RapSit-USA2025 : Audaces américaines

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RapSit-USA2025 : Audaces américaines

•  ...Audaces “Américaines” (et non “américanistes”) mais pas seulement. • Il s’agit d’une tendance qui se situe dans un courant transnational recherchant une voie révolutionnaire pour sortir de la crise. • Explorons la “Nouvelle Droite” US.

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Nous observerons aussitôt que ce texte ci-dessous de Rodolfo de Mattei (écrit par Mattei le 10 avril 2025) est donné à titre documentaire, et que nous ne sommes aucunement intéressé par une position d’appréciation politique, – pour être plus précis dans ce cas, nous dirons que nous n’endossons en aucune façon l’aspect indirectement mais nettement critique du sujet qu’il traite. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant ni de critiquable, – pour eux et pour nous, – et chacun joue franc-jeu dans ce cas. L’auteur repris par ‘correspondanceeuropéenne.eu’, ou CE pour faire court, nous semble clairement orienté vers un conservatisme très-chrétien et, par conséquent, il considère d’une plume méfiante tous les mouvements qui auraient une consonnance nihiliste, c’est-à-dire une tentation païenne, comme cela pourrait être le cas ici...

« En ce sens, la « Nouvelle Droite » américaine risque d’être victime d’un dangereux mélange d’idéologies, finalement nihilistes, qui semblent concentrer leurs critiques exclusivement sur le « progressisme » et l’élite de gauche, incarnée par ladite « Cathédrale », sans offrir une proposition politique claire et distincte, authentiquement conservatrice, fondée sur les valeurs perpétuelles du droit naturel et chrétien. »

Non, ce qui nous intéresse avant que nous revenions sur ce sujet comme nous nous promettons de le faire, ce sont les détails, l’aspect véritablement documentaire donné sur le développement de divers groupes et conceptions pouvant s’apparenter à ce qu’on nommerait donc une “Nouvelle Droite” aux USA, en connexion directe avec les question de technologisme. Suggérons pour nous munir d’un ordre d’idées qu’il s’agit de conceptions de tendance archéofuturiste. Il est extrêmement intéressant de constater qu’aux USA également, de telles logiques se développent, battant en brèche toutes les conceptions existentielles qui ont présidé à la fondation des USA ; tout comme il est extrêmement intéressant également, de voir les contacts plus ou moins sérieux, plus ou moins féconds, établis entre ces groupes et l’administration Trump.

dde.org

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“Nouvelle Droite” et “Lumières obscures”

Après les clichés photographiques inédits à l’intérieur du Bureau ovale à côté du nouveau président des États-Unis, qui ont fait le tour du monde en février dernier, le fils d’Elon Musk, au prénom imprononçable de X Æ A-Xii, a une nouvelle fois retenu l’attention des médias dans une photo, diffusée ces derniers jours, où l’on voit Donald Trump aider le petit X à monter les marches de l’hélicoptère présidentiel Marine One, sur la pelouse de la Maison Blanche. La photo est significative car elle immortalise et souligne une fois de plus la relation étroite de confiance et de collaboration qui semble exister entre le président Donald Trump et le chef du Département de l’Efficacité gouvernementale (abrégé en DOGE), Elon Musk.

Cependant, si la figure de Musk frappe à juste titre l’opinion publique, en tant que personnage hors ligne, capable de prouesses étonnantes, et en vertu de sa capacité de communication extraordinaire et provocatrice amplifiée par sa plateforme X, d’autres personnalités au plus fort poids « intellectuel » évoluent dans les coulisses de la Maison Blanche et peuvent à juste titre être considérées comme les idéologues politiques et les véritables inspirateurs de l’accession au pouvoir de Donald Trump. Trois noms se démarquent spécialement : l’entrepreneur américain d’origine allemande, Peter Thiel, le philosophe de l’Université britannique de Warwick, Nick Land, et le programmeur informatique et blogueur américain Curtis Guy Yarvin, plus connu comme Mencius Moldbug, pseudonyme qu’il emploie depuis des années pour signer ses articles sur le web.

