Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
3603La guerre civile aux USA, on en parle comme d’un sujet standard d’une conversation courate. Cela valait un peu, un tout petit peu depuis1865 en décroissant jusqu’aux rebonds temporaires de la Grande Dépression et des années1960, mais aujourd’hui le sujet est irrésistible. Tarik Cyril Amar, Allemand d’origine turque, historien et enseignant à Istanboul, retour dans le pays de ses ancêtres, à l’université Koç, s’occupe de tous les grands problèmes des relations internationales de la Seconde Guerre mondiale et depuis, ainsi que de la Guerre Froide culturelle. La situation spécifique des USA n’est pas son sujet central d’intérêt, mais il s'y est intéressé et, d'une certaine façon il tend à le devenir. C’est son textes sur le sujet de la guerre civile aux USA qui nous intéresse.
Certes, il nous paraît d’un réel intérêt de lire un regard lointain par l’origine des USA, aborder, d’une façon évidemment fort érudite, la grande question, – rien de moins que “la guerre civile aux USA”. Car, remarque-t-il, ce thème est là-bas obsessionnel, et il l’est non pas par intérêt historique pour le passé mais par rapport aux possibilités qu’“offre” l’avenir.
« ...une préoccupation culturelle prononcée, voire presque une obsession, qui ne se limite pas à l’idée de guerre civile en tant que telle ou à l’histoire spécifique de sa propre guerre civile très sanglante du XIXe siècle. Ses élites et la population en général sont tellement obsédées par une guerre civile à venir, qu’en 2022, 43 % d’entre eux la considéraient comme probable dans les dix prochaines années. Les débats, les livres de haut niveau, les articles et la culture populaire mettent ce fantasme en évidence et de manière persistante. »
En fait, selon notre avis, pour nous qui faisons également une obsession de la guerre civile à venir aux USA, nous observons selon notre expérience que l’idée d’une guerre civile aux USA nous est revenue à l’esprit d’une façon constamment intermittente selon les événements, depuis la période issue de l’échec de la catastrophique campagne des USA en Irak. On rappellera que le sujet de la guerre civile aux USA est chez nous récurrent d’une façon insistante depuis 2008-2009, après la crise des subprimes, – et dont le souvenir initial et fondateur pour ce qui est de la phase actuelle remonte beaucoup plus loin, commençant en 1992, exactement à la fin de la Guerre Froide, lors des grandes émeutes de Los Angeles de mai-juin 1992.
Note de PhG-Bis : « Ce sont les émeutes de Los Angeles de1992 qui suscitèrent chez PhG l’idée d’une guerre civile potentielle aux USA, complètement détachée de la précédente période de troubles des années 1960. On fait deux citations :
» • “...tout le monde dans la communication parle d’effondrement, de fin de civilisation, de Fin des Temps, toutes ces sortes de choses. Moi-même, je ne m‘en prive pas, et cela est pour dire que j’en ai toujours parlé, que je n’ai parlé que de ça, convaincu dès l’époque du début de ce site en 1999-2000 (et d’ailleurs avant, dans la lettre d’Analyse dd&e, dès 1992 et les émeutes de Los Angeles), de l’inéluctabilité de ce destin dans notre temps courant”. (19 juillet 2022)
« ‘• “Ces émeutes de L.A. sont très particulières. Elles ne se placent pas dans un cycle d’émeutes, comme dans les années 1960 et si l’argument racial classiques est là (les émeutes commencèrent avec le tabassage d’un Africain-Américain, Rodney King, par la police de L.A.), il fut loin d’être le seul, ni même le principal moteur de l’événement. (D’ailleurs, 50% des arrestations concernèrent des Latinos, contre 35% d’Africains-Américains.) Les conditions économiques, la pauvreté, le chômage, etc., furent également des causes puissantes, sinon supérieures au facteur racial. D’autre part, on y vit, mis à part les forces de l’ordre, des affrontements violents entre communautés, notamment la communauté nouvellement installée des Asiatiques-Américains, qui formèrent des milices armées pour défendre leurs biens divers contre les bandes de pillards des autres communautés. Enfin, la violence de l’émeute, avec des conditions proches des conditions de guerre urbaine qui s’expliquent par les divers caractères énumérés ci-dessus, fut tout à fait exceptionnelle et, pendant une semaine, L.A. fut une vitrine visible partout (chaque passager d’un avion atterrissant à Los Angeles pouvait voir les fumées des très nombreux incendies provenant des quartiers touchés) d’une marque symbolique profonde d’un non moins profond malaise américain”. (28 avril 2017) »
