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6281Symboliquement, le coup est rude pour Zelenski, dont l’audience, l’influence et le prestige si mérités sont d’une dimension globale au sens américaniste (hollywoodien) du terme. Politiquement, il faudra attendre un peu, mais il y a de fortes chances pour que le coup soit encore plus rude. Il s’agit du refus du ‘Speaker’ de la Chambre des Représentants, le républicain Kevin McCarthy, de se rendre à Kiev à l’invitation pressante du président Zelenski.
Pourtant, l’invitation de Zelenski est enrobée de grâces respectueuses et de conditions aimables indiquant que le président ukrainien se garde bien de vouloir forcer la main du ‘Speaker’ (n°2 du gouvernement outre le vice-président et véritable maître du Congrès), – auquel, on le sent bien, il voue une infinie considération. Il ne veut qu’une chose, Zelenski, il veut “aider” Mister Speaker McCarthy à faire son travail d’une si haute importance
» Le président ukrainien Vladimir Zelensky a invité le président de la Chambre des représentants des États-Unis, Kevin McCarthy, à se rendre à Kiev afin de “l'aider à définir sa position” sur l'aide militaire au pays.
» “M. McCarthy doit venir ici pour voir comment nous travaillons, ce qui se passe ici, quelle guerre nous a causés, quelles personnes se battent actuellement, qui se battent actuellement. Ensuite, il devra faire des suppositions”, a déclaré M. Zelenski à CNN mercredi. »
CNN s’est aussitôt précipité vers McCarthy pour lui demander quelle était sa position, puis sa réponse, ou bien d’abord sa réponse et la position qui la justifie. L’intervieweur n’a pas manqué de rappeler qu’ils ont été des dizaines de parlementaires, démocrates mais aussi républicains, – et comment ! –, à faire ce voyage. Dame Pelosi, qui a précédé McCarthy à la tête de la Chambre jusqu’en janvier de cette année, et bien entendu Joe Biden il y a quelques jours, ont effectué cette visite qui a pris des allures de rite et de communion dans une sorte de grand’messe, dans les rangs des directions de l’“Ouest-collectif”.
« McCarthy n'a pas fait le voyage et a déclaré à CNN qu'il n'avait pas l'intention de changer cela. “Soyons très clairs sur ce que j'ai dit : pas de chèque en blanc [à Zelenski], d'accord ? Donc, de ce point de vue, je n'ai pas besoin d’aller en Ukraine pour comprendre s'il y a un chèque en blanc ou non”, a-t-il affirmé. “Je continuerai à être informé, mais je n'ai pas besoin d'aller en Ukraine ou à Kiev pour le voir”. »
La décision n’est pas politiquement considérable certes mais le ton est symboliquement assez méprisant, comme si Zelenski n’avait pas vraiment d’importance. C’est à ce point où le symbolique rejoint le politique, car le poids politique de Zelenski repose à 90%-95% sur sa valeur symbolique, ou plutôt sur le simulacre symbolique que le bloc-BAO devenu assez joliment “Occident-collectif” a fabriqué autour de lui pour avoir une référence morale qui justifie les incommensurables stupidités de sa politique (celle du bloc). Aller lui rendre visite, c’est comme aller à Lourdes quand on a des démangeaisons d’une pandémie de communication.
Par conséquent, McCarthy se montre extrêmement vachard avec la statue considérable qui soutient pour l’instant l’engagement le plus considérable de notre-civilisation. Il laisse tout simplement sous-entendre qu’il est inutile d’aller voir Zelenski, comme si Zelenski ne comptait pas, et qu’il suffit de signer un chèque très contrôlé, comme tout bon businessman américaniste, – et encore, pour combien de temps ? Si ce n’est se montrer vachard par ces temps d’affectivisme où l’on pleure si facilement sur le sort de nos héros de carton-pâte, portant tee-shirt kaki sur l’arrière de la ligne de feu !
Mais McCarthy s’en fiche. Ce n’est pas dire qu’il n’a pas sacrifié au veau d’or du simulacre en d’autres temps (il a voté l’aide friquée à Zelenski lors de la précédente législature), – c’est dire crûment que les conditions sont objectivement différentes. Il a pris durant la campagne électorale pré-novembre 2022 une orientation plus regardante concernant l’aide à l’Ukraine (“pas de chèque en blanc”), parce qu’il sait que cela rejoint le sentiment de ses électeurs. D’autre part, on a vu comment McCarthy a été pris amicalement en otage par les jeunes loups du parti, la “terrible twenty”, devenus paradoxalement très puissants malgré leur petit nombre, à cause de la marge étroite qui forme la majorité de McCarthy.
C’est vraiment une bien curieuse situation, d’autant que l’accord entre McCarthy et les terreurs de la “terrible twenty” comprend cette étonnante disposition de la possibilité d’une sorte de destitution du ‘Speaker’ de sa fonction essentielle, qui est comme une épée de Damoclès maintenue par les amis vigilants...
« L'une des concessions faites par McCarthy à ce groupe est une mesure qui lui permettrait d'être démis de ses fonctions de président avec seulement cinq voix, ce qui signifie qu'il doit s'efforcer de garder les sceptiques de son côté. »
Ainsi la mécanique a-t-elle l’air de marcher, celle que décrivions il y a peu comme une sorte de “dictature d’une minorité” d’une nouvelle forme, au sein du fonctionnement du Congrès US. Cela rappellerait presque la IVème République de la République Française, – mais pour la meilleure cause du monde dans le cas US, celle de l’agitation permanente, – lorsque Mitterrand, avec ses quelques députés de l’UDSR, faisait l’appoint pour une minorité ric-rac d’un nouveau gouvernement, obtenant en échange des postes, des privilèges et des avantages disproportionnés.
« Une appréciation acceptable est qu’en effet, même si l’on ne trouve au départ qu’un groupe assez limité d’activistes républicains, cet activisme va nécessairement faire tache d’huile avec un ‘Speaker’ à l’autorité affaiblie, et une très grande tension intérieure née de plus de six années de troubles et d’incertitudes autour des grandes institutions du pouvoir à Washington D.C. L’idée est qu’un petit nombre de trublions ne vont pas être étouffés sous le poids d’une masse plutôt amorphe au Congrès, mais vont au contraire déchaîner en affrontements des tensions jusqu’ici difficilement contenues. Tout cela se passerait à un moment où les deux partis sont “unis” dans une entreprise d’affrontement par la haine qu’ils se vouent l’un pour l’autre. »
... Dans tous les cas, cet épisode conforte les craintes que Victoria Nuland a déjà exprimées sur l’affaiblissement notable du soutien US à Zelenski, et sur le redoutable écueil que constitue la Chambre dans sa configuration actuelle. Il ne fait évidemment aucun doute que l’initiative de Zelenski (l’invitation faite à McCarthy) lui a été recommandée par le groupe neocon dont Nuland est l’un des poids lourds. Ils ont des soucis à se faire.
Mis en ligne le 9 mars 2023 à 15H00