Nick Land, co-fondateur dans les années 1990 du collectif Cybernetic Culture Research Unit (CCRU), a exposé ses réflexions dans un manifeste intitulé Dark Enlightenment [Lumières obscures] dans lequel, citant abondamment les pensées de Moldbug, il théorise l’avènement d’un nouveau monde dystopique dominé par les machines, résultat de la victoire du progrès technologique et du développement capitaliste. Selon la croyance « accélérationniste », dont Nick Land est considéré comme l’un des principaux idéologues, il n’est pas possible de « résister » à ce processus inévitable et pour cette raison la seule solution est d’accélérer, pour aller encore plus loin et arriver à ce qu’il appelle la « singularité technologique ». Dans ses écrits, Land décrète également l’échec de la démocratie en tant que système politique, dans la mesure où elle est intrinsèquement corrompue, et, pour cette raison, il espère un avenir dans lequel l’État, tel que nous le connaissons, pourra être remplacé par un gouvernement-entreprise, c’est-à-dire un gouvernement qui dépend du consensus d’« actionnaires » qui ne sont pas les citoyens ordinaires, mais les forces les plus avancées et productives du pays.

Nick Land et Curtis Yarvin sont considérés comme les fondateurs du mouvement philosophique anti-égalitaire et antidémocratique appelé « Dark Enlightenment », qui a donné naissance à une aile spécifique de la théorie politique de la soi-disant alt-right américaine, le mouvement néo-réactionnaire de la « Nouvelle Droite », également connu sous l’acronyme NRx, dont Thiel lui-même est un ardent défenseur, et qui est à la base d’une tendance du néo-conservatisme américain qui exerce une influence considérable sur le président Trump et sur le vice-président Vance.

Le venture capitalist et co-fondateur de Paypal et Palantir Technologies, Peter Thiel, est en effet connu pour avoir créé politiquement James David Vance, dit J.D. Vance, après avoir été son patron entre 2016 et 2017 au sein de la société d’investissement Mithril Capital, ainsi que le principal financier de Vance lui-même lors de sa campagne sénatoriale de 2022. La relation entre les deux, comme l’écrit Politico Magazine, a commencé en 2011 lorsque l’actuel vice-président américain, alors étudiant à la Yale Law School, a assisté à un discours de Thiel dans lequel ce dernier faisait un lien entre l’incapacité de la Silicon Valley à fournir des technologies véritablement révolutionnaires et la stagnation de l’élite politique et sociale américaine. Le vice-président des États-Unis n’a jamais expliqué publiquement à quel point il partage la vision du monde de Thiel, mais il n’a jamais non plus caché son estime pour ce dernier, déclarant :

« Ma relation avec Peter est toujours la même depuis que je le connais, soit à peu près 15 ans. S’il se passe quelque chose d’intéressant et que je souhaite échanger des idées avec une personne très charmante et compétente, je lui fais un coup de fil ».

Mais quelle est la vision du monde de Peter Thiel ? À cet égard, ce dernier avait exprimé sa pensée politique en avril 2009 dans une discussion, publiée dans le magazine en ligne Cato Unbound du groupe de réflexion américain Cato Institute, d’inspiration ouvertement libertaire, avec l’activiste anarcho-libertaire Patri Friedman, fondateur du Seastading Institute, une organisation engagée dans l’aménagement de villes permanentes et autonomes en pleine mer, hors de la juridiction de tout gouvernement démocratique. Dans l’article cité par Nick Land dans son pamphlet apocalyptique Dark Enlightenment, Thiel déclare ne plus croire à la compatibilité entre démocratie et liberté, entre État et capitalisme, et penche pour la solution séparatiste proposée par Friedman, c’est-à-dire pour la création de villes en dehors de toute juridiction, ou pour la création de nouveaux mondes dans le cyberespace. La tâche décisive de créer ces nouveaux espaces de liberté totale, en dehors de toute loi, revient précisément aux entrepreneurs de haute technologie, éclairés et visionnaires, les seuls capables, selon Thiel, d’exploiter pleinement et judicieusement les opportunités extraordinaires offertes par la technologie :

« À notre époque, la grande tâche des libertaires est de trouver un moyen de fuir la politique sous toutes ses formes, des catastrophes totalitaires et fondamentalistes jusqu’au demos inconsistant qui guide la soi-disant “social-démocratie”».