Amar fait une longue et solide analyse des conditions actuelles favorisant une “guerre civile” aux USA, qui, selon lui, commencerait par une sécession (hypothèse favorisée : le Texas bien entendu, suivi d’autres États.) Il est possible qu’en cas de victoire de Trump, et de choix de Trump pour sa vice-présidence, dans le chef de la gouverneure Kristi Noem du Dakota du Sud (voir une époustouflante intervention de Noem sur la crise du Texas et des États face à Washington, devant sa législature du Dakota du Sud, le 4 février), on trouve en elle une importante et très forte personnalité de l’exécutif partisane d’une évolution fondamentale de la situation des États vis-à-vis du “Centre” washingtonien. Il est possible que l’idée vienne, ou soit soufflée à Trump, que le seul moyen de nettoyer le marigot de corruption de Washington D.C. soit effectivement uyne sorte d’hyper-décentralisation impliquant des aspects de sécession avec risques de guerre civile... L’Amérique suivrait alors à sa façon la voie de l’effondrement de l’URSS
Amar n’apporte pas de révélations inédites sur la situation aux USA, dans ses heures texanes et sécessionnistes. Ce qu’il met en évidence très justement, nous semble-t-il, c’est la psychologie très significative régnant aux États-Unis, justement depuis quelques années, et depuis 2008-2009 d’une façon insistante. Il y a toute une partie des commentateurs, pours lesquels certainement la fameuse fascination américaniste opère à 100%, qui considère ces réflexions sur la guerre civile comme justement de simples obsessions sans fondement ; pour eux, la fascinante puissance du système de l’américanisme règle tout.
Pour d’autres, dont Amar, justement le fait de ne cesser d’en parler, d’en faire une obsession, est signe que s’il existe une perception inconsciente, celle de la fragilité et de la destruction de l’Amérique, et donc de la guerre civile. La psychologie y est prête, et cette attitude est sans aucun doute une condition d’ouverture vers une issue de cette sorte :
« Quelle est la probabilité d’un avenir aussi sombre ? Évidemment, nous ne le savons pas. Mais notons deux choses : nous pourrions, a priori, envisager une Amérique où personne ne s’intéresse vraiment à réfléchir à cette question. Pourtant, nous constatons le contraire. Si vous pensez que cela ne veut rien dire, très bien. Ne confondez pas votre supposition avec une bonne base de politique ou de planification. »
Ci-dessous, on trouve bien évidemment le texte de Tarik Cyril Amar, sur RT.com du 5 février, dont le titre original est bien : « Ne vous y trompez pas, une nouvelle Guerre Civile est une perspective tout à fait possible pour les USA. »
____________________________
« Esquissons l’anatomie d’un grand pays en trois grands traits :
Premièrement, sa population dépasse 333 millions d’habitants. Ces citoyens possèdent à titre privé environ (ou au moins) 339 millions d’armes. C’est un cas unique dans la mesure où aucun autre État au monde ne possède plus d’armes privées que d’habitants. Ils distancent facilement, par exemple, le Yémen, un pays à la culture martiale qui a traversé des années de guerre civile et où il n’y a pourtant que 53 armes à feu pour 100 habitants.
Deuxièmement, la polarisation est inhabituellement forte et virulente : dès 2020 déjà, un politologue de l'une des universités les plus prestigieuses des États-Unis a découvert que “la polarisation politique parmi les Américains s'est développée rapidement au cours des 40 dernières années – plus qu'au Canada, au Royaume-Uni, Australie ou Allemagne”, par exemple. Résultat : l’Amérique est spéciale, mais pas dans le bon sens. “Aucune des démocraties riches et consolidées d’Asie de l’Est, d’Océanie ou d’Europe occidentale”, souligne un article publié en 2022 par le ‘Carnegie Endowment for International Peace’, “n’a été confrontée à des niveaux de polarisation similaires pendant une période aussi longue”.
