inspirateur. La même remarque est suivie de considérations sur la véritable nature de l’armée aux USA, sur son rôle d’instrument de ‘racket’ des oligarques-USA. (‘War is a racket’, écrivit en 1933 l’étonnant général Butler, du Corps des Marines, dénonciateur d’une tentative de coup d’État pour lequel il avait été contacté par quelques banquiers de Wall Street. On en parla en août 2007, et beaucoup plus récemment, en mars 2020, en rapport avec les événements courants...)

Surtout, et en excellent libertarien qui sait ce que la centralisation fédérale veut dire, José Nuno développe une argumentation serrée pour le développement de forces armées internes aux États et sous commandement du gouverneur. La Garde Nationale y tient un rôle ambiguë, puisque placée sous l’autorité conjointe (?) du gouverneur et du Pentagone centraliste, aussi faut-il se diriger vers la résurrection et le développement de ce qu’on nomme les “State Forces”, ou ‘milices de l’État’.

« Certains peuvent le déplorer, mais l'armée américaine a fonctionné comme un instrument émoussé pour des politiciens belliqueux et des groupes d'intérêts parasites tels que les entrepreneurs de la défense. À quelques exceptions près, les tâches accomplies par l'armée au cours du siècle dernier ont très peu à voir avec la défense.

» Si la droite institutionnelle voulait vraiment changer les choses et abandonner son rôle classique de fausse opposition à la gauche, elle commencerait par rediriger son attention vers les forces de défense et les milices des États de l’Union. Ces organes de défense remplissent une fonction utile et défendent le territoire d'un État donné. Les gouvernements d’États comme la Floride et l’Oklahoma sont déjà en train d'avancer dans leur propre direction pour réaffirmer le pouvoir des unités de défense de l'État.

» Il s'agit d’un effort plus valable que le culte militaire actuel. Après tout, nous avons affaire à un État américain qui adopte ouvertement les modes de la gauche culturellement radicale, comme Black Lives Matter, qui sera invariablement exporté à l'étranger, – par des moyens de puissance douce et dure, – en raison de la nature missionnaire de la politique étrangère américaine.

» À vrai dire, la voie à suivre pour apporter un minimum de bon sens à notre système actuel ne sera pas linéaire, et elle sera parsemée d'embûches. En fin de compte, il faudra que les gens soient prêts à se séparer d’institutions qu’ils tenaient auparavant en haute estime.

» On pourrait faire valoir que l’armée avait une fonction légitime dans les périodes précédentes de l'histoire américaine marquées par une gouvernance plus modérée, mais ces époques sont révolues depuis longtemps. Aujourd'hui, l’armée est un instrument brutal utilisé pour réaliser les fantasmes géopolitiques d’une classe d’experts et de donateurs d’une politique étrangère parasitaire, qui ne subit que peu ou pas de conséquences de ses méfaits. Comme si le rôle de l'armée en tant que bélier pour une classe dirigeante décadente ne suffisait pas, le fait qu’elle devienne un laboratoire pour l’expérimentation de la doctrine sociale du wokenisme devrait amener toute personne saine d'esprit à reconsidérer fortement son attachement aveugle aux forces armées.

» La dérive wokeniste de l'armée est aussi tragique que farfelue, mais il y a toujours une lueur d'espoir. Les gens réalisent maintenant que l'armée n’a rien de spécial. En fait, elle peut être tout aussi vulnérable au fléau culturel qui sévit dans tout l'Occident. De plus, la dégradation de l’armée devrait détourner les gens de l'idée fausse qu'il y aura un “retour à la normale”.

» Pour aller de l'avant et éviter de tomber dans le chaos convenu du déclin civilisationnel, il faut abattre les vaches sacrées. L’armée est l’un de ces veaux d’or qu’il faut envoyer au pâturage. »

Il faut noter là-dessus que l’armée est touchée par une autre grave crise, celle du Covid & conséquences. C’est la cause principale d’une très grave crise de ses effectifs, du fait que l’armée ne trouve plus de volontaires autant qu’elle manque de candidatures valables pour les fonctions techniques les plus délicates. Tous ces aspects ont été fortement aggravés par la crise du Covid, mais ce n’est pas le seul effet.

Les règles très strictes de respect des mesures sanitaires, gestes barrières, évolution sociale, et bien sûr la vaccination obligatoire, conduisent autant à des conditions d’entrée draconiennes qu’à des exclusions de l’armée sans aucune indemnité. Pour contrevenir à ces mauvaises tendances, l’armée augment sa prise d’engagement jusqu’à $50 000 pour un engagement de six ans.

L’un dans l’autre, il s’agit d’une autre grave crise au sein des forces armées :

« Deux ans après le début de la pandémie, et alors que le ministère de la défense a imposé la vaccination de toutes les troupes qui ne sont pas en règle, l'armée américaine se bat pour atteindre ses quotas d'enrôlement, en particulier pour les emplois jugés “critiques” et hautement qualifiés, pour lesquels l’armée dépense généralement beaucoup,– parfois des $millions – pour la formation. 

