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5789Le président ukrainien Zelenski a commencé la deuxième année de sa guerre avec de sombres perspectives à l’esprit et une fermeté douteuse dans le verbe. Il a “averti” les Américains qu’ils risquaient gros s’ils hésitaient à poursuivre leur soutien à l’Ukraine, s’ils songeaient à le réduire, enfin s’ils commençaient à le réduire effectivement. Nous dirions que cet “avertissement” n’est pas malvenu ni infondé, du moins considéré objectivement et si l’on estime que la politique de l ‘hégémonie maximale des USA, dite “politiqueSystème”, est la meilleure chose pour les USA.
Il est assuré que cet “avertissement” vient à son heure et qu’il n’est ni innocent ni gratuit. Au contraire, il est extrêmement documenté et il n’est certainement pas une initiative du seul Zelenski. Voyons plus précisément, quoique sans véritable surprise, ce que le président ukrainien a à l’esprit et les mots qu’il a choisis pour traduire cet état de l’esprit.
« Le président ukrainien Vladimir Zelenski a averti les Américains qu’ils devaient continuer à soutenir l'Ukraine s’ils voulaient conserver leur position géopolitique, lors d'une conférence de presse organisée à l’occasion de l'anniversaire de l'opération militaire russe dans le pays. S’ils cessent de financer l'effort de guerre de Kiev, les États-Unis “perdront la position de leader dont ils jouissent dans le monde”, a déclaré le dirigeant ukrainien vendredi.
» “S'ils ne [modifient pas cette tendance...], ils perdront l'OTAN, ils perdront l'influence des États-Unis, ils perdront la position de leadership dont ils jouissent dans le monde”, a déclaré Zelenski, à la suite d'un discours où il avait déclaré que 2023 serait “l'année de l'invincibilité” et juré d'unir le monde contre la Russie.
» Cet avertissement répondait à un journaliste qui lui demandait ce qu’il dirait au “nombre croissant d'Américains” qui estiment que leur pays accorde trop d'argent et de soutien à l'Ukraine. Le président a tenu à remercier ses partisans américains, – un groupe qui, selon lui, ne comprend pas seulement le Congrès et le président Joe Biden, mais aussi “les chaînes de télévision” et “les journalistes”, – avant d’avertir ceux qui ont l’opinion “dangereuse” que les États-Unis devraient “abandonner” Kiev.
» “Les États-Unis n'abandonneront jamais un État membre de l'OTAN", a déclaré Zelenski, insistant sur le fait que si l'Ukraine devait tomber en raison du manque de soutien de Washington, la Russie “entrerait dans les États baltes, des États membres de l'OTAN, et les États-Unis devraient alors envoyer leurs fils et leurs filles exactement de la même manière que nous envoyons nos fils et nos filles à la guerre”.
» “Ils vont mourir”, a souligné le président ukrainien.
» Il a ajouté que l'interruption du flux de dollars vers l'Ukraine ferait également perdre aux États-Unis “le soutien d'un pays de 40 millions d'habitants, avec des millions d'enfants. Les enfants américains sont-ils différents des nôtres ?” a-t-il demandé. »
Il ne fait aucun doute que Zelenski exprime dans ces quelques mots une crainte qui, si elle est sincère, ne vient certainement pas entièrement de son jugement ; même chose pour le moment choisi et le caractère particulièrement dramatique de l’“avertissement”. Zelenski parle selon un script qui lui est soufflé par ses amis neocons, dont Victoria Nuland est l’exemple le plus achevé et le plus emblématique.
Par conséquent, il nous en dit beaucoup plus que ce qu’il nous dit, et beaucoup plus sur la situation aux États-Unis que sur la situation en Ukraine, bien entendu…
Ce que nous devons d’abord observer, d’une manière générale, c’est que grande est l’inquiétude du ‘War Party’ washingtonien (neocon en tête) pour la situation intérieure aux USA, pour ce qui concerne le soutien à la guerre. L’intervention de Zelenski elle-même en est un signe, et plus encore dans les termes qu’il emploie et les situations qu’il décrit.... Finalement, pour l’avoir poussé à dire ce qu’il dit “vraiment” il faut vraiment que leur inquiétude soit encore “plus grande que grande”, – nous dirions, “considérable”.
Ce que voit le ‘War Party’, que nous avons décrit peu à peu ces derniers mois, c’est cette situation où il se trouve de “possession du pouvoir” confrontée à de plus en plus de difficultés, multiples et diverses, venant de plusieurs côtés, parfois sinon souvent peu coordonnés. C’est ce qu’on pourrait désigner comme un “mouvement de fond” venu de diverses fractions du public et de l’appareil politique. Cela implique de riposter également de diverses façons dont certaines peuvent se contredire.
Faisons un rapide décompte de ces difficultés “multiples et diverses”.
