RapSit-USA2024 : Kamala sans fin

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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RapSit-USA2024 : Kamala sans fin

21 septembre 2024 (18H15) – On nous donne une traduction d’un texte d’un ‘Piccole Note’, – sans que je sache s’il s’agit d’une rubrique, d’un patronyme ou d’un nom pur et simple du site italien ‘sinistrainrete.info’, – mais assez remarquablement bienvenu. Le sujet en est l’ineffable Kamala Harris et la grande question : quelle serait donc sa politique étrangère si se produisait l’extraordinaire événement-bouffe de son élection, ? La réponse est aussi brève et nette, et aussi claire que possible, – et vraiment pas bouffe du tout : « les guerres sans fin ».

L’idée de départ est assez bonne, je veux dire assez significative : le soutien expressément apporté par l’ancien vice-président de G.W. Bush, l’immanquable Dick Cheney (bonne description du bonhomme dans le film ‘Vice’), à Kamala Harris. Le soi-disant républicain porte ainsi sur le Grand Pavois du triomphe ce pur produit de l’élitisme hyper-démocratique et extrêmement besogneux dans la corruption du parti démocrate ? Alors, nous dit  ‘Piccole Note’, c’est que la messe est dite.

Il est vrai que le vieux Dick s’est beaucoup abstenu d’intervenir dans la vie politique depuis son départ du pouvoir, se contentant d’encourager et de soutenir sa fille Liz qui joue au sein du parti républicain le rôle assumé d’un sous-marin des neocon naviguant en surface, bannière au vent. Elle a les coutumes des trahisons républicaines coutumières à l’intention de Trump, dans toutes les occasions possibles, collaborant ouvertement avec les démocrates. Elle participa à l’enquête anti-Trump du Congrès sur l’émeute du 6 janvier 2021 et aux deux procédures de mises en accusation, et chaque fois comme une remarquable procureure, républicaine vivement appréciée des démocrates guillotineurs.

Il n’empêche, jusque-là l’action de Liz Cheney suffisait pour signaler la position sans surprise de son père Dick. Cette fois, on le voit, le monstre est sorti de son abri pour sonner le tocsin en faveur des démocrates devenus porte-drapeau des neocon, ce qu’il n’avait fait ni pour Obama, ni pour Hillary, ni pour Biden (mais pour le républicain Romney en 2012 et pour... Trump, une erreur de casting, en 2016).

Il ne faut pas s’y tromper : Dick Cheney est l’un des grands chefs “spirituels” du clan neocon. Il se fiche bien des prétentions plus ou moins gauchistes et pseudo-trotskistes de ce courant de “pensée” ; lui, ce qu’il veut, c’est le pouvoir, et la force déchaîné qui sert ce pouvoir. Sa “pensée” est hubris pur, avec un cynisme total, une complète illégalité, et une construction permanente du simulacre démonologique.

L’homme qui a fait cette confidence si fameuse, Karl Rove, était un homme de Cheney, mis où il l’était, au service de communication de la Maison-Blanche, pour manipuler directement GW qui n’attendait que cela, et pouvant dire (Rove) des choses comme celles-ci, passées à la postérité après avoir été dites au journaliste Ron Suskind à l’été 2002 :

« Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. Et alors que vous étudierez cette réalité, – judicieusement, si vous voulez, – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continuerons les choses. Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que nous avons [créé]. »

C’est encore Cheney et ses relais qui inspirèrent l’argument irrésistible, trouvé chez Dostoïevski, que le président GW développa dans son discours resté fameux jusqu’à être oublié, inaugurant son deuxième mandat par la proclamation de la mission américaniste de mettre avec l’idée si nouvelle de “liberté“ le feu dans les esprits de tous les hommes de la planète. Le regretté Justin Raimondo l’avait bien commenté le 21 janvier 2005 avec ce titre de « W et Dostoïevski », et cette citation qui nous donne une idée de l’exaltation du personnage et de ses inspirateurs :

« Parce que nous avons agi dans le respect de la grande tradition libératrice de cette nation, des dizaines de millions de personnes ont obtenu leur liberté. Et comme l’espoir suscite l’espoir, des millions d’autres le trouveront. Par nos efforts, nous avons également allumé un feu, un feu dans l’esprit des hommes. Il réchauffe ceux qui ressentent sa puissance ; il brûle ceux qui luttent contre son progrès. Et un jour, ce feu indompté de la liberté atteindra les recoins les plus sombres de notre monde. »

Du pur neocon... Par ce message inspiré fondamentalement par lui, Dick Cheney avait réussi à créer un concept qui regroupait tous les neocon et ceux qui se pressaient autour d’eux, – de droite et de gauche, républicains et démocrates, – pour développer cette folie collective dont nous recueillons les derniers spasmes devenus monstrueux. Il s’agissait, on l’a compris, de saluer dans l’esprit exalté et grondant de flammes vertueuses de G.W. Bush, la magnifique victoire contre l’Irak et la superbe entreprise de re-façonnage de l’Irakien moyen, surtout les morts, selon l’idéal américaniste, en attendant les autres qui suivaient, les Afghans, les Libyens, les Syriens, les Palestiniens, les Ukrainiens, – pour parler des plus fameux...

