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6087Il nous semble désormais évident que les généraux du Pentagone constituent, aux USA, la force principale s’opposant aux prétentions et aux ambitions de l’Ukraine. Cette opposition est désormais affirmée au sein des organes de direction, à l’issue d’une audition secrète de représentants du Pentagone, dont sans doute le président du JCS Milley, devant la Commission des Forces Armées de la Chambre. Il faut aussitôt remarquer que le président de cette Commission, Mike Rogers, républicain de l’Alabama, représente la nouvelle tendance “dure” de l’aile populiste/Trump, en général pas très enthousiaste pour les guerres. Là aussi, il y a du nouveau, les républicains placés aux postes d’influence de la Chambre représentant souvent, comme Rogers, une position assez proche de celle des militaires sur ce cas.
Les témoignages des gens du Pentagone l’ont donc satisfait, confirmant que le général Miley et ses généraux se fixent de plus en plus dans une position d’hostilité à toute tentative ukrainienne de récupérer la Crimée, qu’il juge hors des capacités de l’armée ukrainienne. (Le rapport de cette audition/de l’article de ‘Politico’ qui dévoile ces péripéties, est de Dave DeCamp, de ‘Antiwar.com’.)
« La semaine dernière, de hauts responsables du Pentagone ont déclaré aux législateurs de la Commission des services armés de la Chambre des représentants, lors d'un briefing classifié, qu'il était peu probable que l'Ukraine reprenne la Crimée à la Russie, a rapporté l’hebdomadaire en ligne ‘Politico’ mercredi, citant des personnes familières avec le briefing.
» Le briefing reflète d'autres rapports récents selon lesquels les responsables américains ne pensent pas que l'Ukraine ait la capacité de prendre la péninsule, que la Russie contrôle depuis 2014. Le président des chefs d'état-major interarmées, le général Mark Milley, a déclaré en novembre dernier que la probabilité que l'Ukraine chasse la Russie du territoire qu'elle a conquis depuis février dernier et de la Crimée n'était “pas élevée”.
» Milley a réitéré ce point le 20 janvier. ”Je maintiens toujours que pour cette année, il serait très, très difficile d'éjecter militairement les forces russes de toutes leurs positions, – chaque pouce de l'Ukraine et de l'Ukraine occupée, – du territoire occupé par la Russie”, a-t-il déclaré. »
Bien que Rogers n’ait fait aucune déclaration sur le briefing lui-même, ‘Politico’ a donné diverses précisions et déclarations de Rogers selon ses sources. D’une façon générale, l’audition a provoqué un certain émoi en raison de la position des militaires et les conclusions qu’en tire Rogers, qui veut que la guerre soit terminée cet été. Certaines ambiguïtés subsistent, avec d’autres interventions témoignant de l’insatisfaction, pour dire le moins, des neocons et des partisans de la guerre.
Le gouvernement ukrainien est décrit comme « furieux » des divers commentaires de Miley, la reprise de la Crimée étant l’argument principal de leur narrative de communication conforme au simulacre que constitue la description de la situation des pro-Zelenski.
Toujours selon DeCamp, les affirmations principales du président de la commission Mike Rogers, rapportées par ‘Politico’, montrent une vision tout à fait différente de la politique officielle US ; notamment de la politique de la Maison-Blanche, pour laquelle la livraison de chars ‘Abrams’ a pour but spécifique de permettre à l’Ukraine de reprendre la Crimée, – tout cela faisant un joli désordre washingtonien...
« Selon ‘Politico’, Rogers a déclaré que la guerre devait “prendre fin cet été” et que les États-Unis devaient rapidement approvisionner Kiev en vue d'une prochaine offensive. Il a également indiqué que les États-Unis pourraient essayer de faire pression sur le gouvernement du président ukrainien Zelenski pour qu'il ait une idée plus réaliste de la victoire et a déclaré que “la Russie ne va jamais abandonner et renoncer à la Crimée”.
» ”Qu'est-ce qui est faisable ? Je ne pense pas que l'on soit encore d'accord là-dessus. Je pense donc qu'il va falloir que notre gouvernement et les dirigeants de l'OTAN exercent une certaine pression sur Zelenski pour savoir à quoi ressemble la victoire”, a ajouté M. Rogers. “Et je pense que cela nous aidera plus que tout à pousser Poutine et Zelenski à la table des négociations pour mettre fin à cette affaire cet été”. »
On remarquera la démarche roborative de Rogers qui explique qu’il serait peut-être temps d’expliquer à Zelenski ce qu’est une “victoire”, qui est finalement la simple adaptation sémantique à une défaite qu’on vient de subir. Les USA connaissent la méthode : il suffit de proclamer la victoire et de quitter le pays où l’on est venu apporter la démocratie pour en repartir après une défaite brillamment maquillée. On reconnaîtra là que l’aile “dure” du parti républicain, des trumpistes aux populistes, savent manier sans vergogne le langage de l’Empire, même lorsqu’il s’agit d’en être quittes.