» Pour attirer de nouvelles recrues, l'armée a décidé de mettre en place une prime d'engagement maximale de 50 000 dollars, qui sera offerte à plus grande échelle à toutes les recrues “hautement qualifiées” qui acceptent de signer un contrat de six ans, selon l'Associated Press.

» Outre le fait que de nombreux jeunes sont sûrement rebutés par la perspective d’endurer un camp d'entraînement déjà rigoureux et de s'entraîner avec un masque et d’autres pratiques de distanciation sociale, les recruteurs militaires affirment avoir connu des moments difficiles ces deux dernières années lors des fermetures d’écoles et des campus restreints en raison [du Covid].

» En outre, les événements sportifs pour les jeunes sont généralement des lieux où les recruteurs sont présents, mais ils ont également été interrompus de façon sporadique. Les recruteurs affirment que le pic actuel de la variante Omicron joue également un rôle dans l'éloignement des personnes intéressées, et qu'un nombre croissant de jeunes de 18 ou 19 ans choisissent de prendre une "année sabbatique" avant de se décider pour l'université ou le service militaire.

» “Nous vivons encore les conséquences de 2020 et du début du COVID, lorsque les systèmes scolaires se sont pratiquement arrêtés”, a déclaré à l'AP le chef du commandement du recrutement de l'armée, le général de division Kevin Vereen. “Nous avons perdu une classe complète de jeunes femmes et jeunes hommes avec lesquels nous n'avons pas eu de contact, en face à face”. »

... Si bien qu’au bout du compte, on ne sait plus très bien quel est l’effectif actuel des forces armées des États-Unis. Cela est d’autant plus concevable que le Pentagone pratique à cet égard une sorte de “politique de la forteresse”, pont-levis bien rangé, etc. ; le Pentagone n’est pas “la Grande Muette” parce qu’il cause considérablement, mais il est certainement un remarquable manipulateur de fausses “vérités-de-situation” et de vraies ‘FakeNews’.

C’est ainsi que, l’autre jour (le 3 janvier), Tucker Carlson, la vedette de Fox.News, recevait le colonel à la retraite MacGregor, qui fut chef de cabinet du général Powell lorsque celui-ci fut secrétaire d’État, en 2001-2005. Il lui parla de l’état des forces armées...

Tucker Carlson : « Alors, où en sommes-nous avec les effectifs des forces armées ? Je pense que la plupart des gens, moi y compris, n’en ont pas une idée précise. »

Colonel Douglas MacGregor : « Non, et les chiffres sont difficiles à obtenir. Le Pentagone ne facilite pas les choses. Et franchement, nous avons appris à être très sceptiques quant aux chiffres fournis par le ministère de la Défense. Ils n'ont pas été très honnêtes quant au nombre de soldats, de marins, d'aviateurs ou de marines déployés en Syrie, en Afghanistan ou en Irak. Nous devons donc l'aborder avec prudence, mais nous avons des chiffres importants que nous pouvons citer. [...]

» Seuls environ 30 % des Américains âgés de 18 à 24 ans sont réellement qualifiés pour servir dans l'armée. C'est un nombre effroyablement faible. Ils ne sont pas qualifiés pour des raisons de capacité physique, de santé, de consommation de drogues, de criminalité, etc. Nous n’avons donc pas foule... »

Bien entendu, cet état catastrophique mais soigneusement dissimulé des forces armées est la cause de la chute de la confiance des citoyens américains dans ces forces armées. La communauté militaire était, jusqu’il y a peu, la seule institution gouvernementale à échapper à la désaffection sinon à l’hostilité du public. Une enquête de l’Institut Ronald Reagan a montré, en novembre-décembre 2021, qu’il n’en était plus rien, et c’est bien sûr l’argument de départ du texte de José Nuno.

Nous-mêmes écrivions à ce propos, le 7 décembre 2021 :

« C’est un grand événement symbolique dans la psychologie américaniste : le basculement du sentiment populaire de “grande confiance” dans les forces armées qui n’est plus majoritaire (moins de 50% ayant une “grande confiance” dans les forces), selon une enquête statistique d’une fondation spécialisée dans les questions et les symboles de sécurité nationale. Il s’agit du Ronald Reagan Institute et de son enquête sur la sécurité nationale dans l’opinion publique, datée de novembre 2021.

