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5192Depuis le 9 juin, Donald Trump est sous le coup d’une inculpation fédérale à propos de l’affaire des documents saisis ou contrôlé il y a deux ans par le FBI à sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, et d’autres documents que le FBI réclame à l’ancien président depuis cette incursion. C’est de loin l’action en justice contre Trump, – il y en a d’innombrables, comme l’on sait, – la plus grave ; notamment parce qu’il s’agit d’une action fédérale, impliquant directement de département de la justice (DoJ) et le FBI.
D’une façon générale, les réactions ont été de type politique. Il y a bien entend les partisans et les adversaires inconditionnels de Trump, ceux qui dénoncent l’action du DoJ en dénonçant un gouvernement policier, et ceux qui l’acclament en parlant de la justice comme nécessité sacrée. D’une façon générale, plus élevée et plus mesurée, des jugements plus objectifs mais restant dans le domaine politique, comme chez Mercouris-Christoforou, considèrent cette démarche comme extraordinaire et mettant en péril la stabilité de la situation politique aux USA, et condamnant avec une exemplaire sévérité les actes du gouvernement Biden. Ce point de vue ne nous déplaît pas, surtout selon ce qu’il nous dit de la situation politique générale aux USA.
Comme l’on voit, en aucun cas il ne s’agit d’un jugement de type juridique du comportement de Trump, mais d’un jugement de type politique concernant l’action menée contre Trump. Ce que nous avons beaucoup moins souvent, c’est un jugement politique à partir du cas juridique, sur le comportement de Trump. C’est Jonathan Turley qui nous sort de ce mauvais pas en nous donnant les éléments pour un tel jugement.
D’une certaine façon, la situation politique a été évoquée selon ce que la loi nous dit de l’esprit de la loi, et cela aussitôt transcrit en conséquences pour la situation politique. Turley, lui, nous fait part de ce que la loi nous dit de l’esprit de la loi par rapport à l’esprit (ou à l’état de l’esprit) de Trump. Il s’avère que, considérée de ce point de vue, l’affaire devient extrêmement sérieuse, sinon gravissime, et allant au-delà même d’une élection présidentielle et de la situation d’un candidat (Trump en l’occurrence).
Auparavant, dans un article publié le 9 juin (rédigé et mis en ligne quelques heures avant l’annonce officielle de l’inculpation), Turley avait bien résumé cette situation politique avant l’inculpation, – et que l’inculpation ne changerait pas, – et n’a pas changé, effectivement...
« “Je suis un homme innocent !”
» Les paroles de l'ancien président Donald Trump constitueraient normalement un bon début pour tout accusé pénal.
» Mais Trump n'est pas un accusé ordinaire.
» Il s’adressait à des millions de personnes qui se sont déjà fait une opinion sur un acte d'accusation qui n'a pas encore été publié, et encore moins lu.
» En effet, les détails de l’acte d’accusation semblent sans importance pour la plupart des gens.
» Pour environ 30 % des deux extrémités de l’échiquier politique, toute enquête sur ces accusations commencera et se terminera par la légende : “United States v. Trump” (“Les États-Unis contre Donald Trump”). »
Dans son texte du 11 juin, Turley se place d’un autre point de vue. Indifférent à la réputation de Trump, à ses intentions politiques, ses manœuvres, – indifférent à la catastrophique présidence de Biden, à la scandaleuse politisation du FBI, aux restrictions apportées aux libertés, – il s’en tient expressément à la situation juridique de cette affaire compte tenu des nécessités, des prérogatives, des circonstances constitutionnelles, etc. Il précise d’ailleurs aussitôt les conditions politiques objectives (même si nombre d’éléments sont extrêmement subjectifs, ils participent à la manufacture de la “réalité objective”) – en sachant que même si un procès et un jugement avaient lieu avant l’élection (hypothèse presque fictionnelle à force d’improbabilité), Trump, du fond de sa prison humide, pourrait tout de même être élu président des États-Unis d’Amérique.
« Nombreux sont ceux qui se réjouissent de ce que le Drudge Report a qualifié de “chute du Parrain”. Cependant, détruire Trump dans un scandale, c'est comme essayer de noyer un lamantin : les deux sont dans leur élément.
» Le fait est que de nombreuses personnes verront dans cet acte d'accusation la confirmation de leurs pires attentes à l'égard de Trump ou du ministère de la justice.
» Il sera difficile d'obtenir un procès avant l'élection présidentielle de 2024. Même si le ministère de la justice insistait pour qu'un procès ait lieu, les juges seraient probablement réticents à l'idée de juger cette affaire plusieurs mois avant l'élection. Quoi qu'il en soit, Trump, s'il est réélu à la Maison Blanche, pourrait se gracier avant ou après une éventuelle condamnation.
» La façon dont le ministère de la justice procédera à partir de maintenant confirmera ou réfutera les allégations de partialité politique. »
Turley vaticine, cite le cas du président Grant comme précédent du cas Trump, rappelle les diverses facettes de la personnalité de Trump, pour s’arrêter à une question : pourquoi ? Oui, pourquoi Trump n’a-t-il pas obtempéré aux injonctions du FBI qui en avait besoin pour mener son enquête et qui ne contenaient rien qui ne soit connu des enquêteurs ? Pourquoi n’a-t-il pas coopéré dans un domaine où un tel comportement ne lui coûtait rien du tout ? Car c’est bien là, dans cette attitude de refus, que se situe l’accusation la plus grave, et cette accusation-là absolument fondée, indéniable, objectivement considéré comme un délit extrêmement sérieux : “obstruction à la justice”
« En ce qui concerne Mar-a-Lago, l'inclusion d'une accusation au titre de la loi sur l'espionnage est quelque peu surprenante, compte tenu des nouvelles questions juridiques entourant le traitement de tels documents. Toutefois, l'inclusion d'accusations de fausse déclaration et d'obstruction est ce que beaucoup d'entre nous avaient prédit depuis le début. Ce sont les chefs d'accusation préférés des procureurs fédéraux ; ils sont plus faciles à prouver et peuvent être présentés comme des infractions autonomes. [...]