Peter Thiel, en plus d’avoir financé la campagne politique de J.D. Vance est également partisan de la pensée du blogueur et programmeur informatique susmentionné Curtin Yarvin, alias Mencius Moldbug, le philosophe de référence de la soi-disant « Nouvelle Droite » américaine, en vertu de ses écrits politiques publiés sur son blog Unqualified Reservations entre 2007 et 2014 et, depuis 2020, dans sa newsletter Grey Mirror. Vance a déclaré publiquement qu’il considère Yarvin comme un ami et, dans un entretien en podcast en 2021, tout en exposant (et en prophétisant) son projet de licencier un nombre important d’employés publics au cours d’une éventuelle seconde administration Trump, il a cité les écrits de Moldbug :

« Il y a ce type Curtis Yarvin, qui a écrit sur certaines de ces choses. Je pense que Trump se présentera à nouveau en 2024 et je pense que ce que Trump devrait faire, si je devais lui donner un conseil, c’est licencier tous les bureaucrates de niveau intermédiaire, tous les employés publics de l’État administratif, et les remplacer par les nôtres ».

Le démantèlement total de l’État est, sans surprise, le cheval de bataille de la pensée exprimée par Curtis Yarv sous la plume de Mencius Moldbug. Selon ce dernier, en effet, puisqu’il n’est pas possible de supprimer l’État, la seule issue à la dégénérescence démocratique est de le formaliser à travers une approche que Moldbug lui-même qualifie de « néocaméralisme », une philosophie politique inspirée du modèle administratif caméraliste de Frédéric II de Prusse. Dans cette perspective, les gouvernements démocratiques coupables d’inefficacité et de gaspillage des ressources publiques devraient suivre le modèle des entreprises et être remplacés par des sociétés anonymes souveraines, contrôlées par des « actionnaires » ayant le pouvoir de nommer un PDG-monarque pourvu de pouvoir absolu et responsable uniquement sur la base du contrat social stipulé avec ses citoyens/clients.

Outre le « néocaméralisme », un autre terme inventé par Moldbug et devenu une expression récurrente dans le jargon des néoréactionnaires, confirmant encore davantage l’influence de la pensée de Yarvin au sein du mouvement de la « Nouvelle Droite » américaine, est celui de « Cathédrale ». Par ce mot, semblable à celui de « Deep State », Moldbug désigne le siège du véritable pouvoir politique aux États-Unis,

« un complexe média-académique-journalistique composé d’universités telle Harvard, de lycées de l’Ivy League, de la presse et des médias mainstream, dont le terme Cathédrale est presque un synonyme, et occupé par une classe sociale de “brahmanes politiquement corrects”, laquelle vit et travaille pour prêcher aux masses les valeurs démocratiques, universalistes et progressistes, pour imposer les idées acceptables et pour s’approprier le monopole de la vérité historique ».

En conclusion, la nouvelle administration de Washington est connectée et influencée, selon les mots de Vance lui-même, par « de nombreuses étranges sous-cultures de droite », souvent en contradiction les unes avec les autres, allant de l’accélérationnisme au techno-utopisme, du mysticisme à l’occultisme, jusqu’au post-humain. En ce sens, la « Nouvelle Droite » américaine risque d’être victime d’un dangereux mélange d’idéologies, finalement nihilistes, qui semblent concentrer leurs critiques exclusivement sur le « progressisme » et l’élite de gauche, incarnée par ladite « Cathédrale », sans offrir une proposition politique claire et distincte, authentiquement conservatrice, fondée sur les valeurs perpétuelles du droit naturel et chrétien.

Rodolfo de Mattei