... Néanmoins et de façon assez curieuse, sans donner d’explication, DeCamp, qui est pourtant le rédacteur-en-chef d’‘Antiwar.com’ en général hostile aux guerres extérieures, rajoute cette phrase sibylline qui va dans le sens contraire du reste de son rapport. Peut-être veut-il signifier, comme c’est d’ailleurs l’évidence, qu’il faut s’attendre à une contre-offensive (sur le champ de bataille de Washington) des neocons et des partisans de la guerre, d’abord contre la position de ces républicains plutôt antiguerre, mais surtout contre le bien plus gros morceau que constitue la position des généraux, Miley en tête... Voici la phrase de DeCamp :
« Mais beaucoup de choses peuvent se passer d'ici l'été, et comme les États-Unis et leurs alliés continuent d'annoncer des escalades majeures de l'aide militaire, un affrontement direct entre l'OTAN et la Russie devient plus probable. »
On voit ainsi qu’une confusion considérable est en train de naître à Washington D.C. où, sans doute pour la première fous d’une façon aussi nette, deux fractions à l’intérieur du Système s’affrontent sur un point fondamental, – en fait, sur la validité même de la ’ politiqueSystème”. Tout se passe pour l’instant en eaux profondes, – si l’on veut, “en-dessous des radars” de la presseSystème qui continue à montrer une belle unité dans l’exposition du simulacre. Mais de plus en plus de signes de l’affrontement apparaissent à la surface, comme des bulles d’air qui éclatent hors de l’eau, et l’audition de la commission Rogers en est une. Cela illustre l’observation d’Alastair Crooke rapportant celle de Macgregor, – on se passe le relais des rumeurs révélatrices :
« Le colonel Douglas Macgregor, ancien conseiller d'un secrétaire américain à la défense, affirme que l'humeur à Washington a notablement changé. Washington a compris : les États-Unis sont en train de perdre la guerre par procuration. Selon Macgregor, ce fait reste toutefois “sous le radar” des médias traditionnels. Le point le plus important que Macgregor soulève est que ce "réveil" tardif de la réalité ne modifie pas d'un iota la position des faucons néoconservateurs. Ils veulent l'escalade (tout comme une petite faction en Allemagne, – les Verts, – ainsi qu'une faction de premier plan en Pologne et, comme d'habitude, dans les États baltes).
» Et Biden s'est entouré de faucons du département d'État. »
... Ou plutôt dirait-on que les « faucons du département d'État », Nuland en tête, ont entouré Biden comme l’armée russe encercle Barmouth. Ainsi le pouvoir est-il, à Washington, devenu une bataille dont nu ne sait plus dans quel but elle se livre, tant les reste de l’‘Empire’ semblent ne plus devoir être qu’une proie de fortune dont nul ne sait plus l’usage. Une guerre de communication, de fractions, de corruption, de désordre et d’hystérie, ainsi se décrit le champ de bataille de Washington.
Dans son dernier article sur « L’Ukraine, la guerre qui a mal tourné », Chris Hedges ne cesse de se référer à la décadence et à la fin des empires des Anciens, – Athènes, Rome et les autres, qui se perdirent tous dans des guerres sans fins, inutiles, dévoreuses, corruptrices des psychologies et hystérie des esprits, et enfin outils de dévastation et d’autodestruction :
« “L'âme asservie à la guerre crie à la délivrance”, écrit Simone Weil dans son essai ‘L'Iliade ou le poème de la force’, “mais la délivrance elle-même lui apparaît comme un aspect extrême et tragique, l'aspect de la destruction”.
» Les historiens qualifient de “micro-militarisme” la tentative chimérique des empires en déclin de regagner une hégémonie perdue par l'aventurisme militaire. »
Il y a treize ans, le même Hedges allait rencontrer les “néo-sécessionnistes” du Vermont, à l’affut depuis si longtemps et sans jamais perdre espoir, des premiers signes de la désintégration de l’Empire. Leur chef, Thomas Naylor, lui avait prédit que l’un des scénarios les plus probables de la désintégration de l’Empire était une de ces guerres extérieures, coûteuses, déstabilisatrices et inutiles, – sauf pour avoir la peau de l’Empire... On parlait alors de l’Iran. Aujourd’hui, il est question de l’Ukraine et de la Russie, de bien plus gros poissons que l’Iran qui commencent à agiter follement les couloirs des Gardes Prétoriennes de l’américanisme. Il est bien possible que l’on parvienne très vite à un point où jamais Washington ne connut pareil affrontement interne à lui-même, au cœur du Système, à propos de l’une de ces guerres d’extinction de l’Empire, – qui deviendrait ainsi la dernière.
Ainsi le Simulacre deviendrait-il un Stratagème où l’Empire se trouverait dans l’obligation irrémédiable d’avoir raison de lui-même en transformant sa surpuissance en autodestruction.
Mis en ligne le 3 février 2023 à 18H10
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