On comprend que lorsque ce vieux monstre couturé de victoires sublimes consent à se signaler pour porter Kamala Harris sur le pavois, c’est bien que Kamala est totalement annexée et désormais conduite sur les sentiers de la gloire. Elle sera la chose obéissante des neocon et nous aurons alors la politique que nous méritons, suggère ‘Piccole Note’.

Il faut ajouter que lui, il ajoute, en contrepoint inévitable puisque l’extrémisme attendu de Kamala doit provoquer un extrémisme contraire chez son adversaire, c’est-à-dire un Trump qui imprimerait une notion renouvelée mais très fortement inspirée du ‘America First’ des années 1930.

« Inutile de rappeler qu'America First réactualise l'isolationnisme américain, mais ce qui est plus intéressant, c'est qu'un tel isolationnisme contraste fortement avec la perspective de mener des guerres sans fin. De plus, l'horizon vers lequel cet isolationnisme se dirige est celui d'un accord global entre les puissances. Trump l'a dit implicitement le 20 juillet : “Poutine et Xi sont intelligents [...] ils aiment leur pays”. »

Cette appréciation se défend si l’on accepte l’idée d’une Kamala hyper-radicalisée. L’idée des Russes, et de nombre d’observateurs, selon laquelle le président n’importe pas, la politique US reste immuable telle qu’inspirée par le ‘DeepState’, serait alors démentie. 

C’est effectivement mon sentiment, du fait d’une part de l’extraordinaire polarisation du pays ; et du fait d’autre part qu’avec l’idée de l’affrontement direct avec la Russie, on arrive en quelque sorte au terminus nucléaire de la rêverie neocon... L’idée générale est bien qu’il s’est creusé un clivage très important au sein du ‘DeepState’ concernant la politique à suivre et que ce clivage se révèlera notamment au cours de l’affrontement autour de la présidence.

C’est en cela que l’on peut, que l’on doit, – comme il m’arrive si souvent de la rappeler, – souhaiter ardemment que ses déchirements intérieurs fracassent l’actuelle structuration de l’Amérique et paralysent jusqu’à les désintégrer les ambitions démoniaques de sa folie.

Enfin, voyons ce que ‘Piccole Note’ a à nous dire...

PhG – Semper Phi

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La candidate des guerres sans fin

La déclaration de l'ancien vice-président de George W. Bush a le mérite de dissiper les malentendus.

Les “guerres sans fin” derrière Kamala Harris

Le soutien de Dick Cheney à Kamala Harris a une forte valeur symbolique. Les néoconservateurs reconnaissent en effet dans la candidate démocrate la présidente qui perpétuera les guerres sans fin en préservant le rêve, cauchemardesque pour le reste du monde, d'un retour à l'unipolarité américaine, qu'une politique étrangère franchement destructrice est censée réaliser.

Cheney et “le parti des guerres sans fin”

Pas de coup d'éclat pour le vice-président de George W. Bush, puisque le sentiment des néo-conservateurs pour Kamala était déjà inscrit dans les faits et que nous avions naguère écrit à ce sujet lorsque des centaines de collaborateurs de Bush, McCain et Romney avaient exprimé leur préférence pour l'ancienne magistrate, récemment prêtée à la politique.

D'autre part, la façon dont Kamala a été nommée à la Maison Blanche participe également du sens de la démocratie que cultivent les neocon, une démocratie que leur programme appelle à exporter à coup de bombes.

Cheney a joué un rôle clé dans le coup d'État qui a permis aux neocon de s'emparer du pouvoir impérial après le 11 septembre, réduisant Bush à un rôle fantomatique. Une dynamique qui s'est répétée avec l'éviction de Biden de la course à la présidence - lui aussi réduit à un fantôme - et la promotion d'une représentante de la caste des brahmanes, la caste la plus élevée et la plus sacrée de l'hindouisme.

Les neocon reviennent ainsi à leur terreau originel, car leur mouvement est né à gauche - dans les cénacles de la gauche progressiste américaine, bien éloignée de la gauche européenne - puis s'est fondu dans le parti républicain, dans lequel ils ont introduit l'idée de révolution, dénaturant ce qui fut un parti conservateur, et donc opposé à cette option.

Vingt ans (et plus) de tragédies

Appliquée à la politique étrangère, l'idée révolutionnaire (en politique étrangère) a conduit aux désastres que l'on peut constater, le monde étant contraint de s'enfermer dans les horizons étroits qu'imposent les écrans de fumée des neocon à coups de bombes, mais avec des résultats différents de ceux qu'ils espéraient.

L'idée révolutionnaire des neocon débouche sur un idéalisme qui ne tient pas compte de la réalité, celle-ci devant être sans cesse modelée et dépassée pour créer le nouvel ordre, selon la phrase didactique attribuée au principal conseiller de George W. Bush, Karl Rove : « Nous sommes maintenant un empire et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité ». Rien à voir avec le réalisme et le pragmatisme du Grand Old Party, incarné de manière exemplaire par Henry Kissinger.