» Depuis deux ans, je ne cesse de répèter que les accusations concernant Mar-a-Lago, – en particulier l'obstruction, – représentent la plus grande menace pour Donald Trump. On ne comprend toujours pas pourquoi Trump a tenu bon à propos de ces documents au lieu de les rendre. (Il pouvait pourtant continuer à avoir accès à eux aux National Archives.) Il savait qu'il était peu probable qu'il bénéficie de la moindre indulgence de la part du ministère de la justice. Pourtant, il a laissé cette controverse collatérale saccager sa campagne. »
Et là, le propos de Turley est nécessairement suspendu à ce constat : “saccager sa campagne” (“consumate his campaign”, écrit Turley). Est-ce bien sûr ? S’agit-il de sa campagne électorale que Trump a saccagé, ou bien ne s’agit-il pas plutôt du fait que le saccage de sa campagne (à cause d’une mesure inique, selon Trump) devient sa campagne électorale pour les présidentielles ?
Bien entendu ! Turley parle d’“une méthode” dans la folie du candidat, comme Descartes parle du ‘Discours’, comme Nixon évoque sa ‘Madman Theory’. Il s’agit de faire du comportement le plus irrationnel qui soit (la folie) un instrument dont le maniement rationnel conduira à des victoires irrésistibles (« there could be a method to the madness ») ; il n’est pas de meilleur outil pour Donald Trump que Donald Trump lui-même... Et l’élection devenant alors une sorte de référendum où le jury du tribunal serait le peuple des Etats-Unis lui-même : RIP, ou “Référendum d’Initiative Populaire”, prononçant le verdict d’une (ré)élection triomphale, tandis que Joe Biden serait irrésistiblement “cancellé”, selon le terme de sa doctrine favorite.
« Mais une fois de plus, la campagne est centrée sur Trump. Finalement, il pourrait y avoir une méthode dans cette folie, puisque Trump cherche à faire juger cette affaire par le public.
» En effet, le jury ultime dans cette affaire pourrait s'avérer être le peuple américain. Les élections de 2024 pourraient devenir un référendum sur cette affaire. Je soutiens depuis longtemps que les présidents peuvent se gracier eux-mêmes, et Trump pourrait bien utiliser sa photo d'identité judiciaire comme affiche de campagne. »
Turley prend alors un ton grave, pour conclure son hypothèse. Il n’est pas question de se laisser emporter par la loufoquerie d’un tel bouffon. Il est question plus simplement de constater que cette loufoquerie contient ce qu’il faut de tragédie (tragédie-bouffe), car, en vérité, Trump mettra en jeu sa liberté, c’est-à-dire, à son âge, rien d’autre que sa vie, à jouer avec une accusation qui est sanctionnée par de très lourdes peines (10-20 ans de prison). Qu’importe : il a le peuple avec lui ! Personnage bouffe jusqu’au bout, après tout digne de la crise d’ivresse et d’effondrement qui emporte l’Amérique.
« Les sondages montrent que la majorité des Américains ont de sérieux doutes quant à l'indépendance et à l'intégrité du FBI. De nombreux électeurs sont sceptiques face à une nouvelle allégation criminelle juste avant une élection présidentielle.
» Trump fait maintenant face aux accusations criminelles les plus graves de sa carrière. S'il obtient gain de cause et que Trump n'est pas gracié par lui-même ou par l'un de ses concurrents républicains (ou même par un Joe Biden magnanime), il pourrait s'agir d'une menace mortelle. À 76 ans, il est peu probable que Trump survive à un séjour en prison, même si les peines maximales prévues par ces chefs d'accusation ne lui sont pas imposées.
» Il se rendra mardi, mais ce ne sera que le début d'un combat existentiel pour lui. »
Mardi, aujourd’hui, Trump comparaîtra devant une cour, en Floride, pour déterminer ce qu’il peut et ne peut pas dire durant sa campagne électorale de son inculpation. Il se battra rudement, appuyé sur “son” Deuxième Amendement sur la liberté d’expression...
« Si l’on se base sur son comportement habituel, Trump suscitera des affrontements plus qu’il ne cherchera à les éviter... »
On avouera que l’hypothèse de Turley, qui n’est exprimée qu’avec discrétion, entre les lignes, a ceci de séduisant, – comme déjà suggéré plus haut, – qu’outre de convenir parfaitement au narcissisme fou du personnage, elle convient encore mieux à la folie de la situation américaniste.
C’est un coup d’État que tenterait Trump, mais un coup si complètement fou qu’il pourrait prendre le DeepState à son propre piège car il hausserait l’enjeu au plus haut possible. La bataille dont le peuple serait l’arbitre, le juge et le jury, réclamerait nécessairement une victime. Si ce n’est Trump au cas où il remporterait la victoire aux présidentielles, ce serait le FBI avec le DoJ dans sa musette qui en seraient les victimes nécessaires et absolument expiatoires.
Cet espèce de “Jugement de Dieu” obligerait Trump à affronter le monstre jusqu’à sa destruction complète, – ce qu’il n’a fait jusqu’ici qu’en surface. « Combat existentiel » pour Trump, certes, mais également, dans l’hypothèse contraire, pour le DeepState et pour les Etats-Unis eux-mêmes, tels qu’ils sont devenus comme Ennemi de l’humanité.
Mis en ligne le 12 juin 2023 à 15H15
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