L’année dernière, un autre article du ‘Carnegie Endowment’ a révélé que même si la perception d’une polarisation sur des questions politiques spécifiques (telles que le contrôle des armes à feu ou l’avortement) est en partie exagérée, cette perception elle-même est préjudiciable à la cohésion du pays. Parce que “les personnes les plus impliquées dans la vie civique et politique ont les opinions les moins précises [c’est-à-dire ici : très négatives] sur les croyances de l’autre camp” et il existe un degré élevé de ce que les politologues appellent “polarisation affective”. En termes simples, tous ou beaucoup de ces citoyens, qui accumulent collectivement tellement d’armes que plus de 40 % des foyers sont armés d’une manière ou d’une autre, n’aiment pas ou même simplement ne respectent pas et respectent de moins en moins “l’autre côté” du spectre politique .
Troisièmement, le pays affiche également une préoccupation culturelle prononcée, voire presque une obsession, qui ne se limite pas à l’idée de guerre civile en tant que telle ou à l’histoire spécifique de sa propre guerre civile très sanglante du XIXe siècle. Ses élites et la population en général sont tellement obsédées par une guerre civile à venir, qu’en 2022, 43 % d’entre eux la considéraient comme probable dans les dix prochaines années. Les débats, les livres de haut niveau, les articles et la culture populaire mettent ce fantasme en évidence et de manière persistante.
Nous parlons bien entendu des États-Unis d’Amérique. Même s’il serait facile de présenter davantage de critères et de points de données, cela n’est pas nécessaire. Ce qui précède suffit à démontrer qu’il serait myope de ridiculiser le risque d’une seconde guerre civile en Amérique, pour deux raisons : il ne s’agit pas du tout d’une idée fantaisiste à cause du caractère apocalyptique et libérateur qu’implique le chaos d’une part, et d’autre part la tendance au chacun pour soi (et, aux États-Unis, je suppose, avec la tendance de tous les sortes de sexes à suivre leur propres voies).
Les spécialistes américains de cette sorte de problème en sont également conscients. Barbara F. Walter, par exemple, est une éminente politologue qui a beaucoup travaillé avec la CIA pour développer un modèle de prévision de guerre civile, pour n’importe quel pays, à l’exception bien sûr des États-Unis. Elle en vient maintenant à avertir que le modèle commence à s’adapter de manière inquiétante à l’Amérique elle-même. Elle a bien entendu les préjugés habituels des progressistes, – y compris l’exagération habituelle de “l’influence russe” – mais ses arguments fondamentaux sont valables : les États-Unis sont en train de se transformer en une anocratie, c’est-à-dire, en substance, un régime qui n’est qu’un simulacre. (En fait, on peut dire que cela a toujours été le cas.) Et il existe un groupe important de la population qui se sent menacé par la perte de leur ancien statut social et de leur prééminence. Il s’agit de phénomènes fortement corrélés à un risque de guerre civile.
N’oublions pas non plus que l’Amérique prouve chaque jour son énorme capacité à perturber le monde, même sans guerre civile chez elle. Même si certains observateurs peuvent – même avec allégresse – espérer que les Américains qui s’affrontent les uns contre les autres finiront enfin par le lasser, c’est un pari très risqué. Avec une élite narcissique obsédée par l’“hégémonie” et le “caractère exceptionnaliste” mondial du pays, avec environ 800 bases dans le monde, un arsenal de milliers d’ogives nucléaires et la mauvaise habitude de rejeter la faute sur les autres pour ses propres échecs, une nouvelle guerre civile américaine n’exclurait pas une agression à l’étranger. De plus, malgré leur déclin, les États-Unis restent un élément clé de l’économie mondiale, bien plus qu’en 1860, lorsque leur première guerre civile avait déjà de graves répercussions sur le reste du monde.
En résumé, cela peut sembler être un rassemblement de tordus avec casquettes de baseball camouflées, des barbes et des pistolets à pompe, mais ne vous y trompez pas : la guerre civile américaine 2.0 est un problème sérieux. Alors, qu’en est-il ? Que pouvons-nous raisonnablement deviner sur la probabilité que cela soit réel et quelle forme cela pourrait prendre si cela se produisait ?
