RapSit-USA2024 : L’étrange campagne

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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RapSit-USA2024 : L’étrange campagne

09 août 2024 (18h50) – Malgré tous les ingrédients existants pour en faire un événement de type “naturellement-catastrophique”, de ce type auquel nous sommes habitués d’après les schémas des manœuvres des forces cachées, la campagne présidentielle américaniste n’est pas seulement catastrophique (illustration de la crise catastrophique du système de l’américanisme), – elle est singulière, étrange, inattendue... Preuve de leur puissance insaisissable et inconnaissable, les événements parviennent encore à nous surprendre malgré que nous ayons tout imaginé, absolument tout, de l’apocalypse quotidien qui est inscrit sur notre menu comme plat du jour permanent...

Note de PhGBis : «  ...et, en vérité, absolument fondé et justifié. Ici, PhG doit préciser que cette atmosphère catastrophique n’est ni infondée, ni artificiellement fabriquée. Si je prends un seul exemple : moi qui ai vécu un bon quart de ma carrière en Guerre Froide, notamment la  période 1979-1985, j’affirme absolument qu’un seul jour, une seul heure où des soldats US et des soldats Russes auraient pu directement et d’une manière identifiée se trouver face à face était considéré comme un risque colossal d’apocalypse nucléaire. Aujourd’hui, nous vivons sous ce régime depuis plusieurs années (Syrie, Ukraine). Quelles que soient toutes les explications secrètes du monde, il reste que c’est une “atmosphère apocalyptique”... Et ce n’en est qu’une parmi d’autres. »

Donc, je veux dire que ce caractère “singulier, étrange, inattendu” caractérisant les présidentielles est un fait absolument extraordinaire qui doit nous arrêter. Il explique par ailleurs que nous avons du mal à commenter cette campagne comme celles, également apocalyptiques, de 2016 et 2020, mais qui suivaient une  certaine logique ; avec celle-ci, c’est peine perdue et perdue d’avance.

Il y a de nombreuses causes à cela, certaines tactiques de l’un et l’autre camps, d’autres objectives qui forment la majorité des cas. Aucune référence passée n’est disponible pour éclairer notre lanterne.

La fausse-vraie transformation de Kamala

La nomination de Kamala Harris ne fut certainement pas une surprise mais ce fut un choc. Cette femme, décrite quasiment comme d’une totale incompétence dans une mesure jamais vue dans ces milieux, transformant la moindre phrase de plus de cinq mots en “salad’s words”, soudain devenait candidate. Sans être devenue brillante en aucune façon du fait de la nomination, il reste qu’elle existait et, tant bien que mal, jouait le rôle de candidate. Ce fut un choc d’autant plus fort qu’il libérait les démocrates du poids étouffant de tous ces mensonges les poussant à affirmer, comme ils le firent pendant quatre ans, que Biden était en forme parfaite, avait tous ses esprits, sa lucidité. Le contraste était saisissant malgré la “salad’s words” et une réelle dynamique naquit autour de Kamala Harris.

« Ce fut un choc psychologique énorme, remarque un stratège républicain avec cynisme et lucidité, il libéra les démocrates qui, pour quelques jours furent quittes du poids épuisant des mensonges de Joe Biden et crurent qu’ils entraient dans le royaume enchanté de la vérité. En fait, ils ne faisaient que vivre l’ivresse de la transition entre un vieillard producteur de mensonges faisandés à une arriviste ambitieuse réputée inexistante, productrice de mensonges un peu plus frais mais encore plus inconsistants... »

Quoi qu’il en soit, il est vrai que cet épisode secoua l’équipe Trump. Trump lui-même parut perdre de sa maîtrise et de sa verve, et l’on peut se demander si cette perte d’énergie aurait été complètement compensée s’il n’y avait eu l’action salvatrice de J.D. Vance.

L’embarras de Trump et l’aide salvatrice de Vance

Vance avec Trump forment un duo redoutable. Ils ne sont certainement pas ma tasse de thé en tout, – loin de là ! – et notamment pour leur position incroyablement ultra-sioniste en soutien de Netanyahou. Aussi mon jugement concerne-t-il simplement et exclusivement leur efficacité électorale dans cette campagne si étrange et incroyablement animée de hauts et de bas pour les deux camps.

Il faut remarquer que Trump n’a pas choisi Vance en fonction de son apport électoral (son électorat) ou de la région d’où il vient (du gentil et tranquille Ohio), mais essentiellement pour des raisons idéologiques et dialectique de dynamique de campagne. Cela diffère complètement des habitudes de choix d’un vice-président qui, en général, ne sert à rien d’autre que d’assurer des voix et rassurer certains soutiens. On s’en est aussitôt aperçu au rôle que tient Vance en adjoint opérationnel du commandent-en-chef et nullement en fournisseur logistique d’un supplément de base électorale.

Trump au meilleur de sa forme est emphatique, grossièrement épique, pompeux et ronflant, agressif et vulgaire avec ses adversaires, selon la doctrine du ‘carpet bombing’, avec des successions de slogans où le ton et l’envol comptent infiniment plus que le contenu. Vance est complètement différent : une diction impeccable et très rapide, tranchante et cinglante, documentée et imparable, frappant directement au centre de la cible, une maîtrise de l’esprit de l’éloquence plutôt que des émotions ; et plutôt une bombe lourde planante à guidage super-précis (une FAB-3000 russe, par exemple) que l’arrosage indiscriminé des zones démocrates. Les deux se complètent donc.