» Jusqu’alors, la confiance très élevée dans les capacités, le professionnalisme et surtout le haut statut moral des forces armées constituait la dernière référence de stabilité de la confiance du citoyen dans les institutions des Etats-Unis. L’armée était la dernière “vache sacrée”. Le passage à moins de 50% de “grande confiance” est donc considéré à juste titre comme un événement important de la communication dans le domaine du symbolique, et un facteur significatif du déclin, sinon de la décadence des USA dans la perception de ses citoyens, et notamment des plus conservateurs et des plus traditionnaliste. »

“Irrésistible corruption du socle de la puissance”

Dans un autre texte, du 27 mars  2020, nous reprenions un témoignage venu du fond des âges (la fin des années 1950 !) par l’intermédiaire de PhG, qui situe bien l’importance du phénomène que nous décrivons ici :

« Il  [Adriaenssens] me confia bientôt ce qu’il avait retenu d’essentiel de son voyage, que je vais tenter de restituer en substance. “Il y a vraiment quelque chose à part chez ces amiraux de l’US Navy, qui tient de la culture, de la tradition, et aussi d’une grande connaissance de la politique la plus haute. Ils sont très conscients que leur immense puissance a au moins un but intérieur aussi important que le but extérieur de la sécurité nationale. Ils croient que l’Amérique est intérieurement très fragile et qu’elle a besoin de structures institutionnelles très fortes. Ils pensent que des armées puissantes, et particulièrement la Flotte, avec sa force symbolique et traditionnelle, constituent un ciment qui n’est pas inutile à cet égard. D’une façon générale, ils ne sont pas très optimistes, certes non, pas du tout optimistes sur le sort futur de l’Amérique, particulièrement sa cohésion, son unité…” »

C’est pourquoi nous parlons  de“socle de la puissance” lorsque nous parlons des forces armées. Nous voulons dire que les forces armées ne constituent pas (ne constituaient pas ?) toute la puissance des USA, mais le socle de cette puissance qu’on a l’habitude de dire “impériale”. Cette fonction de “socle” est née avec la Deuxième Guerre mondiale et a failli disparaître après la victoire de 1945 dans l’effondrement structurelle de ces forces armées, du à une puissante action interne du public, relayé par le Congrès.

Dans l’article « Le Trou Noir du XXème siècle » de notre rubrique ‘Glossaire.dde’, nous détaillons cet épisode qui n’est jamais, absolument jamais apparu comme tel dans le travail de tous les historiens, – un vrai ‘Trou Noir’ à cet égard ! Cette période de trois années que nous analysons dans ce texte commence par le premier événement tragique de la séquence, celui de la “désintégration des forces armée US :

« Ce n’est pas une démobilisation, c’est une désintégration » (Général Marshall, chef d’état-major des forces, décembre 1945) ; «La démobilisation américaine de 1945 ne peut se comparer qu’à un seul autre cas dans l’histoire, celui de la désintégration de l’armée russe en 1917.» (professeur Richard Pipes).

La suite de l’analyse expose combien le sort de l’industrie aéronautique US, elle-même en pleine désintégration à la suite de la désintégration de l’armée, joua un rôle essentiel dans l’action de Marshall (devenu secrétaire d’État) et Forrestal (secrétaire à la défense) pour relancer en 1948 cette industrie par des commandes massives qui accompagnaient le lancement d’un effort également massif de reconstruction des forces armées.

C’est à la suite de cet épisode, et alors que la grande crainte aux USA en 1945-1947 était le retour d’une Grande Dépression dont on craignait qu’elle provoquât la désintégration par le démembrement du pays, que les forces armées reconstituées s’installèrent symboliquement, technologiquement et historiquement, comme “socle” de la puissance US, couronnées de toute la gloire de la Grande Guerre de l’américanisme qui eut alors comme fonction de donner à la psychologie américaniste une ontologie exceptionnelle et, naturellement, exceptionnaliste :

« Deuxième guerre mondiale, parce que ce conflit fut l’occasion, grâce à la communication, d’une “victoire stratégique majeure” des USA qui a transformé l’époque et orienté l’histoire du monde vers où nous nous trouvons : “La transmutation de la Deuxième Guerre, en Europe, en victoire américaine et américaniste est le fait stratégique majeur du conflit, – et une victoire, puisque victoire il y a, de la communication.”

» Avec la Deuxième Guerre mondiale, la psychologie américaniste est conduite vers l’abandon du culte de l’isolationnisme et orientée après un étrange “trou noir” qui aurait pu tout faire basculer mais qui agit finalement comme un sas de décompression, vers l’entrée dans le monde comme si le monde était une immense Amérique-en-devenir, attendant ainsi cette mutation de la psychologie américaniste pour s’offrir lui-même à l’américanisation. » 

Ainsi comprend-on aisément, nous semble-t-il, comment les forces armées devinrent “le socle de la puissance” des USA, symboliquement, psychologiquement et du point de vue de la communication, aussi bien que militairement et technologiquement. Le danger qui les menace aujourd’hui, qui n’a absolument rien d’une bataille et tout d’une spiritualité fabriquée à Hollywood, est un danger mortel pour les États-Unis d’Amérique tels qu’ils prétendent être. A côté de cela, ni le wokenisme, ni le Covid ne font le poids, sinon comme virus fabriqués par un diable qui aurait failli à sa tâche.

 

Mis en ligne le 13 janvier 2022 à 16H40