Pour commencer par cette dernière question, la première chose à noter est peut-être que les grandes guerres civiles peuvent commencer de manière modeste et locale. C’est d’ailleurs là la véritable signification des récentes tensions ouvertes sur la migration et le contrôle des frontières entre l’État du Texas et le gouvernement fédéral de Washington. Ils ont effectivement impliqué des forces armées et une rhétorique inquiétante, mais, heureusement, aucun coup de feu n’a été tiré. Pourtant, ceux qui qualifient avec désinvolture l’incident de simple théâtre politique se trompent. Car, comme le souligne le New York Times, ce n’est pas seulement le Texas qui a défié le gouvernement américain puisque “de nombreux dirigeants d’État républicains ont publiquement exprimé leur défi dans des termes qui faisaient écho aux conflits armés”.
En effet, la deuxième chose à noter est qu’en raison de la structure fédérale américaine, une nouvelle guerre civile débuterait très probablement par une sécession. Dans la bagarre entre Washington et le Texas, 25 gouverneurs républicains se sont ouvertement rangés du côté du Texas rebelle. C’était une illustration parfaite de la façon dont un point chaud local pouvait rapidement aspirer le reste du pays en créant une logique de polarisation ultime puis de sécession. Cette logique n’est pas encore pleinement déployée. Ses contours se dessinent cependant clairement.
Il convient de noter que de nombreux récits de fiction sur la guerre civile 2.0 font le même point. Qu'il s'agisse de la série culte de romans graphiques ‘DMZ’, du roman amèrement ironique ‘American War’ (le thème traurté de façon exagéré est que certains Américains traitent les autres Américains de la même manière que les Américains et les Israéliens traitent désormais les Palestiniens, les Irakiens ou les Syriens), le film à petit budget mais intelligent ‘Bushwick’ ou le film à gros budget ‘Civil War’ sur le point de sortir dans les cinémas américains. Le principe de base est un scénario de sécession dégénérant en guerre intérieure massive.
Troisièmement, même si l’énorme quantité d’armes à feu privées jouerait certainement un rôle important dans une nouvelle guerre civile, il serait erroné de supposer qu’un tel combat opposerait uniquement des gangs de citoyens privés, organisés en milices, à la police et aux forces militaires officielles. En réalité, une dynamique de sécession, une fois enclenchée, conduirait certaines parties des multiples « siloviki » des États-Unis à choisir leur propre allégeance, à se diviser et à commencer à se battre. Si vous pensez que, dans une telle situation, les chaînes de commandement formelles qui les relient tous à Washington resteraient intactes, j’ai une Yougoslavie entière et indivisible à vous vendre.
Enfin et surtout, dans une telle évolution, la guerre serait à la fois dure et longue. En ce sens, cela ressemblerait à la première guerre civile. Cependant, en raison des technologies avancées et du déclin des inhibitions, cela pourrait être encore plus dévastateur et cruel. Dans le récent et remarquable succès de Netflix ‘Le monde après nous’, les protagonistes ne savent jamais exactement qui fait exploser leur pays, mais à la fin du film, deux choses semblent raisonnablement claires : non, ce ne sont pas des ennemis de l'extérieur, mais un travail intérieur, et des armes nucléaires sont utilisées. C’était d’ailleurs également le postulat de l’émission télévisée ‘Jericho’, initialement infructueuse mais désormais culte.
Quelle est la probabilité d’un avenir aussi sombre ? Évidemment, nous ne le savons pas. Mais notons deux choses : nous pourrions, a priori, envisager une Amérique où personne ne s’intéresse vraiment à réfléchir à cette question. Pourtant, nous constatons le contraire. Si vous pensez que cela ne veut rien dire, très bien. Ne confondez pas votre supposition avec une bonne base de politique ou de planification.
Il existe bien entendu des alternatives à la guerre civile. La première est une dépolarisation pacifique dans les conditions anocratiques actuelles, ce qui, hypothétiquement, peut se produire. L’autre est un autoritarisme à part entière : une façon d’éliminer la possibilité d’une guerre civile est d’imposer une dictature.
Mais voici le piège : un pays peut se retrouver à la fois avec une guerre civile et une dictature. Demandez aux anciens Romains. Ces Romains, bien entendu, qui préoccupaient tant les fondateurs de la République américaine. »