• Les républicains n’ont pas gagné les élections de novembre 2022 aussi massivement qu’ils l’espéraient, loin de là. Le résultat paradoxal, on l’a vu, c’est que leur majorité à la Chambre tient à un groupe de jeunes populistes très à droite (le ‘Freedom Caucus’), opposés aux guerres expansionnistes par réflexe nationaliste et néo-isolationniste. Cette position fait, comme on l’a vu également, qu’ils tiennent des postes-clef à la Chambre, et une influence à mesure, qui tend à réduire massivement l’influence de la majorité-Système du parti (les RINO, ou ‘Republicans In Name Only’). Ces jeunes parlementaires se montrent très actifs, en plus de détenir des postes-clef, comme cette initiative très récente de Marjorie Taylor-Greene proposant une action législative pour exiger un audit détaillé sur les sommes d’aide allouées au Zelenskistan de Kiev. On ignore si cette demande précise aboutira à un acte de la Chambre mais on fait l’hypothèse que ce groupe ne cessera pas d’agir qu’il n’ait obtenu gain de cause ici ou là.
« Il a suffi d’une vingtaine de députés venus du ‘Freedom Caucus’ (officiellement des trumpistes, mais surtout des populistes qui ne vont pas nécessairement prendre leurs ordres chez Trump, – la preuve, puisque Trump soutenait McCarthy ! – ni chez personne d’autres) pour tenir en échec le puissant groupe républicain, la nomination du ‘Speaker’ et le fonctionnement même du Congrès. Cela signifie que la “terrible twenty” est faite de gens, souvent jeunes d’ailleurs et très-populistes, qui tiennent extrêmement fermes sur leur position et s’y entendent à exploiter toutes les ficelles des règlements du Congrès et de la Constitution, certaines archaïques et sorties du grenier des Founding Fathers. »
• Cette pression ne vient pas des seuls parlementaires ‘Freedom Caucus’, elle représente à notre sens un courant populaire de plus en plus fort, renforcé par les extraordinaires maladresses du pouvoir (plus de 100 $milliards donnés à Zelenski, une visite à Kiev de Biden, pendant que l’Ohio se débat avec la catastrophe de East Palestine, sorte de “Tchernobyl américain” ; Biden l’a superbement ignoré pendant que Trump se rendait sur place). Le résultat est que les présidentielles de 2024, déjà commencées chez les républicains où DeSantis est plus populaire que Trump, ont de ce côté un accent nationaliste nettement opposé à l’aide à l’Ukraine, – que ce soit Trump ou DeSantis, et les autres… Pour l’instant, la course à la présidence importe peu, ce qui importe c’est qu’elle est marquée par le développement de ce climat anti-zélenkiste qui prend un caractère global en se confondant désormais avec, – justement dit, – un anti-globalisme et une hostilité extrême au parti démocrate et à ses délires sociétaux (LGTBQ et le reste).
• En effet, le parti démocrate n’est pas au mieux de sa forme. Il reste résolument “progressiste” dans un monde où le Progrès signifie de plus en plus effondrement des structures, dissolution des mœurs, technologies devenues incontrôlables, folies de l’argent sur papier imprimé et virtuel, – bref, agonie d’une civilisation qui ne peut concevoir de concevoir la possibilité de l’agonie. De ce fait multiplié dans toutes les tendances, le “peloton de tête” du parti démocrate est lui-même est résolument “progressiste” : un vieillard de près de 80 ans atteint de dementia senile, avec, pour le remplacer si l’on venait à se trouver dans l’aimable obligation de le mettre au placard, une vice-présidente exceptionnelle par son inexistence, son inexpérience, son incompétence, son incapacité à s’affirmer en quelque matière que ce soit. Il est alors tout à fait logique que cet affreux assemblage s’affirme comme le plus ferme soutien de Zelenski, – qui se ressemble s’assemble, – et que l’inquiétude de Zelenski soit également le reflet de celle du parti démocrate.
Toutes ces embrouilles et ces tensions ne sont ni gratuites ni passagères. Elles reflètent parfaitement l’état de l’Amérique, l’état d’esprit de sa population et l’allure vertigineuse de sa déconstructuration. Elles s’inscrivent complètement dans la crise profonde qui fracture et désintègre à la fois le pays. Ainsi, en reflétant au fond à la perfection “ces embrouilles et ces tensions”, en applaudissant un camp (qui le soutient) pour menacer l’autre (qui ne le soutient pas), Zelenski s’inscrit parfaitement dans la crise de l’américanisme, qui n’est qu’un des prête-noms de la GrandeCrise secouant pour la désintégrer notre civilisation. On comprend que nous ne fassions que répéter que, pour connaître l’avenir de l’Ukraine, il suffit de s’attacher à celui de l’Amérique : les deux font la paire au point qu’on les confondrait.
On notera également, ultime remarque concernant cette intervention, cette façon charmante qu’a eue Zelenski de nommer et de remercier ceux qui le soutiennent, en détaillant tous les membres du “groupe” où l’on cherche en vain les Sans-Domicile-Fixe de San Francisco et les habitants de East Palestine, dans l’Ohio :
« un groupe qui, selon lui, ne comprend pas seulement le Congrès et le président Joe Biden, mais aussi “les chaînes de télévision” et “les journalistes”… »
Cette façon d’accorder un satisfecit aux chaînes-TV et aux journalistes, c’est-à-dire à la presseSystème superbement alignée sur la ligne de pensée du Parti, est une charmante reconnaissance, presque ingénue et naïve, du rôle joué par le système de la communication dans son aventure. C’est le salut d’un comédien aux moyens de communication qui ont parfaitement accompli leur travail de promotion. Tous les architectes du simulacre sont alignés, pour que nul ne s’y trompe.
Mis en ligne le 26 février 2023 à 18H50