RapSit-USA2023 : Nuland en prime time

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RapSit-USA2023 : Nuland en prime time

Haro sur Nuland... Ceci est du jamais-vu : l’attaque lancée contre Victoria Nuland, haute-fonctionnaire de l’administration mais nullement ministre (elle est sous-secrétaire d’État pour les affaires internationales), successivement par trois personnalités publiques de différents niveaux et milieux. L’attaque s’appuie sur une accusation d’une gravité sans précédent, se rapportant indirectement ou directement à la volonté et les manigances qui l’accompagnent, que Nuland déploierait et utiliserait pour déclencher une Troisième Guerre mondiale. Tout se passe dans cette situation, comme si ni Biden, ni Blinken, – les deux autorités hiérarchiques de Nuland, –n’existaient, et cela dans une perspective à la fois de crise internationale majeure (‘Ukrisis’), à la fois de perspective électorale importante (les présidentielles de 2024) ; comme si Nuland était en vérité la personne qui détermine et exécute la partie le plus grave et la plus importante actuellement de la politique de sécurité nationale des États-Unis

Les trois attaques sont les suivantes :

• Une attaque du candidat Donald Trump, d’ores et déjà en campagne. Si sa cible est d’une façon générale le Complexe Militaro-Industriel (CMI), sa promesse opérationnelle est de terminer aussitôt élu la guerre en Ukraine. A ces deux propos, il met nommément en accusation Victoria Nuland pour son action en Ukraine depuis 2014, y compris le coup d’État de Kiev de février 2014.

« Le “complexe industriel de sécurité nationale” qui a poussé les États-Unis plus près que jamais de la Troisième Guerre mondiale doit être démantelé, déclare l'ancien président Donald Trump dans une nouvelle vidéo de la campagne 2024.

» “Pendant des décennies, nous avons eu les mêmes personnes, comme (la sous-secrétaire d'État) Victoria Nuland, et beaucoup d'autres comme elle, obsédées par le fait de pousser l'Ukraine vers l'OTAN, sans parler du soutien du département d'État aux soulèvements en Ukraine”, a déclaré Trump.

» Depuis l'époque où elle était ambassadrice des États-Unis auprès de l'OTAN, pendant le second mandat du président George W. Bush, Victoria Nuland a soutenu l'expansion de l'OTAN jusqu'à la frontière russe.

» En tant que figure clé de la sécurité nationale dans l'administration Obama, Nuland a été un acteur clé du complot américain de l'époque pour renverser le gouvernement élu de l'Ukraine. »

• Elon Musk est intervenu le même 22 février, par un tweet qui a fait beaucoup de vagues : « Nobody is pushing this war more than Nuland ». Bien évidemment, en raison de la personnalité de l’intervenant et de la rareté (en diminution) de ses interventions politiques qui donne d’autant plus de force à celles qu’il fait, l’intervention de Musk a suscité beaucoup de réaction sur les réseaux, et beaucoup moins dans la presseSystème. RT.com n’a évidemment pas raté l’affaire :

« “Personne ne pousse” plus à la guerre en Ukraine que la fonctionnaire du département d'État américain Victoria Nuland, a déclaré mercredi Elon Musk, PDG de Twitter. Nuland, qui a contribué à orchestrer le coup d'État pro-occidental à Kiev en 2014, a soutenu les frappes militaires sur le territoire russe de Crimée.

» La déclaration de Nuland jeudi dernier, selon laquelle les bases militaires russes en Crimée sont des “cibles légitimes” pour les forces ukrainiennes, a été interprétée par le Kremlin comme une preuve de “l’implication des États-Unis dans le conflit ukrainien”. Dans un message publié sur Telegram, l'ancien président russe Dmitri Medvedev a prévenu que Moscou répondrait à de telles attaques “en utilisant des armes de toutes les sortes”.

» “Personne ne pousse plus à cette guerre que Nuland”, a écrit Musk, qui a déjà averti qu'une guerre nucléaire pourrait éclater à moins que l'Ukraine n'abandonne ses revendications sur la Crimée et que les deux parties n'acceptent des pourparlers de paix. »

• Une troisième intervention mettant en cause Victoria Nuland personnellement vient d’un parlementaire républicain, de la tendance populiste regroupée au sein du ‘Freedom Caucus’ (Trump en est proche, bien entendu). Paul Gosar est l’un des membres de la “terrible vingtaine” identifiée au sein du groupe républicain de la Chambre, dont les membres occupent des postes-clef dans l’assemblée et qui ne cessent de multiplier les attaques contre la politique ukrainienne de Biden.

Il s’agit d’une intervention suscitée par l’article de RT.com sur Musk, ce qui montre l’enchaînement à l’œuvre chez les antiguerres en général et la droite populiste en particulier, pour trouver une cible personnalisée représentant l’engagement en Ukraine d’une façon particulièrement spectaculaire. Nuland traîne un certain nombre de casseroles bruyantes dont le coup d’État de Kiev de février 2014, et une attaque contre elle  devient par conséquent un bon moyen de mobiliser l’attention du public, et de personnaliser, donc d’exprimer, son opposition plus que probable de ce même public à l’engagement US en Ukraine.

« De hauts responsables du département d'État américain tentent d'impliquer le pays “dans une autre guerre mondiale” avec la Russie, a tweeté vendredi Paul Gosar, parlementaire à la Chambre des Représentants, élu dans l’Arizona.