Mais en l’espèce et pour la période envisagée, c’est Vance qui fut le sauveur. Autant l’élan de Trump peut se trouver très fortement affecté par une baisse de régime, autant la fermeté dialectique de Vance parvient assez aisément à maîtriser ces moments de faiblesse. Il connaît sa feuille de route à merveille et il a poursuivi son travail de frappe malgré le passage à vide de l’équipe.

« Presque instantanément, il s’est trouvé partout à la fois, dans des meetings, face à la presse, dans des interviews, bien meilleur dans les réparties improvisées qu’à la lecture de son téléprompteur... » (Victor Davis Hanson)

L’étrange choix de Kamala

Puis vint le moment du choix de son VP par Kamala Harris. La plupart des observateurs pensaient qu’en raison de sa faiblesse politique, Harris serait conduite à choisir une forte personnalité équilibrant ses engagements assez marqués : un démocrate plutôt centriste, équilibrant son radicalisme-Woke affiché, et plutôt ami d’Israël, équilibrant ses tendances à courtiser le camp progressiste pro-palestinien du parti.

Note de PhGBis : « On notera que pour elle non plus, il ne fut guère question des avantages logistiques du VP, mais de ses engagements idéologiques, comme du côté de Vance pour Trump. L’idéologie, et l’idéologie extrémiste, domine tout. »

Finalement, à la sélection finale, tout le monde jurait qu’elle choisirait le gouverneur Josh Shapiro, homme de poids de grande vertu politicienne, même considéré avec respect par des républicains, et par Trump lui-même. Ce fut Tim Walz, ce qui donna à Trump l’occasion d’un long commentaire où il transparaissait entre les mots que la pression d’Obama pour ne pas choisir Shapiro avait pesé lourd.

« “Tout le monde pensait que ce serait Shapiro, mais il s'est avéré que ce n'était pas Shapiro”, a déclaré Trump sur Fox News mercredi. “Je suis convaincu que ce n’est pas pour la raison dont nous parlons. C’est parce qu’il est juif et qu’ils pensent qu’ils vont offenser quelqu’un d’autre”.

« « Je pense qu'il y avait d'autres personnes meilleures que lui, je les connais toutes. Mais j’ai été choqué quand il s’agissait des deux derniers et elle n’a pas choisi Shapiro”, a-t-il ajouté.

» La faction “progressiste” des Démocrates s’était opposée à Shapiro, citant son soutien à Israël et ses critiques des manifestations étudiantes pro-palestiniennes à travers les États-Unis. Certains critiques l’ont surnommé “Genocide Josh” – faisant écho au surnom de “Genocide Joe” donné au président Biden – tandis que d’autres ont souligné les problèmes potentiels qu’un ticket Harris-Shapiro aurait pour attirer les électeurs musulmans, arabes et palestino-américains dans les principaux États charnières.

 « “Vous ne vous sentiriez pas très à l’aise si vous étiez Israël en ce moment avec cette équipe”, a déclaré Trump à Fox News. ”C’est la pire équipe jamais constituée pour un Juif ou pour Israël”. »

Effectivement, le gouverneur du Minnesota Tim Walz n’apporte qu’un renforcement du militantisme de Kamala. C’est de son État, dans la ville de Minneapolis, que partit la saison des émeutes de l’année 2020 avec la mort de George Floyd. Walz se montra d’un féroce laxisme, laissant faire plusieurs jours d’émeutes, de pillages et d’incendie en toute impunité, laissant la rue aux Black Live Matters. Victor Davis Hanson, qui qualifie le duo de « deux Néo-Maxistes », rapporte que

« ...la femme du gouverneur ouvrait la fenêtre le soir pour sentir l’odeur des magasins et des petites entreprises, résultats d’une vie de travail, en train de brûler du fait des émeutiers... Sa fille alla avertir ces émeutiers qu’ils pouvaient être tranquilles, que son père était décidé à ne pas appeler la Garde Nationale... »

Quelques remarques intempestives

L’équipe Harris-Walz, dont on s’interroge sur le fond de la logique du choix, constitue une cible rêvée pour Trump-Vance. Ils constituent aussi un bloc de gauche extrémiste, sans aucun aménagement de modération, tandis qu’en face d’eux le bloc Trump-Vance constitue un bloc de populistes également extrêmes, selon la même recette. Le miracle habituel du Système régulateur dans les présidentielles n’a pas eu lieu ; il n’y a eu aucun rassemblement plus ou moins dans un sens bipartisan, célébrant l’habituelle messe démocratique du Parti Unique,  apaisant les tensions et le clivage entre les deux blocs, et au contraire l’accentuation des deux extrêmes et le creusement de l’abîme d’affrontement. Quels que soient les vainqueurs et les vaincus, quelle que soit la bonne marche ou la marche chaotique du vote, l’antagonisme sera toujours aussi fort, sinon plus fort encore après le vote.

Autrement dit, cette “élection décisive” ne décidera de rien du tout. L’Amérique est définitivement entrée sur la voie de la désintégration, et il n’y aucune raison que l’accélération des événements que l’on observe depuis 2016-2020 ne continue pas ni ne grandisse encore plus.

Jusqu’ici, le chaos intérieur du système de l’américanisme n’est pas encore répercuté directement (un peu indirectement) sur les événements extérieurs. Il semble que nous puissions penser, moi le premier, que cette élection va enfin accélérer une confrontation de ces deux “fronts”. La désintégration de l’intérieur de l’Empire secrète une pourriture qui devrait désormais infecter la politique extérieure, la fameuse politiqueSystème.

Ce sera un grand moment et toutes les crises du monde, qui composent en autant de “sous-crises” notre GrandeCrise, en seront bouleversées. C’est alors qu’il faudra songer à les résoudre, en ce moment magique où les premiers éléments d’un monde nouveau commenceront à apparaître dans le chaos global ainsi créé.