Non pas que les Républicains aient été une aimable compagnie de bienfaiteurs de l'humanité avant de se soumettre à l'hégémonie idéologique néoconservatrice: il suffit de regarder l'itinéraire plutôt sanglant de Kissinger. La différence est que le réalisme politique de ce dernier reconnaissait des limites aux actions de la superpuissance, à tous les niveaux, et connaissait l'art du compromis. Les néoconservateurs ne reconnaissent aucune limite à la politique étrangère américaine et abhorrent l'idée même de compromis.

Pour prendre un exemple simple, l'idée d'un conflit mondial, qui fait partie des options des neocon, n'était même pas présente chez Ronald Reagan. Elle n'était tout simplement pas envisageable (même si le danger existait déjà à l'époque de la guerre froide).

Nous avons déjà souligné que l'idéalisme révolutionnaire des neocon est parfaitement superposable à l'interventionnisme libéral d'origine wilsonienne qui innerve le parti démocrate et à propos duquel le président John Quincy Adams (portrait, ci-dessus) s'était alarmé du fait qu'une politique fondée sur la « recherche de monstres à détruire » était tragiquement erronée. Inutile, donc, de se répéter sur ce point.

Ainsi, si la perspective de la politique étrangère d'une présidence Harris est de perpétuer - et d'accroître compte tenu de son évanescence - les guerres sans fin qui accompagnent les révolutions colorées, on peut se demander ce que pourrait être celle de Trump.

Inutile de rappeler qu'America First réactualise l'isolationnisme américain, mais ce qui est plus intéressant, c'est qu'un tel isolationnisme contraste fortement avec la perspective de mener des guerres sans fin. De plus, l'horizon vers lequel cet isolationnisme se dirige est celui d'un accord global entre les puissances. Trump l'a dit implicitement le 20 juillet : « Poutine et Xi sont intelligents [...] ils aiment leur pays ».

Synthétiquement, cette déclaration reprend l'idée de base qu'il a détricotée durant sa présidence, celle de trouver un accord avec la Russie et la Chine pour rétablir un équilibre dans le monde devenu fou produit par l'hégémonie néocon-libérale.

C'est-à-dire créer un nouveau Yalta, en traçant des lignes rouges à la manière de celles qui avaient empêché la guerre froide de dégénérer en guerre thermonucléaire. Malgré ses airs grandiloquents, Trump s'est efforcé de réaliser ce dessein équilibré au cours de ses quatre années à la Maison Blanche, mais à chaque fois qu'il a fait un pas de détente vers l'une des deux superpuissances, il a été stoppé par quelque mésaventure déclenchée par ses ennemis intérieurs.

Pour montrer clairement que c'est précisément la perspective vers laquelle Trump s'oriente, il y a eu, à l'opposé, l'habituelle et loquace Victoria Nuland, l'ancien pilier du département d'État, qui, dans un entretien avec le journaliste russe Mikhail Zygar début septembre, a déclaré : « En aucun cas les États-Unis ne signeront un nouvel accord de “Yalta” avec la Russie et la Chine, un accord sur un nouvel ordre mondial » (c'est ainsi que le résume le journal ‘Strana’).

Une telle perspective entre apparemment en conflit avec la vision de la Chine et de la Russie qui œuvrent pour accroître et consolider le multipolarisme, mais il n'en reste pas moins qu'une Amérique isolationniste s'inscrit bien dans un tel cadre et que les lignes rouges mentionnées ci-dessus doivent être établies dans le cadre d'un compromis similaire à celui qui a créé le monde de Yalta. Mais la tâche que s'est fixée Trump reste redoutable, à supposer qu'il parvienne à se présenter aux élections et à les gagner.

Dans cette perspective, un corollaire: les dirigeants de l'UE, à l'époque de la querelle Trump-Clinton et pendant sa présidence, se sont opposés à l'idée d'un nouveau Yalta à tous égards. Hormis ceux qui s'y opposaient par foi néocon ou libérale, nombre d'entre eux la rejetaient sincèrement parce qu'elle semblait faire de l'ombre au Vieux Continent, qui n'était même pas admis en tant qu'observateur à la table du nouveau Yalta. En d'autres termes, ils étaient convaincus qu'elle conduirait au déclin de l'UE.

Par une hétérogénéité de fins que l'on pouvait déjà deviner à l'époque, la perspective opposée n'était pas celle, irénique, imaginée par la caste de l'UE, qui s'illusionnait de participer au banquet unipolaire. L'affirmation, avec Biden, de l'interventionnisme libéral a en effet incinéré le Vieux Continent, le condamnant à vivre une guerre sans fin, coûteuse, de larmes et de peines, au risque de s'étendre au continent et au monde.

L'unipolarisme ne connaît ni alliés ni partenaires, mais des serviteurs sacrifiables en cas de besoin, comme l'a démontré la guerre par procuration qui se déroule en Ukraine, qui a consumé une nation et décimé sa population. En outre, la caste de l'UE ne semble pas tenir compte du fait que cette option comporte une guerre mondiale à l'horizon, ce qui en dit long sur sa lucidité et sa prévoyance.

Piccole Note