» En réponse à un article de RT sur Musk accusant Nuland de “pousser à cette guerre” en Ukraine, Gosar a déclaré que le milliardaire “a raison”. “Nuland et Blinken ont tous deux une haine irrationnelle profondément enracinée de la Russie, et ils cherchent à impliquer les États-Unis dans une autre guerre mondiale”, a-t-il poursuivi. "Ce sont des fous dangereux qui peuvent tous nous faire tuer”. »

“Et comment, bon Dieu ! C’est moi !”

Ce qu’il nous importe de montrer, c’est l’originalité et l’efficacité (pour la cause inverse) qu’apporte dans le débat public la mise en cause comme acteur n°1 du désastre d’une personne comme Victoria Nuland, – une personne sans la fonction, sans la stature, sans une position d’“en-dessus” qui, dans un pays conformiste et censuré comme les USA, interdit en général des attaques d’une violence telle qu’elles font éclater certaines vérités. C’est le cas de Nuland, qui ne dispose pas d’une protection de position : voyez un article général (23 février) concernant les récents événements et quelques précisions sur son passé (de son vraie nom Nudelman, de parents nés en Moldavie et en Biélorussie) ; avec notamment deux références de haute tenue, deux articles du prestigieux journaliste de la vraie gauche, Robert Parry, de juillet 2015, sur Victoria et « le bordel qu’elle a foutu en Ukraine », et sur l’“affaire de famille” Kagan-Nuland.

Notes de PhG-Bis : « Lors de la première rencontre, en mars 2013, entre Lavrov et John Kerry (qui remplaçait Hillary Clinton au département d’État), les deux ministres étaient avec leurs porte-paroles, Maria Zakharova pour Lavrov et Jan Psaki pour Kerry. Au cours d’une promenade à deux dans le jardin du lieu de la rencontre, Lavrov, qui avait eu à subir de loin les vitupérations de Victoria Nuland précédant Psaki comme porte-parole d’Hillary, félicita Kerry de s’en être débarrassé. Kerry le reprit : “Mais elle reste, elle devient chargée des affaires européennes au département”. Lavrov eut du mal à cacher sa déception. Plus loin, Kerry lui dit, et j’ignore si c’est une allusion à la présence continuée de Nuland : “Chez nous, le secrétaire d’État ne fait pas ce qu’il veut”. »

Nous disons que c’est une première dans l’Amérique moderne qu’une telle situation existe. Il y a eu des personnages de cette sorte : sans position de l’“en-dessus” interdisant pratiquement à des actes ou à des événements troublants de leur carrière de compromettre leur destin, et jouant pourtant un rôle important à leurs risques et périls — comme le sénateur Joseph McCarthy ou le général LeMay. Mais aucun n’était en position d’interférer sur la marche sur le long terme de la “politiqueSystème” qui gouverne l’Amérique, même pas un LeMay qui n’a jamais réussi à provoquer les Soviétiques avec ses B-52. Victoria Nuland et sa soudaine célébrité, qui véhicule notamment l’acte d’un coup d’État (février 2014) déclencheur de la crise ukrainienne, de 2014 à 2023 et au-delà, est dans cette position-là qui est pleine de possibles circonstances explosives. Elle est l’archétype, l’icône et le symbole de ce mystérieux clan des neocon qui infeste depuis deux-trois décennies la politique américaniste, jusqu’à la faire absolument “politiqueSystème” et s’approcher du but suprême de l’affrontement avec la Russie.

Nuland n’a pas sa langue dans sa poche, comme on l’a vu lors de l’audition au Sénat sur NordStream2, où elle revendiqua quasiment l’“honneur” de pouvoir se réjouir d’une opération dont tous comprenaient évidemment qu’elle en était la conceptualisatrice. C’est dire que ceux qui l’attaquent trouveront à qui parler, – mais plutôt pour leur satisfaction, pour faire éclater quelque énorme pétard... Ce n’est pas pour rien que le tandem Mercouris-Christoforou a intitulé la vidéo consacrée à cette audition du 26 janvier, d’une réplique de l’échange fameux qui termine ce film opposant dans un tribunal militaire un jeune officier de la Navy dans le rôle de l’avocat (Tom Cruise) et un colonel des Marines couturé de cicatrices dans le rôle du témoin devenant le coupable (Jack Nicholson)

— Avez-vous donné l’ordre d’appliquer le ‘Code Rouge’ ?!

— Et comment bon Dieu ! Bien sûr que je l’ai donné !

Il suffit de remplacer “appliquer le Code Rouge” par “saboter NordStream” et vous avez l’attitude générale de Nuland, qui fait qu’elle ne parvient pas à dissimuler, dans ses “instants de grâce” certes mais aussi dans son comportement général, cette activité déconstructionniste dont elle est si fière... Donc, nullement protégée par une fonction de l’“en-dessus”, pleine d’hubris pour les opérations qu’elle conduit gaillardement, elle est la personne dangereuse par excellence, une sorte de bombe à retardement, qui devrait normalement rester à l’arrière-plan comme elle l’a fait jusqu’ici, comme exécutante plus discrète.

Mais avec un président inexistant (bien qu’il ait participé au “coup de Kiev”) et un secrétaire d’État qui n’est pas extrêmement sexy et ne prend pas trop de risque dans la communication, Nuland est aisément placé au centre de la dynamique de cette communication, et c’est ce qui commence à se passer. Avec elle, le débat peut prendre des allures explosives dans la tension générale qui monte et la Troisième Guerre mondiale qui a promis qu’elle serait au rendez-vous.

 

Mis en ligne le 25 février 2023 à 18H55